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Connaissez-vous Mobile Fortify ? L’application qui étend la reconnaissance biométrique au cœur de la société américaine

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Depuis plusieurs mois, les agents de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) disposeraient de Mobile Fortify, une application installée sur leurs smartphones de service, capable d’identifier une personne en temps réel à partir d’une simple photo de son visage ou d’une empreinte digitale sans contact. Cet outil serait désormais intégré aux opérations quotidiennes d’Enforcement and Removal Operations (ERO), la branche de l’ICE chargée des arrestations et expulsions.

À l’origine, les technologies biométriques du DHS (Department of Homeland Security) visaient à sécuriser les points d’entrée du territoire, aéroports, ports, postes frontières. Le Traveler Verification Service, par exemple, permet de vérifier l’identité des voyageurs à l’arrivée sur le sol américain par reconnaissance faciale. La base IDENT stocke les empreintes, visages et autres données de plus de 270 millions d’individus.

Désormais, un agent peut pointer son smartphone vers un visage ou une main dans la rue, transmettre instantanément la capture au serveur, et obtenir une correspondance en quelques secondes. Ce nouvel usage n’est pas anodin, il ne s’agit plus de contrôler un point d’entrée, mais d’identifier une personne à n’importe quel endroit, sans transparence, sans mandat judiciaire explicite, et dans un cadre légal incertain.

Une architecture biométrique interconnectée

Le système repose d’abord sur IDENT (Automated Biometric Identification System), la principale base de données biométriques du DHS qui centralise les empreintes, visages et données migratoires. HART (Homeland Advanced Recognition Technology) est en cours de déploiement et représente l’évolution d’IDENT, en intégrant d’autres traits comme l’iris ou la démarche. Le Traveler Verification Service, utilisé aux frontières, est également mobilisé. Enfin, les plateformes analytiques telles que celles de Palantir, couplées à l’Enforcement Integrated Database, permettent des corrélations croisées avec des informations géolocalisées, sociales ou financières. Cette architecture alimente Mobile Fortify, transformant chaque agent en point d’accès mobile à l’ensemble de l’infrastructure sécuritaire fédérale.

Des usages discrets mais invasifs

Selon les documents internes consultés par 404 Media, Mobile Fortify permet un usage mobile en « mode entraînement » ou opérationnel, dans des contextes aussi variés que des transports publics, des quartiers résidentiels, ou même des manifestations.

Ces déploiements ne seraient pas de simples test mais s’inscrivent dans une stratégie plus large, qui combine l’usage de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance faciale, de la géolocalisation et des croisements de fichiers. En juin, l’ICE a publié un appel d’offre évoquant un futur système capable de surveiller jusqu’à un million de profils simultanément.

Une légalité incertaine, un cadre absent

Le problème fondamental posé par Mobile Fortify est qu’aucune loi n’aurait explicitement autorisé son usage dans le contexte de la police intérieure. Les outils de reconnaissance faciale à la frontière reposent sur le consentement implicite du voyageur, ce qui n’est plus le cas ici.

En l’état, aucune directive publique ne précise les conditions de déclenchement d’un scan biométrique, la durée de conservation des données, les populations ciblées, les mécanismes de contestation d’une identification erronée, ou encore les modalités d’audit.

Des risques techniques et sécuritaires avérés

Le DHS lui-même a reconnu la faible fiabilité de la reconnaissance faciale dans un audit de février 2025. Les erreurs de matching sont fréquentes, notamment pour les personnes racisées. Des cas d’arrestations abusives fondées sur des faux positifs sont par ailleurs documentés.

Par ailleurs, les failles de cybersécurité sont sérieuses, un audit de septembre 2024 révèle que 73 % des mobiles ICE n’avaient pas les paramètres de sécurité requis. Plusieurs appareils étaient connectés à des réseaux non autorisés à l’étranger et des applications non sécurisées provenant de Chine ou de Russie étaient installées. Enfin, 30 % des téléphones mis au rebut n’avaient pas été correctement purgés de leurs données biométriques.

Une perte, un vol ou une attaque sur ces terminaux pourrait exposer les données personnelles d’individus scannés, parfois sans leur consentement.

Vers une normalisation de la surveillance biométrique mobile ?

Au-delà du cas américain, Mobile Fortify illustre un changement d’échelle. La biométrie mobile n’est plus un outil d’appoint mais devient structurelle, et potentiellement omniprésente. ICE aurait déjà exporté son savoir-faire via le programme BITMAP, en fournissant à des forces de l’ordre étrangères des outils de collecte mobile interconnectés avec les bases américaines.

Ce précédent pose de nombreuses questions car sans encadrement législatif,  et débat démocratique, l’évolution technologique risque de précéder toute réflexion juridique. D’autant que si cette évolution semble lointaine en Europe, elle pourrait inspirer, ou justifier, des politiques similaires dans d’autres démocraties, qui pourrait alors décider de s’en emparer.

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