Square a dépassé les attentes des investisseurs pour ses résultats du 3e trimestre. Le chiffre d’affaires ajusté de la FinTech a bondi de 40% par rapport à la même période de l’année dernière pour atteindre 602 millions de dollars, quand les analystes visaient la somme de 596,4 millions. L’entreprise créée en 2009, initialement pour permettre à tous les marchands de proposer le paiement par carte bancaire en transformant leur smartphone en terminal de paiement mobile, se mue à présent en une plateforme de services plus globale pour les marchands, et désormais, vise même les particuliers. Sa capitalisation boursière tourne aujourd’hui autour de 28 milliards de dollars.
Cependant, malgré son impressionnante croissance depuis son introduction en Bourse en 2015, les investisseurs ont commencé à douter de sa réelle capacité à atteindre la rentabilité. Les attentes étaient importantes. Au troisième trimestre de l’année dernière, Square avait enregistré un bénéfice net surprise, son premier, de 20 millions de dollars. Mais celui-ci était dû à son investissement dans Eventbrite, alors récemment entré en Bourse. En excluant ce paramètre et en ne prenant en compte que les opérations quotidiennes de Square, la startup enregistrait en fait une perte de 17 millions de dollars. Elle fait mieux ce trimestre avec un bénéfice net de 27 millions de dollars.
Comment Square est-il en train de creuser son sillon, à la croisée des services de paiement, des systèmes de points de vente mais aussi du transfert d’argent entre particuliers? Quels sont ses prochains défis?
Square et la sécurité
Pour rappel, Square a été fondé par Jack Dorsey, également à l’origine de Twitter, et le serial entrepreneur Jim McKelvey. Ils sont tous les deux toujours à la tête de l’entreprise. À son arrivée sur le marché, la société a fait une entrée remarquée dans le secteur des services financiers. Sa première cible: les petits marchands pour qui posséder un terminal bancaire classique revenait trop cher. Son produit de lancement consistait en de petits boîtiers à connecter aux smartphones via la prise casque afin de lire les principales cartes bancaires, via une application dédiée sur iOS et Android.
Pour se différencier des acteurs traditionnels et pour que la formule soit intéressante pour les petites structures, au lieu de proposer un abonnement mensuel, la startup prélève une commission. Aujourd’hui, celles-ci sont comprises entre 2,6% (+10 centimes de dollars) et 3,5% (+ 15¢) du montant de la transaction en fonction du mode de paiement (sans contact, cartes à puce glissées ou insérées…). L’entreprise revendique plus de 2 millions d’entreprises clientes.
Pourtant, à un moment, Square a pu sembler être en danger… Début 2011, la startup doit faire face à un vent de contestations concernant le niveau de sécurité de son système, provenant notamment de son rival VeriFone. Dans une lettre ouverte et vidéo de démonstration à l’appui, Doug Bergeron, alors CEO de VeriFone, affirme que des hackers peuvent facilement créer une fausse application pour récupérer les informations des cartes bancaires, le boîtier de Square ne cryptant pas les données avant qu’elles ne soient envoyées vers l’application de la marque. Ce dernier interpellant les partenaires de Square et allant jusqu’à demander à ce que les produits soient retirés du marché.
Mais finalement, si une telle démonstration aurait pu ébranler n’importe quelle entreprise, Square a semblé à peine vaciller. Jack Dorsey répondant avec beaucoup d’aplomb que «n’importe quel lecteur de carte crypté, un appareil photo, voire un stylo et un papier, peuvent être utilisés pour copier ou intercepter les informations d’une carte de crédit».
Il faut dire que dès ses débuts, la startup a pu profiter d’importants soutiens. Ses terminaux mobiles étaient par exemple disponibles au sein des Apple Store dès avril 2011 au prix de 10 dollars, de quoi participer à créer un sentiment de confiance chez les utilisateurs. L’implication de Jack Dorsey dans l’aventure a aussi contribué au rayonnement de la société. Cependant, c’est en comprenant parfaitement son marché et les besoins des micro-marchands que l’entreprise va parvenir à asseoir sa position…
À noter qu’en mars 2012, un an après la polémique, Square a tout de même fait évoluer son boîtier en remplaçant les anciennes versions par un lecteur incluant un système de cryptage, rendant ainsi illisibles les informations avant qu’elles ne soient envoyées vers l’application.
Une boulimie de produits
Depuis, Square innove à un rythme effréné. Du côté des solutions de paiement, dès 2013, la startup inaugure le Square Stand, qui permet de transformer un iPad en système de point de vente. En 2015, son lecteur de carte évolue également pour être capable de lire les cartes à puces- et plus seulement celles à bandes magnétiques- (une obligation, à la suite d’un changement de législation aux Etats-Unis). Il accepte aussi désormais le paiement sans contact (Google Pay, Apple Pay.…).
À partir de 2017, Square commence à viser une clientèle plus large que les micro-marchands avec la sortie de Square Register, un système de point de vente complètement intégré. Pour un rendu plus professionnel, par exemple, alors que le Square Stand ne disposait que d’un écran que le vendeur pouvait tourner vers le client si besoin, ce nouveau produit est livré avec deux écrans permettant à ce dernier de suivre l’enregistrement de ses produits. C’est la première incursion de Square dans le monde des PME, un point qui va être essentiel à son développement.
Depuis, Square ne cesse de nourrir ses produits avec une multitude de services: team et business management, inventaires, système de paie et de prise de rendez-vous, cartes cadeaux, gestion de la clientèle… la liste n’est pas exhaustive. L’entreprise a également décidé de s’organiser par verticale en proposant des systèmes de points de vente intégrés par secteur. Pour l’instant, on retrouve Square for restaurants et Square for retail.
Pour poursuivre dans son ambition de changer le visage des systèmes de paiement des points de vente, l’année dernière, la FinTech s’est tout simplement attelée à moderniser le bon vieux terminal bancaire avec Square Terminal.
Contrairement à ses précédents produits, il s’agit d’une machine indépendante qui ne se connecte pas à un smartphone, mais rend l’acte de payer un peu plus «élégant». C’est d’ailleurs l’un des grands signes distinctifs de Square depuis sa création: proposer à la fois des solutions matérielles au design élégant- tout de suite reconnaissables- et des solutions logicielles intégrées rendant leur utilisation simple. Un peu à la manière d’une marque comme Apple.
En 2018, la startup a également mis la main sur Weebly, spécialisé dans la création simplifiée de sites Internet et de boutiques en ligne, pour 365 millions de dollars afin de proposer des solutions omnicanales. À cela s’ajoute aussi un service de prêts aux entreprises et sa solution Cash App sortie en 2013: c’est son incursion dans le domaine du B to C. Lancée en 2013, l’application de paiement peer to peer permet notamment aux utilisateurs de s’envoyer de l’argent entre eux ainsi que l’achat, la vente et le dépôt de bitcoins à partir de portefeuilles externes.
Mais tous ces services pour quels résultats?
Cash App et les grands comptes à la rescousse
Récemment, Square a abandonné ses velléités dans la livraison de repas en revendant la startup Caviar, spécialisée dans le domaine et acquise en 2014 pour 44,3 millions de dollars, à DoorDash pour 410 millions de dollars. L’entreprise a annoncé vouloir doubler ses investissements et se concentrer sur son cœur de métier, les activités de paiement.
Mais ses autres paris sont plutôt une réussite. Avec son application Cash App, Square vient chasser sur les terres de Venmo, propriété du géant PayPal. Pourtant, en juillet 2018, l’appli de Square a dépassé celle de Venmo en nombre total de téléchargements cumulés en atteignant les 33,5 millions (contre 32,9 pour son concurrent). Les fonctions de base de Cash App comme envoyer de l’argent entre particuliers sont gratuites. En revanche, ces derniers ont la possibilité de payer pour profiter de certaines options. On peut par exemple citer la possibilité de réaliser un virement instantané vers son compte bancaire (commission de 1,5% par transaction avec un minimum de 0,25 dollars), au lieu du virement standard qui lui est gratuit et prend entre 1 et 3 jours. Les professionnels qui acceptent des paiements via l’appli doivent également s’acquitter de frais (2,75% par transaction).
Le succès du produit a contribué à accroître le chiffre d’affaires issu de la branche «abonnements et services» de l’entreprise qui a atteint un total de 279,8 millions de dollars au troisième trimestre, soit un bond de 68% par rapport à l’année dernière. Au sein de cet ensemble, les revenus issus de Cash App ont plus que doublé pour atteindre 159 millions de dollars, en partie grâce à la popularité de l’option « Instant Deposits » selon l’entreprise.
Du côté de sa volonté de ne plus s’adresser qu’aux micro-marchands mais à toutes les tailles de commerçants avec une palette de solutions matérielles et logicielles plus large, la stratégie porte également ses fruits. Square a ainsi vu son GPV (le «gross payment volume», soit le montant total de tous les paiements par carte traités par les vendeurs) augmenter de 25% par rapport à l’année dernière pour atteindre 28,2 milliards de dollars. Un indicateur que les investisseurs suivent de près. Or, les plus grandes structures sont celles qui continuent à l’impacter le plus fortement. La proportion des marchands «mid-market», soit ceux avec un volume de transaction dépassant 500 000 dollars par an, a bondi de 44% par rapport à l’année dernière pour représenter 27% du GPV. La part de ceux que l’entreprise appelle les «larger sellers», avec un volume de transaction dépassant 125 000 dollars par an a augmenté de 34% pour représenter 55% du GPV.
Pour encore rassurer sur la viabilité de son business model, Square vient d’annoncer que son écosystème de vendeurs est sur le point d’atteindre une marge ajustée de l’EBITDA (résultat avant intérêts, impôts, amortissements et amortissements) de 30% en 2019, alors qu’il était encore négatif en 2015 (-9%).
Cela suffira-t-il à la startup pour rassurer les investisseurs et poursuivre sereinement son plan de développement? Car face à son manque de rentabilité depuis sa création son cours de Bourse a été relativement malmené ces derniers mois…
Des investisseurs aux aguets
Sur les 12 derniers mois, Square a ainsi vu son cours de Bourse chuter de plus de 15% alors qu’au même moment l’indice S&P 500 affichait un retour en grâce avec une hausse de 12%. Il faut dire que dans le contexte actuel et alors que l’entreprise fête ses 10 ans d’existence, les investisseurs attendaient de réels gages montrant que Square a la capacité d’atteindre une rentabilité durable.
Un enjeu que pointe également CB Insights dans son dossier consacré à Square, rappelant que «malgré sa massive valorisation, la société a historiquement fonctionné à pertes».
Pourtant le cabinet d’analyses se veut confiant. «Plutôt que de se concentrer sur les bénéfices à court terme, Square réinvestit son argent dans des initiatives à long terme qui renforcent sa marque et ses produits, et/ou l’aide à vendre aux clients existants de nouveaux produits plus chers». Il s’agit de sa large palette de produits qui lui permettent de répondre de plus en plus aux différents besoins des marchands, mais aussi de toucher de plus grandes structures. À cela s’ajoute la popularité de son application B to C et la possibilité que lui offre une expansion internationale pour l’instant largement inexploitée. En dehors des Etats-Unis, la FinTech est seulement présente dans quatre autres pays: au Canada, Japon, Royaume-Uni et en Australie.
À la suite de la publication de ses résultats, le actions de l’entreprise basée à San Francisco étaient en augmentation de 4,35% à un peu plus de 64 dollars à la clôture. Si Square semble avoir sauvé les meubles avec ces dernières performances, des résultats positifs sur le long terme sont encore attendus.
iZettle en embuscade
Sans oublier qu’il va aussi falloir que Square parvienne à lutter sur le long terme face à ses concurrents dont PayPal, qui en plus de détenir Venmo a aussi mis la main sur iZettle l’année dernière pour 2,2 milliards d’euros. La startup d’origine suédoise propose aussi des terminaux de paiement pour les micro-marchands avec également un accent mis sur le design. Pour l’instant plus petit que Square, iZettle n’a en revanche pas investi les mêmes marchés. La startup opère davantage en Europe et Amérique latine. Mais si elle continue à se déployer, elle pourrait prendre une longueur d’avance à l’international. On peut également citer la présence de l’Anglais SumUp sur le marché.