DECODE VC

XANGE 5: comment le fonds d’investissement redessine sa stratégie deeptech à l’échelle européenne

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Depuis plus de vingt ans, XAnge investit dans des entreprises qui comptent désormais parmi les références de la tech européenne, de Ledger à Odoo en passant par Believe, Aerospace Lab ou Greenly. Avec le premier closing de XAnge 5 à 200 millions d’euros, le fonds franchit une nouvelle étape: assumer pleinement une thèse deeptech, IA applicative et transition climatique, à l’échelle paneuropéenne, en s’appuyant sur des équipes en France, en Allemagne et en Belgique. Dans ce nouvel épisode de DECODE VC, Cyril Bertrand, Managing Partner de XAnge, et Guilhem de Vregille, Partner en charge de la verticale deeptech, détaillent cette transformation et livrent leur lecture du nouveau paysage du capital risque européen.

Un nouveau fonds pour une nouvelle étape stratégique

L’entretien s’ouvre sur la genèse de XAnge 5, successeur du précédent véhicule de 250 millions d’euros. Le nouveau fonds, déjà doté de 200 millions d’euros, a vocation à franchir un cap géographique et sectoriel. Historiquement ancré en France, Allemagne et Belgique, XAnge assume désormais une ambition paneuropéenne plus large, avec une équipe structurée à Berlin, Bruxelles et Paris.

Cyril Bertrand rappelle que ce nouveau véhicule s’inscrit dans la continuité d’un portefeuille déjà marqué par des réussites emblématiques: Odoo en Belgique, Ledger et Believe côté français, Aerospace Lab ou encore Greenly. Mais XAnge 5 n’est pas un simple fonds de prolongement: il formalise une thèse plus nette autour de l’IA, de la deeptech et de la transition durable, avec un renforcement du positionnement early stage sur ces verticales.

Les LPs historiques,notamment le FEI, Bpifrance, AEF, ont reconduit et amplifié leur engagement. Pour Cyril Bertrand, il s’agit d’une marque de confiance, mais aussi d’un pari assumé des grandes institutions européennes sur la deeptech, l’IA appliquée et les sujets de souveraineté technologique, en particulier en Allemagne et sur les thématiques climat-énergie.

De la décennie SaaS à la décennie deeptech

Interrogé sur le basculement de cycle entre le SaaS des années 2010 et la deeptech actuelle, Guilhem de Vregille pose un diagnostic clair. La décennie passée a été dominée par des innovations de business model et d’exécution – le SaaS remplaçant progressivement les modèles on-premise – alors que l’avantage technologique, au sens dur, passait souvent au second plan.

La nouvelle vague est d’une autre nature: retour en force de la technologie comme cœur de l’avantage compétitif, montée en puissance de projets qui exigent des investissements massifs en R&D, des cycles de maturation plus longs et des barrières à l’entrée substantiellement plus élevées. La deeptech se nourrit aussi d’un contexte économique et géopolitique tendu: enjeux de souveraineté, relocalisation industrielle, dépendance énergétique, défense et new space.

Pour XAnge, cette bascule n’est pas une simple évolution de marché, mais un repositionnement profond du métier d’investisseur: il faut être capable de comprendre des technologies complexes, de dialoguer avec les CTO et les équipes scientifiques, et d’accompagner des trajectoires où le go-to-market se construit en parallèle de la maturité technologique.

La thèse de la deeptech verticalisée

L’un des apports majeurs de l’échange concerne la manière dont XAnge définit sa deeptech. Le fonds se montre très explicite: il ne privilégie pas les projets de type “techno push” qui sortent d’un laboratoire et cherchent ensuite, par itérations successives, des cas d’usage et des partenaires industriels. Ce modèle, jugé “cash efficient” mais fragile sur le go-to-market, ne constitue pas le cœur de la thèse XAnge.

À l’inverse, XAnge recherche des entreprises capables de se verticaliser: prendre en charge une chaîne de valeur complète, depuis la brique technologique fondamentale jusqu’au client final. Aerospace Lab illustre cette approche: la société ne se contente pas de fabriquer des satellites, elle conçoit les sous-ensembles, opère des constellations, développe les couches data associées et capte un maximum de valeur sur toute la chaîne.

Ce modèle “full-stack” est plus exigeant: il nécessite davantage de capital, une diversité de talents plus large et une capacité à gérer des couches multiples – matériel, logiciel, production industrielle, data, distribution. Mais il permet, selon XAnge, d’accélérer l’accès au marché, de réduire les risques liés au go-to-market et de créer des acteurs de taille significative, capables de susciter l’intérêt des fonds de growth et des acquéreurs stratégiques.

France, Allemagne, Belgique: une géographie européenne structurée

Au fil des exemples cités, l’entretien met en lumière une cartographie européenne très lisible. La France s’impose comme un foyer majeur de l’IA, avec une combinaison de talents scientifiques, d’ingénieurs et d’écosystème académique, qui irrigue aussi bien les modèles que les applications.

L’Allemagne se distingue par sa force dans l’énergie, le climat et les technologies industrielles. Autour de Munich en particulier, Cyril Bertrand parle d’une véritable “Silicon Valley de la deeptech”, portée par les universités (Max Planck, TU Munich), leurs incubateurs et des fonds institutionnels spécialisés. L’avance allemande sur les questions de transition énergétique, d’infrastructures et de climat est jugée suffisamment nette pour que XAnge confie la direction de ce pilier à son équipe allemande.

La Belgique, enfin, apparaît comme un terrain de jeu particulièrement fertile: Odoo, Aerospace Lab, Virtuoso, Sirona, Vertical Compute… Guilhem de Vregille souligne la combinaison d’ingénieurs de haut niveau, de profils commerciaux solides et d’un environnement de valorisations jugé moins “hystérique” que Paris ou Berlin. XAnge y a installé un professionnel dédié au scouting, avec un fort appui de l’équipe européenne.

IA: renoncer à la bataille des LLM pour gagner celle de l’applicatif

Sur l’IA, Cyril Bertrand reprend une idée formulée récemment par Philippe Botteri: il ne serait ni réaliste ni utile pour l’Europe de chercher à concurrencer les États-Unis et la Chine sur les modèles de fondation et l’infrastructure LLM. Les ordres de grandeur de capital requis, “10, 100, 1000 fois” ce que l’Europe a mobilisé, rendent cette bataille largement perdue d’avance, à l’exception notable de Mistral.

Pour XAnge, la vraie bataille se joue au-dessus: dans les couches applicatives qui s’appuient sur ces modèles comme on s’est appuyé sur le cloud il y a vingt ans. Les LLM sont vus comme de nouveaux “cloud providers” – parfois littéralement les mêmes acteurs, dont l’IA sera progressivement intégrée dans toutes les applications, sans même être visible pour l’utilisateur.

C’est sur cette couche logicielle que XAnge estime que l’Europe peut se distinguer, en combinant son patrimoine d’ingénierie logicielle, sa culture produit et ses écosystèmes verticalisés. L’entretien consacre ainsi une vision mature: l’infrastructure est perdue, l’applicatif est encore largement à construire.

Boards européens: une industrie désormais normalisée

Au-delà des géographies, Cyril Bertrand insiste sur la professionnalisation du venture européen. Là où, il y a vingt ans, chaque pays avait sa “coloration” et ses réflexes, il existe désormais une vraie convergence des pratiques: gouvernance, indicateurs, structure des tours, rôle des boards.

Les différences culturelles se lisent désormais moins par pays que par stade:

  • Seed/Série A centrées sur la croissance, le produit, la technologie.
  • Série B focalisée sur la qualité de la croissance: burn, NRR, marges, efficacité capitalistique.

Dans un board, ces différences de focalisation entre investisseurs seed, A, B créent des tensions productives, mais l’objectif reste d’aboutir à une position commune vis-à-vis des fondateurs. L’obsession de XAnge est que le board apparaisse cohérent, même lorsque les sensibilités divergent.

L’organisation interne: diversité culturelle et présence locale

XAnge a structuré son déploiement européen en combinant présence locale et diversité culturelle au sein des équipes. En Allemagne, une équipe de quatre personnes est dirigée par Valérie Bures, ancienne CEO de startup VC-backed. Cette équipe porte la verticale climat/énergie et agit comme point d’entrée local sur le marché allemand.

À Bruxelles, un professionnel dédié prend en charge le scouting sur la scène belge, très active en software, space et biotech. Des profils franco-américains ou franco-anglais complètent le dispositif, tournés vers les États-Unis et capables de faire le lien avec des benchmarks internationaux, notamment sur la cybersécurité, les semiconducteurs ou la robotique.

L’anglais s’est imposé comme langue de travail commune, ce qui facilite la circulation de l’information et l’intégration des différentes cultures au sein du partnership.

Études de cas: Odoo, Aerospace Lab, Treefrog Therapeutics

Plusieurs exemples concrets viennent illustrer la thèse XAnge.

Odoo, tout d’abord, que Cyril Bertrand qualifie de trajectoire “hors du commun”. Lors de l’investissement initial, en 2014, la société était déjà largement connue des développeurs et utilisateurs, mais le pari reposait sur la confiance accordée à Fabien Pinckaers, fondateur au profil très singulier, avec une vision propre de son entreprise et de son absence d’exit à court terme.

Le succès de l’investissement, avec une sortie pour XAnge autour de 2,2 milliards d’euros de valorisation, pour une entreprise valorisée aujourd’hui plusieurs milliards supplémentaires, illustre la capacité du fonds à accompagner des trajectoires longues et atypiques, loin des schémas standard d’exit rapide.

Aerospace Lab fournit un autre cas d’école: une société passée de cinq ingénieurs à plus de trois cents salariés, qui a redéfini la chaîne de fabrication d’un satellite en s’appuyant largement sur de l’électronique grand public pour réduire drastiquement les coûts. Là encore, on retrouve la logique de deeptech verticalisée, capable de contrôler les sous-ensembles, les constellations et les couches data associées.

Enfin, Treefrog Therapeutics, active dans les cellules souches, illustre la dynamique européenne en biologie synthétique. La société produit des cellules souches comme brique de base, avec des applications majeures, notamment dans le traitement du diabète de type 1 via un partenariat avec Vertex. France, Suisse et Belgique y jouent un rôle central, avec un tissu dense de biotech et un risque bien réparti sur l’ensemble du continent.

Le rapport au risque: “plus de risque, pas moins de risque”

Un passage marquant de l’entretien est la façon dont Cyril Bertrand définit la relation au risque. Pour XAnge, la prime de performance du venture vient d’un niveau de risque assumé, pas de sa réduction progressive. Le réflexe naturel des organisations humaines est de chercher à diminuer le risque; le métier de XAnge consiste, au contraire, à maintenir la barre sur “plus de risque”, en l’orientant vers les bons territoires.

Le risque géographique reste circonscrit à l’Europe continentale, mais le risque technologique, industriel ou de marché est pleinement assumé, dès lors qu’il est porté par des équipes capables d’exécuter sur le long terme et de structurer leur vertical.

Comment lever en early stage en 2025: momentum, volume et intermédiation fine

Sur la partie early stage, Guilhem de Vregille décrit un paysage où l’argent reste disponible, particulièrement en seed, alors que les Séries A et B connaissent un environnement plus contrasté. Surtout, le métier d’investisseur seed s’est transformé: d’un métier de “sélection”, il est devenu un métier de “chasse”.

Les meilleurs projets ne se contentent plus d’apparaître dans les boîtes mail des fonds, ce sont les VC qui développent des équipes dédiées au sourcing, à la détection précoce et au contact proactif des fondateurs. Dans ce contexte, une levée seed réussie repose sur trois facteurs:

  • une gestion fine du momentum, avec un lancement clair, une séquence courte et intense de discussions, une capacité à créer un effet de dynamique ;
  • un volume suffisant de fonds contactés, pour créer un véritable marché ;
  • des introductions de qualité, idéalement portées par d’autres entrepreneurs déjà connus des fonds.

Les leveurs de fonds et banques d’affaires restent pertinents, selon XAnge, à partir de la Série B, lorsque les montants se complexifient et que le recours à des intermédiaires devient plus légitime. En seed, le contact direct avec les fonds et les intros “peer-to-peer” restent la voie privilégiée.

LPs, investisseurs individuels et poursuite de la levée XAnge 5

Enfin nous revenons sur le profil des investisseurs de XAnge 5. Aux côtés des grands institutionnels FEI, Bpifrance, le fonds accueille également des entrepreneurs de son portefeuille, comme Yann Hascoet (ex-Chauffeur Privé), qui réinvestissent au sein des véhicules XAnge.

Le ticket d’entrée est encadré par la réglementation (investisseur averti), avec un plancher autour de 100 000 euros, légèrement relevé par le fonds. Cyril Bertrand insiste sur le caractère très particulier de la classe d’actifs: le venture nécessite une vraie compréhension de la volatilité, une vision de long terme et un engagement qui ne doit pas se limiter à un seul fonds ou un seul millésime.

La levée de XAnge 5 n’est pas terminée, annoncée à 200 millions d’euros, elle vise un hard cap à 250 millions, voire légèrement au-delà, avec un calendrier qui s’étend jusqu’au début de l’année 2026. Le premier comité d’investissement a déjà eu lieu et un premier deal issu de ce nouveau fonds doit être annoncé dans les prochaines semaines, à découvrir bien entendu sur FW.Media

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