
L’Europe arme son capital : quand les fonds de pension financent la défense
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L’investissement dans la défense connaît un essor sans précédent en Europe. En 2024, le secteur a attiré 5,2 milliards de dollars de financements en capital-risque, soit une hausse de 30 % en deux ans. Ces investissements représentent désormais près de 10 % de l’ensemble du capital-risque européen, un seuil encore impensable il y a cinq ans.
Frileux par nature, le capital devient stratégique
Pendant longtemps, les investisseurs privés ont boudé la défense. Les fonds de capital-risque redoutaient ses cycles longs, ses coûts élevés, et les clauses de leurs statuts (LPAs) excluaient souvent ce type d’actif pour des raisons éthiques. Les politiques de transfert de propriété intellectuelle des universités interdisaient également l’usage de certaines technologies à des fins militaires.
Mais ces freins s’effacent et les gouvernements européens ont réformé leurs procédures de commande publique, longtemps verrouillées par les grands groupes (les « primes »), afin d’intégrer les startups et PME innovantes. Le Royaume-Uni a ouvert la voie en février 2025 avec une nouvelle agence d’innovation de défense chargée d’accélérer la mise sur le marché des technologies militaires.
Les modèles de tarification évoluent aussi : les contrats « cost-plus », qui garantissaient une marge fixe aux industriels historiques, cèdent la place à des systèmes plus dynamiques, adaptés à l’agilité des jeunes entreprises technologiques.
Enfin, la nature même du combat a changé : drones, IA embarquée, systèmes autonomes et logiciels tactiques redéfinissent la supériorité militaire. Ces technologies, moins capitalistiques et déployables en volume, rendent le secteur plus compatible avec les cycles du capital-risque.
Le capital européen monte au front
Cette mutation intellectuelle et financière ouvre un nouveau chapitre. Bpifrance vient de lancer le fonds Bpifrance Défense S.L.P., accessible aux particuliers dès 500 euros. Ce véhicule a pour objectif de financer plus de 500 entreprises non cotées, startups, PME et ETI, de la Base industrielle et technologique de défense (BITD).
Le fonds est soutenu par Axa France, le Groupe BPCE et Meilleurtaux Placement, et labellisé ELTIF pour une distribution à l’échelle européenne.
« Avec le lancement du fonds Bpifrance Défense, nous amorçons une deuxième révolution : celle d’un produit à la croisée de l’investissement citoyen et des enjeux de souveraineté », commente Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance.
L’établissement public, déjà gestionnaire du fonds Definvest (en partenariat avec la DGA) et du Fonds Innovation Défense, prolonge ainsi une logique de démocratisation du capital non coté.
Les particuliers peuvent y investir via un PEA-PME, une assurance-vie ou un plan d’épargne retraite, avec un objectif de rendement annuel de 5 % (non garanti) sur une durée de 20 ans.
Les caisses de retraite suivent le mouvement
Aux Pays-Bas, le PME Pensioenfonds a investi 40 millions d’euros dans le European Defence and Security Tech Fund de Keen Venture Partners, aux côtés du Fonds européen d’investissement (FEI). Ce fonds, premier du genre dans le Benelux, ambitionne de lever 125 millions d’euros pour financer des technologies duales (civiles et militaires), IA de défense, drones, batteries, capteurs, cybersécurité.
« Nous devons bâtir une industrie de défense hautement innovante en Europe », souligne Alexander Ribbink, associé de Keen.
La guerre de l’innovation
La guerre en Ukraine a déclenché un réarmement budgétaire massif. Tous les membres de l’OTAN visent désormais au minimum 2 % du PIB en dépenses militaires, plusieurs pays se rapprochant d’un seuil officieux de 5 %.
Le Fonds européen de défense (EDF) complète cet effort avec un budget de 7,3 milliards d’euros sur 2021 / 2027, destiné à financer des programmes collaboratifs de R&D militaire.
Pour les startups, cela signifie des cycles de vente plus courts, moins de dépendance aux grands donneurs d’ordre, et un accès facilité au capital-risque.