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BtoB / BtoC: une ineptie du marketing digital

Par Cyril Bladier, fondateur de Business-on-Line

Je ne crois pas du tout à la dichotomie BtoB / BtoC en ce qui concerne les activités online. BtoB / BtoC, c’est une distinction issue de l’activité économique offline / IRL (In Real Life). Elle a été automatiquement transférée aux sujets digitaux, sans que personne ne se pose jamais la question de savoir si c’était toujours pertinent. Je pense que dans une activité business on line, cette séparation n’a plus aucun sens. Eléments de réponse dans cet article.

Ce n’est pas nouveau dans ma réflexion ni dans mon approche puisque j’en ai déjà parlé dans un article publié sur Presse Citron en Mai 2017 : Marketing Digital : pourquoi vous allez dans le mur : « Pour moi, la distinction ne se fait pas entre B2B et B2C».

Internet : un univers à part entière

Selon moi, l’une des causes de l’échec de nombreux projets et de campagnes digitales vient du fait qu’on considère qu’Internet est un reflet de la réalité. On ne prend pas le temps d’analyser comment fonctionne un marché online. Or, Internet est un univers à part entière, avec son propre mode de fonctionnement et qui n’est pas nécessairement lié à ce qui se passe en dehors.

Internet : un monde piloté par la demande plus que par l’offre

Fréquemment, notamment en BtoB, une entreprise va structurer sa présence online en fonction de sa connaissance du marché offline. Les annonceurs connaissent leurs clients, parfois même bien. Mais dans la plupart des cas, ils transposent leur connaissance offline aux marchés online. Très souvent la présentation du site est une simple déclinaison de l’organisation commerciale, par typologie de clients. Alors qu’Internet est un univers piloté par la demande. Demande qui s’exprime par les requêtes des internautes, pros ou particuliers via les moteurs de recherche. Si on aborde par type de client un marché qui est organisé par besoins, ce n’est pas très étonnant que de nombreux acteurs se plaignent des mauvais résultats de leur présence et de leurs campagnes.

Le « online » reflet de ce qui se passe offline ?

Le problème est que cela ne correspond en aucun cas à la réalité. On l’a encore vu récemment avec le DG d’un grand compte BtoB qui a fait un post sur LinkedIn pour indiquer que ses équipes allaient organiser un webinaire. C’est la manière que son entreprise a eu de répondre à un vrai problème. Leur diagnostic : il n’y a pas de demande online pour l’une de leurs offres. Plutôt que de pousser du contenu sur une offre pour laquelle il y a peu de demande, l’entreprise a décidé d’éduquer le marché pour informer de l’existence de cette offre. Dans le fond, pourquoi pas. Cette réponse peut être payante. Bilan, dans ce cas précis ? Aucun résultat. Cela fait des mois que cette marque a cette difficulté sur ce marché.

Garbage In / Garbage Out

Pourquoi cette absence de résultat ? Leur difficulté vient du fait qu’ils transposent online leur connaissance offline sans se poser de question et sans jamais se préoccuper d’essayer de mieux connaître leur marché online ni le comportement de leurs clients. S’ils l’avaient fait, ils se seraient rendu compte qu’il y a bien une demande en ligne pour ce produit et que cette demande est même assez importante. Le problème n’est donc pas qu’il n’y a pas demande, mais que cette entreprise n’arrive pas à la capter. Ils peuvent investir dans de nombreux wébinaires pour faire de la pédagogie, cela ne résoudra pas leur problème car leur difficulté n’est pas là. Garbage In = Garbage Out. Si l’analyse est mauvaise, il y a peu de chance que les opérations ensuite mises en place puissent apporter une solution.

Les clients ? Ce n’est pas un sujet

Ce qui est surprenant, c’est que sur ce marché, les grands comptes sont plus occupés à se regarder les uns les autres qu’à regarder leurs clients (dixit un dirigeant d’un des groupes leaders). Donc si l’un des principaux acteurs fait une erreur, on est à peu près sûrs que les autres vont suivre. C’est une belle opportunité pour les PME et ETI du secteur, si elles savent la saisir.

Océan rouge / Océan bleu

On a relevé le même problème dans le secteur de l’électroménager grand public. Tous les industriels du secteur appellent de la même manière (vocabulaire professionnel) un même produit. Tous les revendeurs (sites des distributeurs « brick and mortar » et pure players) font de même. En fait ce que je comprends c’est que les revendeurs n’ont pas nécessairement le temps de refaire les fiches produits de tous les produits qu’ils intègrent et qu’ils vont donc souvent reprendre les fiches des industriels. Tous ces acteurs sont donc en concurrence SEO sur les mêmes termes (une sorte de stratégie « océan rouge »). Au détriment des industriels puisque l’approche des distributeurs et des pure players est en général plus efficace (les industriels n’ont pas nécessairement vocation à vendre en direct, donc moins d’impératif de SEO).

Le problème c’est que sur le produit en question, l’usage des consommateurs est différent. La manière dont ils s’informent sur ce produit et l’achètent (l’appellation même du produit) n’est pas la même que celle des industriels. L’écart est énorme : 3 600 requêtes par mois en moyenne pour la dénomination « industriels » reprise par les distributeurs et… 31 000 (près de 10 fois plus) pour la dénomination grand public. Paradoxalement, c’est sur le terme pour lequel il y a le moins de demandes, qu’il est le plus difficile de se référencer et d’être visible (mais logique puisque c’est le terme utilisé par industriels et revendeurs). Une simple écoute de son marché, permettrait à n’importe quel acteur de toucher 10 fois plus de personnes à effort et budget marketing constants. C’est une stratégie « océan bleu ».

On ne perd donc pas son temps (ni son budget) quand on prend le temps de s’intéresser à ses clients, à ce qu’ils cherchent et comment.

Des exemples comme ceux-là, j’en ai des dizaines, dans presque tous les secteurs : assurances, services financiers, immobilier (professionnel ou résidentiel), banques, automobile, énergie, marque employeur, loisirs, IT, santé, industrie…

Tout le monde fait la même chose… ou presque

A chaque fois que l’on mène une analyse pour un client (on analyse toujours quelques concurrents) on retrouve à peu de choses près les mêmes résultats. On retrouve un énorme manque de connaissance et d’adaptation à la réalité d’un marché online.

Mon expérience BtoB / BtoC offline et online

L’opposition BtoB / BtoC, pour moi, c’est du même ressort. Online, on garde son réflexe offline et cette différence affichée entre les 2 mondes. Offline, ce contraste se justifie pleinement. Dans ma carrière opérationnelle (ventes et marketing), je suis intervenu en BtoC (Canderel, fruits et légumes, Evian cosmétiques, Dryel, Swiffer, Fébrèze, CanalPlus, CanalSat, Pringles, Sunny Delight…) et en BtoB (Danone pour la restauration collective, L’Oréal Coiffure, téléphonie fixe « 7 » de Cegetel, American Express, lunettes L’Amy, papiers / cartons / emballages…). Idem en conseil digital depuis 2009 : à la fois du BtoC (Whirlpool, comédie musicale Notre Dame de Paris, services financiers, assurances, immobilier résidentiel, PGC, énergie, e-commerce…) et du BtoB (assurances, papier / cartons / emballages, immobilier de bureau, énergie, boissons en CHR, café en entreprise, outillage, pharmacie, événementiel, aéronautique, logistique, IT…). Je n’écris pas cela pour faire mon panégyrique mais juste pour expliquer que, professionnellement parlant, je connais le BtoB et le BtoC, tant dans des activités offline que sur Internet.

BtoB / BtoC offline

Offline donc, je comprends cette différence d’approche entre BtoB et BtoC. Elle est cohérente, adaptée à une certaine réalité. Les approches « ventes » ou « marketing » ne sont pas tout à fait les mêmes, les leviers sont différents.

Online, je suis nettement moins convaincu. Pour moi la bonne ligne de démarcation n’est pas liée à BtoB ou BtoC. Elle est liée à la typologie de produit. C’est le point structurant.

LA clé du Marketing BtoC : être Top Of Mind…

En BtoC, la diversité des produits est très vaste. Cela va de produits de commodité, de consommation courante et pour lesquels l’achat est relativement peu impliquant : la préférence de marque et la disponibilité en rayon de grande surface sont des éléments clés ; jusqu’à des achats plus impliquants comme des vacances, une voiture, une assurance ou un prêt immobilier. Dans le premier cas, pour ce qu’on appelle les FMCG (Fast Moving Consumer Goods), une Directrice Marketing d’un groupe de grande consommation international, me confiait que la clé du succès online est la même qu’offline : être « top of mind ». Le site Internet n’est pas toujours nécessaire, mais il faut être la marque présente à l’esprit du consommateur.

On va donc devoir utiliser online des leviers assez proches du marketing classique : communiquer pour toucher un maximum de consommateurs potentiels, acheter de l’espace et avoir une part de voix élevée.

L’une des difficultés, online ou offline, pour ce type de produits est que le ROI est quasiment impossible à mesurer. En effet il est d’une part très difficile voire impossible de savoir si le visiteur qui vient sur le site est ou non consommateur du produit. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement rentable de chercher à faire venir sur un site, notamment quand on vend des produits où la marge unitaire ne se compte qu’en centimes. D’autre part, il est impossible (sauf avec une opération de type couponing) de savoir si on a réussi à convertir le visiteur en client et s’il va acheter le produit quand il sera devant le rayon de sa grande surface ou si in fine il ne va pas acheter le produit concurrent à cause d’une rupture en linéaire ou à cause d’une offre promotionnelle en TG (tête de gondole) ou en catalogue.

De plus, il est difficilement techniquement possible (voire pas tout à fait légal) de tracker les particuliers qui viennent sur un site, alors que c’est tout à fait possible en B2B (en respectant les contraintes RGPD).

Mais pas que

En revanche, pour des produits BtoC comme les voyages, les téléviseurs, les assurances, les produits financiers, la voiture voire les vêtements… ce ne sont pas nécessairement les mêmes leviers qui seront les plus efficaces. Pour ces produits grand public, le comportement d’achat du consommateur est assez proche de ce qu’on observe en BtoB :

  • Prise de conscience d’un nouveau besoin.
  • Recherche d’éléments de réponse via moteur de recherche (essentiellement) voire réseaux sociaux.
  • Consultation d’articles, blogs, forums, vidéos pour s’informer, comprendre, sélectionner des fournisseurs potentiels, comparer les offres.
  • Réflexion : cas clients…
  • Sélection, préparation d’un appel, d’une visite en magasin ou de questions à poser à un chatbot.
  • Négociation.

Du contenu !

Dans ce contexte, le BtoB et le BtoC diffèrent relativement peu : il faut utiliser des techniques de marketing de contenu pour se rendre visible, informer, faire de la pédagogie, proposer des tests ou des démos. En BtoC comme en BtoB, il y a souvent plus d’une personne impliquée dans l’achat.

Or, on observe souvent que de nombreux acteurs BtoC utilisent pour ces produits les mêmes approches que pour les produits de grande consommation, en faisant notamment reposer quasiment tous leurs efforts sur la notoriété de la marque : le branding.

Limite(s) du branding

Sur Internet, comme IRL, le branding, c’est-à-dire travailler à avoir une marque forte, est essentiel. Mais, si on se limite à ça, on passe à côté d’une part non négligeable de son marché en ligne. On le voit notamment au travers de la part de trafic brandé (lié à la marque) sur les sites des produits BtoC. Ces requêtes représentent fréquemment plus de 90% voire 95% du trafic d’un site. En grande majorité, ce ne sont que les clients qui viennent sur un site. C’est-à-dire que tous les internautes qui ont une approche orientée besoin ou solution sont laissés de côté. En dehors des pure players, un site Internet d’un acteur « traditionnel » n’attire en grande majorité que ceux qui sont déjà clients. La partie « acquisition » est, globalement, assez faible.

Autre différente entre les produits BtoC « impliquants » et les produits de consommation courante : la mesure du ROI. Autant c’est impossible et non rentable de tracker l’achat d’une cannette de 33cl ; autant on peut suivre, tracker et mesurer l’achat d’une assurance vie, d’une voiture ou d’un emprunt immobilier. Il est pour cela essentiel (et ce n’est pas si fréquent) de connaître son coût d’acquisition de client.

Conclusion

Si vous voulez développer la vente online de vos produits / services BtoC, hors produits de consommation courante, pensez BtoB :

  • Utilisez la data pour comprendre ce que vos consommateurs veulent, cherchent et comment (comme en BtoB).
  • Faites du contenu : article, blog, vidéos…
  • Ne ciblez pas que votre marque, mais aussi les besoins auxquels vous répondez et les solutions que vous apportez.

Comme indiqué dans cet article, pour moi, online, l’approche ne se différencie pas entre BtoB et BtoC, mais entre produits de consommation courante et achats impliquants. Certes c’est moins facile à exprimer que BtoB / BtoC, mais il y a vraiment, selon moi, une différence d’approche à ce niveau.

Le contributeur :

Après 15 de Direction Commerciale et Marketing en BtoB, Cyril Bladier a créé Business-on-Line; agence digitale en réseau. Il est spécialisé dans les stratégies digitales et expert de LinkedIn. Professeur à HEC / Google@HEC / ESCP / Neoma BS, il anime des conférences et accompagne entrepreneurs, dirigeants et entreprises dans leurs stratégies digitales (BtoB, BtoC, RH). Il anime le blog B2B. Il a co-écrit «Réussir avec les Réseaux Sociaux» (L’Express Réussir) et «Le Marketing de Soi» (Eyrolles, 01/2014). Il a écrit «La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux» (Dunod, 02/2012), nominé pour le prix «Livre influent de l’année 2012 dans le digital» du HubForum; et La Boîte à Outils des Réseaux Sociaux_ Edition 2014 (Dunod, 01/2014). Il est membre fondateur et membre du bureau de l’Association Française des Décideurs du Digital. @businesson_line 

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