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Censure: pourquoi l’emprise d’Apple et Google sur l’économie mobile menace les droits humains

AFP

Quand Apple et Google cèdent à la pression politique, c’est tout l’internet mobile qui bascule aux mains des régimes autoritaires: c’est le constat amer que faisaient vendredi des défenseurs des droits humains après un recul majeur des géants technologiques, obligés par Moscou de retirer une application de l’opposition. Les deux groupes californiens ont supprimé de leurs plateformes de téléchargement une application mobile conçue par le mouvement de l’opposant emprisonné Alexeï Navalny pour informer les électeurs sur les candidats de l’opposition au président Vladimir Poutine.

Le fabricant de l’iPhone a fini par céder au « harcèlement et aux menaces d’arrestation » contre des employés locaux, d’après une source proche du dossier. Google a aussi abdiqué, « sous une contrainte sans précédent », d’après une autre source. Seuls les utilisateurs qui l’avaient déjà téléchargée pouvaient continuer à s’en servir, mais sans mise à jour. « Les magasins d’applications sont la nouvelle frontière de la censure », estime Natalia Krapiva, juriste spécialiste des technologies chez l’ONG Access Now. « Nous assistons à un nouvel assaut sur les droits numériques, une nouvelle façon de saper la sécurité des infrastructures et la liberté d’expression. C’est très inquiétant ».

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Comme presque aucun candidat anti-Poutine n’a été autorisé à se présenter aux législatives de ce week-end, les partisans de M. Navalny ont élaboré une stratégie dite du « vote intelligent », destinée à soutenir le candidat le mieux placé pour mettre en difficulté celui du parti au pouvoir, Russie Unie. L’application permettait de savoir pour quel concurrent voter dans chaque circonscription. Par le passé, cette approche avait rencontré un certain succès, notamment à Moscou en 2019.

«Les derniers espaces de liberté»

Dans un pays où les médias sont soumis à de fortes pressions et les opposants menacés de prison ou pire, « les gens considèrent les géants de l’internet comme les derniers espaces de liberté, ils leur sont reconnaissants, ils se reposent sur eux », souligne Natalia Krapiva, qui est en contact régulier avec des organisations russes. « Ils se sentent vraiment trahis par cette décision soudaine, le matin du début des élections, sans aucune explication », poursuit-elle. La pression s’était intensifiée ces dernières semaines. La justice russe a condamné Facebook, Twitter et Google à des amendes pour avoir refusé de supprimer des contenus et Moscou a accusé Google et Apple « d’ingérence électorale ». Mais jusqu’ici, les entreprises avaient résisté.

« C’est un précédent désastreux pour le monde entier, pas seulement pour la Russie », déplore Natalia Krapiva. Pour certains militants, le problème ne serait pas si grave si Apple et Google n’étaient pas aussi dominants. La plateforme de Google (Android) représente environ 85% de l’accès à internet sur mobile dans le monde, et celle d’Apple (iOS) avoisine les 15%. Par conséquent, quand ils cèdent du terrain, ils cèdent tout le terrain. La marque à la pomme, en outre, n’autorise pas le téléchargement d’applications en dehors de son App Store.

« Le fonctionnement autoritaire de la plateforme d’Apple fait qu’il est facile pour des régimes autocratiques d’annihiler des initiatives démocratiques », argumente dans un communiqué Evan Greer, du groupe de défense des droits en ligne Fight for the Future. A moins que la firme n’amende ses règlements, « l’App Store va rester, pour le gouvernement, un moyen facile d’étrangler » toute velléité de dissension, continue-t-il.

Des méthodes qui risquent d’inspirer d’autres États

En théorie, les sociétés de la Silicon Valley se sont donné pour mission de défendre la liberté d’expression et les droits humains, en plus de leurs objectifs financiers. La réalité est plus compliquée notamment en Chine, où les réseaux sociaux occidentaux sont interdits, en Russie mais aussi en Inde, par exemple, où le gouvernement a instauré de nouvelles règles pour forcer les plateformes à lui communiquer certaines informations confidentielles.

Les méthodes de la Russie risquent d’inspirer d’autres États, avertissent des observateurs. « Regardez les dictatures émergentes, comme la Hongrie: elles peuvent utiliser ce genre d’outils aussi », selon Kathryn Stoner, professeure en sciences politiques à l’université de Stanford. Les entreprises technologiques vont donc « devoir réfléchir à comment elles fonctionnent sur ces marchés, et à quel point elles acceptent de rogner les libertés ».

Pour Natalia Krapiva, de par leur présence, Google et Apple ont des responsabilités. Elle regrette que les plateformes ne s’expriment pas officiellement, laissant les autorités russes crier victoire. « Elles devraient dire la vérité: les ordres reçus enfreignent le droit international et ont été appliqués sous la contrainte », a-t-elle tweeté. « Elles subissent l’assaut des gouvernements autoritaires, mais elles ne doivent pas oublier que des millions d’utilisateurs dépendent d’elles ».

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