[Tribune] Startups: 5 conseils pour éviter le trou noir de 2015
La presse spécialisée américaine évoque souvent le terme de «Series A crunch» qui correspond à une difficulté pour les entreprises qui ont déjà reçu un premier financement d’amorçage à trouver un premier tour de financement par des investisseurs professionnels (de type série A) . C’est une sorte d’embouteillage du financement qui peut entraîner des start-up dans un trou noir en 2015.
Je m’intéresse dans cet article à une phase très particulière de la chaîne de financement qui est le premier tour institutionnel souvent qualifié de « série A » à cause du nom que les actions portent pendant ce tour de financement: Actions de Classe A. Tous les financements qui précèdent sont dits ‘d’amorçage’ ou seed.
Je vous propose de donner ici un peu de contexte pour le marché français, puis d’aborder quelques règles pour éviter cet embouteillage record qui est fortement probable.
OFFRE ET DEMANDE :
Vous l’avez tous compris, le marché du financement n’échappe pas à la loi de l’offre et de la demande.
Il existe d’une part une offre (les nouveaux titres des start-up qui recherchent des financements de type Série A) et la demande (les fonds d’investissements recherchant ce type d’opérations).
Or, je lisais dans CBInsights qui analyse le marché du Venture Capital depuis quelques temps 2009[1], que ce marché peut se déséquilibrer :
« Le Series A Crunch est un déséquilibre de l’offre et de la demande qui résultera par le non financement de plus de 1000 startups qui ont été financé et vont devenir orphelines et l’équivalent de 1 milliard de dollars d’investissement qui va disparaitre. Ceci fait part d’un processus naturel de sélection. »
Combien de start-up vont tomber dans cet embouteillage du financement et combien de start-up en France vont devenir orphelines de financement ?
J’observe depuis quelques temps aussi en France un déséquilibre manifeste entre l’offre et la demande.
LA DEMANDE SUPER SPECIALISEE
L’analyse de la demande montre que l’argent est toujours là mais que les conditions pour mener ces opérations se sont réduites.
Des fonds bien remplis…
Nous pouvons affirmer avec certitude, qu’aujourd’hui, beaucoup d’argent est disponible dans les différents fonds d’investissements de type VC, spécialisés dans le financement des entreprises de croissance. Les levées récentes de fonds d’investissements montrent qu’il y a toujours de l’appétit à l’intérieur de ce compartiment : en 2014 au premier semestre c’est déjà 378 millions d’euros qui sont levés pour le venture capital, à comparer au 642 millions d’euros de 2013 et 443 millions d’euros en 2012. [2]
Corporate VC
Egalement l’arrivée de plus en plus fréquente de grands groupes dans ce domaine avec le « corporate venture capital » amplifie également le mouvement, puisque selon les chiffres du Ministère des Finances ceci représente 300 millions d’euros par an et en constant augmentation. Ces montants sont investis soit dans des fonds d’investissement, le corporate devient donc un LP, par exemple Total dans « EcoMobilitéVentures » géré par IdInvest Partners, ou bien ils sont investis en direct par exemple Condenast dans Vestiaire Collectif.
Mais une bande passante en baisse
Le critère le plus pertinent reste la bande passante des équipes de gestion. Et malgré l’enthousiasme, force est de constater que la plupart des sociétés de gestion n’ont pas forcément augmenté le nombre de chargés d’investissements et d’analystes malgré leurs bonnes volontés. N’ayant pas gagné de productivité dans ce domaine, il faut toujours du temps d’une équipe pour étudier un dossier, décider d’un investissement et mener suffisamment de due-diligence.
C’est d’ailleurs une constante remarquable: le nombre de 1550 dossiers (donnée Afic) tout type d’investissement (Venture, Capital Développement, Capital Transmission et Retournement) est resté stable quelque soit la conjoncture. Ce critère est totalement indépendant des levées ayant pourtant perdu presque 40% entre la période pré-2009 et après 2009 : 10,5 milliards d’euros en moyenne (2005-2008) contre 5,7 milliards d’euros en moyenne ( 2009-20013)
Rajoutons de surcroit, que ce sont souvent les mêmes équipes qui sont en charge des fonds d’amorçage, des fonds de venture ou « capital innovation » et parfois des fonds corporate VC intermédiés.
UNE OFFRE EN PLEIN EXPLOSION
Du côté de l’offre c’est une augmentation très nette que l’on observe depuis 2 à 3 ans.
Le nombre de projet à financer dans cette catégorie de la chaine de financement a littéralement explosé.
Cette augmentation est engendrée principalement par deux leviers très factuels : d’une part le financement public et d’autre part l’augmentation du chômage depuis 2009.
Le financement de l’étape d’amorçage de l’entreprise a connu un engouement important grâce aux fonds apportés par l’état et à travers la BPI. Le fonds d’amorçage seul pèse 300 millions d’euros répartis sur 16 fonds français dont les plus connus pour le digital sont Elaia, Partech, Auriga, Innovacom, Isource.[3]
Selon Nicolas Dufourq patron de la BPI, interrogé sur l’émission de WebTV de BPI, depuis trois ans, c’est presque 1 Milliard qui aura été investi, tout secteurs confondus dans les entreprises en amorçage, probablement si on y rajoute la dette garantie par l’état et les subvention publiques.
Enfin pour ce qui est du chômage, c’est juste un constat de bon sens mais avec 2,1 millions de chômeurs entre 25 et 49 ans soit 500 000 de plus qu’au début 2009, les allocations chômages et les éventuelles indemnités sont souvent réinvesties dans la création de sa propre boite, pour devenir son propre patron, plutôt que d’attendre de trouver un nouveau job pas toujours passionnant. La pression sur l’accès au travail et la qualité des missions dans les entreprises invitent plutôt les cadres à se tourner vers l’entrepreneuriat pour se développer professionnellement.
D’autres facteurs ont été également à l’œuvre pour développer le nombre de nouvelles entreprises qui ont été correctement financées par un premier tour de financement d’amorçage.
SORTIE DE L’AMORCAGE : PRET POUR LA SERIE A?
Qui est éligible ?
Redéfinissons les entreprises qui sortent de la phase d’amorçage : elles ont déjà réussi à lever 300 à 500 mille euros (pour des entreprises faiblement capitalistiques), elles ont trouvé un modèle d’affaires qui parait durable, et elles ont mis sur le marché un produit qui attire des clients et des partenaires. Pour continuer leur développement et financer leur croissance, elles recherchent à cette étape, un financement plus conséquent variant entre 800 000 et 2 millions d’euros. Ce financement va les aider à construire leur pérennité, développer leur chiffre d’affaires, embaucher les compétences clés et ou peut-être commencer leur déploiement global.
Compte tenu de la situation que je viens de décrire, la plupart des investisseurs deviennent beaucoup plus exigeants en termes d’entreprises : si c’était du saut en hauteur je dirai que la barre a beaucoup monté en quelques mois.
Jusqu’à présent j’avais l’habitude de regarder une entreprises à travers cinq critères principaux : marché, produit, équipe, modèle d’affaires, equity story…et quelques 12 sous critères parmi lesquels : la concurrence, le marché long terme, les fondateurs, l’équipe future, les go-to-markets qui sont les stratégies marketing et commerciales, le revenue model, coûts, l’actionnariat… Simplement, ces critères sont comme des feux qui peuvent être vert, rouge ou encore orange dans les cas où un plan solide peut changer la situation pour ramener ce critère au vert en quelques mois.
J’avais l’habitude de dire qu’il fallait avoir beaucoup de ces critères au vert.
Maintenant, c’est certain il faut tous ces critères au vert.
Pour la plupart des entreprises qui démarrent une recherche de cette fameuse série A et compte tenu de la situation que l’on vient de décrire on remarque deux terribles conséquences :
- d’une part l’allongement de la durée de recherche de fonds ;
- d’autre part une incitation par l’investisseur à faire varier à la baisse la valorisation de l’entreprise par un effet d’aubaine (rareté du financement)
Quelques entreprises par semestre peuvent attiser l’intérêt de VCs internationaux qui peuvent faire augmenter les prix. Ces entreprises sont probablement 4-5 par semestre et constituent donc une élite assez rare.
Nous faisons donc face à un grand embouteillage du financement des start-up. Une demande qui a peu de bande passante et une offre en très grande augmentation. Les bouchons vont être fatals pour quelques entreprises qui peuvent tomber dans un trou noir du financement.
REGLES DE SURVIE AU TROU NOIR DU FINANCEMENT
Je vous propose ici quelques conseils pour éviter les bouchons de 2015. C’est une sorte d’itinéraire bis permettant de sortir indemne de cette situation délicate et d’aider de bons projets à ne pas être maltraités par cette situation. Je vous les livre ici.
CONSEIL 1/ AUGMENTEZ VOTRE LISTE DE CIBLES
OK vous connaissez déjà quelques VCs, et ils vous adorent déjà et certains vous ont même contacté spontanément. Néanmoins…
Le premier outil consiste à augmenter le terrain de jeu de l’opération, c’est à dire d’augmenter de façon très significative le nombre de cibles.
Je conseillerais dans certaines situations d’envoyer le dossier en aveugle (blind) pour éviter qu’il circule trop, ce qui permet aux investisseurs non intéressés pour des raisons de conflit avec leur portfolio, ou de marché de pouvoir nous répondre rapidement sans connaitre les détails.
Les meilleures banques d’affaires investiguent aussi sur un marché plus large que le marché Français en sollicitant régulièrement un grand nombre de fonds qui sont ravis de découvrir de belles opportunités sur des marchés technologiques qui les intéressent.
CONSEIL 2/ DEVELOPPEZ UN STORY TELLING PARFAIT POUR VOTRE DOSSIER
Bien sur, vous avez une super présentation qui passe très bien chez vos clients et pourtant…
Le second outil permet de raccourcir le temps d’étude des VCs et de résoudre le problème chronique de bande passante chez les investisseurs.
Tout d’abord il faut mettre en place un dossier qui va nous permettre de coucher sur le papier la totalité des critères que nous avons vu auparavant et qui devront être largement au vert pour répondre aux questions de l’investisseur.
Le dossier permet de s’aligner sur la grille de lecture du VC et de gagner du temps dans l’analyse, lui permettant aussi d’allouer son temps à l’approfondissement de questions clés.
Je pense que l’une des qualités du leveur de fonds et de préparer très en amont les objections. Le traitement des objections futures se fait pendant la préparation de ce dossier.
Ma recommandation est de toujours mettre en avant et rapidement dans la discussion, les objections les plus probables accompagnées de leur traitement. Ceci permet d’entrer dans une première partie de meeting en les traitant de façon proactive et pragmatique.
Le rôle du leveur de fonds consiste à construire et à entraîner l’équipe de management à pouvoir dire son histoire autour de quelques points clés qui doit attirer l’attention de l’investisseur mais aussi le rassurer sur d’autres. Cet entraînement prend la forme de brain-storm, puis de rédaction et de répétitions.
CONSEIL 3/ SOYEZ FRUGAL POUR BONDIR AU BON MOMENT
Le troisième outil permet la frugalité et de se donner du temps pour être au bon moment sur le marché.
Il est important d’être ni trop tôt ni trop tard sur le marché : quand aucun VC ne s’intéresse au sujet, quand chaque VC a déjà une entreprise dans le portfolio dans ce sujet.
Cette frugalité provient d’une super gestion des couts, pour pouvoir attendre le bon moment pour sortir du bois.
Mais elle provient aussi de la recherche de sources de revenus par les clients, grâce à une aide précieuse apporté par vos actionnaires business-angels, développez un maximum de revenus (autant de valorisation gagnée et donc de dilution en moins pour vous)
Dans les cas les plus risqués, il est possible d’imaginer quelques financements relais parait être raisonnable et prudent pour pouvoir être serein au moment opportun.
CONSEIL 4/ SOYEZ BEAUCOUP PLUS AMBITIEUX POUR LE FUTUR
Votre tempérament de bon gestionnaire vous invite à être prudent, vous préférez montrer que vous atteignez correctement vos objectifs que vous vous fixez. C’est bien. Et pourtant… On doit comprendre dès les premiers mots l’ambition de votre projet. Avec un grand A.
L’ambition pour le futur est une notion qui est parfois mal comprise et qui semble parfois s’opposer à la règle 3. L’ambition n’est pas une simple posture mais une attitude constante qui peut reposer sur des convictions et parfois mêmes des faits.
J’accompagne souvent des entrepreneurs pour les aider à mieux formaliser leur ambition, pour la rendre pertinente et correctement articulée.
Le produit peut toucher un marché mondial ? Que voit on dans les gènes dans l’entreprise qui permet d’y croire ? Les fondateurs ont une vue globale de leur business ou se reposent-ils sur des interactions locales?
La sortie de l’investisseur se faisant dans 5 à 7 ans, il faut bien imaginer de quelle entreprise nous parlons à cet horizon. Le présent est important, mais le futur doit aussi être une promesse intéressante et fortement probable.
CONSEIL 5 / DEMARREZ TOT
Le dernier conseil c’est l’anticipation maximum. Le plus efficace est d’embaucher un conseil spécialisé dans cette opération.
Aux US (source CBInsight) les entreprises qui viennent de recevoir un investissement d’amorçage mettent 13 mois pour recevoir un investissement de série A. En France, chez les entreprises avec un rythme de croissance leur permettant de devenir de beaux succès nous observons à peu près la même chose. Compte tenu du fait qu’il faut de 6 à 8 mois de bout en bout pour organiser ce tour de financement, ceci veut dire qu’il faudrait en théorie démarrer 5 mois après le financement de l’amorçage.
La signature très tôt d’un mandat de recherche d’investisseurs, pour démarrer la réflexion stratégique, est devenue une pratique assez courante parce que l’étude du dossier et la préparation va démarrer très en amont et pas seulement quelques jours avant le road-show.
Ceci permet à la banque d’affaires qui connait bien le terrain de la demande (constituée des investisseurs) de pouvoir prendre les bonnes orientations stratégiques très tôt, proposer une stratégie d’approche ou bien d’éventuels réalignement stratégiques, ou encore d’éventuels propositions alternatives de financement.
Démarrer tôt, permet aussi à la banque d’affaires (ou leveur de fonds) de « socialiser » le dossier, c’est à dire de commencer à préparer le terrain, apprendre sur les objections en interrogeant les investisseurs sur le marché, la concurrence… C’est une façon aussi de s’assurer de bien connaitre le bon moment pour être sur le marché.
Enfin, et on ne le répète jamais assez, une équipe qui est super focalisée sur son business et ses clients a une meilleure chance de réussite que celle qui passe son temps dans tous les aspects de la préparation de cette opération. La meilleure combinaison c’est : l’équipe de fondateurs exécute parfaitement ses plans pour apporter les meilleurs indicateurs de business possible pendant que l’équipe de la banque d’affaires recherche le meilleur match.
EN RESUME
La réussite d’une levée de fonds n’est plus une affaire de rencontres miraculeuses mais plutôt de l’exécution d’une stratégie précise.
Pour ne pas devenir l’une des start-up tombant dans le trou noir du financement, il faut vous demander si vous vous êtes posé les bonnes questions.
En attendant ces 5 conseils peuvent vous aider à sortir du trou noir de 2015.
[1] Source : CBINSIGHTS >>> Seed Investing Report – Startup Orphans and the Series A Crunch
[2] AFIC Etudes S1 2014, et 2013 GrantThorton
[3] Liste complète est présentée sur le site web de la BPI[3] : Inserm Transfert Initiative, Technocom géré par Innovacom, Grand Ouest Capital Amorçage, Emergence innovation, Elaïa Alpha Fund, Demeter 3 Amorçage, Irdinnov , Angel Source géré par iSource, Cap Decisif, Amorçage Technologique Investissement, Partech Entrepreneur, Fonds Biothérapies Innovantes et Maladies Rares, Emertec 5, Quadrivium, R2V, Auriga Bioseeds.
© Photo Rodrigo SEPÚLVEDA SCHULZ
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