
Rupture brutale de négociation : jusqu’où peut-on planter un deal sans finir au tribunal ?
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Dans le M&A, tant que rien n’est signé, tout le monde reste libre. Libre de s’engager, libre de reculer, libre de disparaître, cette liberté contractuelle est un pilier du droit français, mais elle n’est pas absolue. Avec l’avancement des discussions, elle glisse progressivement vers un terrain où certaines décisions cessent d’être anodines. Si le droit ne sanctionne pas une rupture en soi, il sanctionne une rupture au mauvais moment, et surtout une rupture qui contredit l’attitude adoptée jusqu’ici.
La jurisprudence appelle cela une “rupture brutale de pourparlers”. Dans les dossiers récents, ce n’est pas un concept théorique, les juges s’intéressent à la chronologie des échanges, à la façon dont une partie a entretenu l’idée que le closing n’était plus qu’une formalité, et à la manière dont elle a choisi ou non, d’assumer un changement d’intention. La liberté de rompre est réelle, mais la manière de rompre, elle, engage potentiellement sa responsabilité.
Ce qui fait basculer un dossier du simple retrait vers la faute tient rarement à une clause contractuelle. Qu’une LOI existe ou non, qu’un NDA ait été signé, qu’une NBO ait été envoyée, l’analyse reste la même : les tribunaux scrutent surtout le comportement. Ils évaluent le degré de confiance légitime créé durant la négociation, la profondeur des diligences déjà menées, l’imminence du closing et l’impact financier du retrait tardif. Plus les étapes ont été franchies, plus la marche arrière doit être assumée tôt et clairement.
En pratique, la sanction est proportionnée, un acquéreur ou un vendeur jugé fautif n’est jamais condamné à verser le bénéfice espéré du deal. En revanche, il peut devoir rembourser l’ensemble des frais engagés par son interlocuteur : banque M&A, avocats, audits, experts, et, dans certains cas, des coûts opérationnels spécifiques mobilisés pour la préparation de l’opération. Attention les montants sont rarement symboliques, dès que le process est avancé, les sommes atteignent rapidement plusieurs centaines de milliers d’euros. Et la procédure, elle, peut durer des années.
Les dossiers qui se retrouvent devant les tribunaux suivent souvent un schéma identique. Une partie nourrit un doute sérieux, souvent lié au financement, à un changement de priorités internes ou à une détérioration soudaine du marché, mais choisit de ne pas l’exprimer. Les échanges continuent, les réunions se succèdent, les documents circulent, mobilisant les équipes. Puis, au moment où l’autre partie estime que tout converge vers la signature, la rupture tombe brutalement appuyée sur un motif secondaire ou sur une ambiguïté entretenue. C’est exactement ce type de séquence que la jurisprudence qualifie de fautive.
Ce qui est frappant dans l’analyse des contentieux, c’est la place marginale qu’occupe les documents précontractuels. La LOI n’est pas un engagement, le NDA est difficile à faire respecter, et une NBO n’a aucune portée contraignante, toutefois es dirigeants leur attribuent souvent une portée psychologique importante quand le droit, lui, n’y voit que des marqueurs procéduraux. Le plus souvent ce sont les actes, et non les textes, qui dictent l’issue d’un litige.
Pour les acteurs du M&A, l’enjeu n’est donc pas de se protéger par des formules, mais de gérer correctement le moment du retrait. Lorsque le doute apparaît, il doit être exprimé, lorsque l’intention évolue, elle doit être expliquée et lorsque l’issue devient incertaine, l’autre partie doit être avertie. Un simple signal, donné suffisamment tôt, suffit souvent à éviter un conflit. À l’inverse, la tentation d’attendre “encore une réunion”, “encore une précision”, ou “encore un document” crée les conditions idéales d’un contentieux.
Dans les deals où tout va vite, où plusieurs pistes sont engagées simultanément, et où les arbitrages internes se déplacent au gré du marché, savoir rompre proprement devient une compétence à part entière. C’est un réflexe de discipline, indispensable pour éviter que la liberté de négocier ne se transforme en risque judiciaire.
Et si la rupture brutale reste un contentieux relativement rare, elle est toujours coûteuse car elle mobilise les dirigeants, gèle des relations, altère des réputations et fige un actif dans une zone grise pendant des années.
Quand vous vous engagez dans un processus de M&A, que vous soyez l’acheteur ou le vendeur, ayez bien en tête que tout peut s’arrêter, mais pas n’importe comment. Le droit ne s’intéresse pas à vos intentions. Il regarde votre comportement, la chronologie des échanges, et la confiance que vous avez vous-même créée.
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