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[DECODE Banking 4.0] Part 3: revitaliser le modèle bancaire en France

Par Fabien Giuliani, Doctorant en prospective chez Conservatoire National des Arts et Métiers

Marges d’exploitation très faibles, risque systémique élevé, réglementations contraignantes, émergence d’une concurrence sur les usages incarnée par les plateformes numériques et les fintechs, difficulté à orienter la proposition de valeur vers l’utilisateur… Il est urgent pour les banques de réagir et de repenser leur modèle de croissance. Une translation de la proposition de valeur qui doit se calquer sur la dynamique des forces remodelant actuellement le secteur mais aussi réaffirmer les atouts et les particularités de la banque. Voici quatre axes desquels pourrait déboucher le modèle bancaire des années 2020.

Renouveler l’offre de service en adoptant le modèle de la plateforme

L’essor généralisé du cloud et l’émergence d’écosystèmes de startup digitales sont les manifestations de l’influence croissante du modèle économique des plateformes digitales. Considérant le rôle prépondérant des SI dans la chaîne de valeur bancaire, l’hypothèse de la transformation du modèle bancaire vers celui de la plateforme numérique mérite d’être sérieusement considérée, d’autant qu’une mutation des usages s’opère actuellement.

Face à cette menace, les majors peuvent abattre différentes cartes. les majors peuvent abattre différentes cartes. Par facilité, ces dernières sont tentées de s’adonner à un certain immobilisme légitimé par le constat que la mise à disposition d’interfaces digitales suffit parfois à conserver les usagers. A contrario, il leur est possible d’adopter une posture offensive en développant de solutions propriétaires vouées à concurrencer les nouveaux entrants, ou encore de miser sur la cocréation d’usages et de revenus en s’alliant avec des acteurs externes. Cette dernière option permet d’envisager la plateformisation d’un modèle bancaire qui attirerait alors à lui un écosystème de start-up voué à renouveler sa proposition de valeur.

L’adoption d’un modèle basé sur l’exploitation d’une plateforme semble être incontournable mais elle n’est pas pour autant une garantie de succès. Face à des concurrents ayant pris de l’avance dans le domaine, les banques devront parvenir à générer de nouveaux usages en captant un réseau de fintechs. Pour cela elles devront s’appuyer sur leur maillage territorial (agences bancaires) pour repérer les start-ups à fort potentiel avant que la valeur de ces dernières ne s’envole. C’est notamment le cas d’Arkéa, qui tend à développer un modèle de plateforme s’appuyant sur son écosystème de fintechs pour renouveler sa proposition de valeur autour des usages.

S’appuyer sur l’open innovation pour catalyser la valeur

 Dans un contexte de marges faibles, les banques doivent trouver des alternatives au financement de programmes d’innovation internes classiques.

La banque peut pour cela s’appuyer davantage sur la multitude de ses usagers afin de repenser les processus de création de produits. Ce désilotage de l’offre bancaire s’accommode parfaitement du mouvement de plateformisation à l’œuvre dans l’économie: l’organisation en plateforme permet en effet d’intégrer au sein d’un écosystème les propositions de valeurs conçus par des acteurs digitaux travaillant sur différents métiers ou usages. Dans cette perspective de construction de services intégrés, le renouvellement de la proposition de valeur bancaire prendra donc la forme d’une diversification horizontale, organisée pour capter de nouvelles sources de revenus en s’appuyant sur trois ressources: l’accès au client, la légitimité en matière de transaction financière et la qualité du back office, conditionnée par sa souplesse et par la documentation de son API. 

Dans son évolution vers la cocréation de valeur, la banque possède trois alliés naturels : les start- uppers, les intrapreneurs… et les clients ! Plusieurs expériences de cocréation de valeur avec les clients sont actuellement en cours. La plus ambitieuse semble à créditer au Crédit Agricole, qui s’est doté d’une plateforme communautaire nationale, le CA-STORE, permettant aux usagers de tester de nouvelles applications – développés aussi bien en interne que par des start-up tierces, et de proposer le développement de nouveaux services. Les banques se montrent par ailleurs très actives en matière d’incubation de start-up vouées à nourrir leurs offres. Citons les incubateurs « Bressst » d’Arkéa et « 24 villages by CA » du Crédit Agricole. Elles peuvent enfin s’appuyer sur le développement de l’intrapreneuriat, à l’image de la BPCE qui a créé en 2017 son laboratoire « 89C3 factory ». Le groupe ambitionne d’ouvrir 6 à 7 de ces centres « d’accélération digitale » en France et à l’étranger qui rassembleront les compétences de près de 1 000 collaborateurs autour de 4 pôles d’expertise : expérience utilisateur, données, technologies et transformation digitale. 

Oser l’agence expérientielle et phygitale 

La phygitalisation désigne l’ensemble des dispositifs digitaux mis en place dans les points de vente physiques afin de faciliter ou d’améliorer le processus d’achat. Cette tendance phygitale marque actuellement le renouvellement de l’expérience client dans le secteur du commerce de détail. Les agences bancaires peuvent s’inspirer dans cette mouvance expérientielle en s’appuyant sur le phygital mais également sur la mise à disposition de services connexes.

Dans le secteur de l’assurance, la MAAF a ainsi lancé en 2017 un nouveau concept voué à endiguer l’érosion de la fréquentation de ses points de vente (-30% entre 2012 et 2017). Cette modernisation met l’accent sur un design épuré, la mise à disposition d’interfaces digitales dans la salle d’attente et… la prise en charge personnalisée du client !

La major américaine Capital One se montre encore plus ambitieuse en proposant une expérience client inédite. Son nouveau concept, cocréé en partenariat avec l’enseigne Peet’s Coffee, transforme les agences bancaires en des lieux de coworking et de networking ouverts à tous. L’intérieur des agences ne diffère guère de celui d’un café, ou de grandes tables et des fauteuils confortables s’offrent aux clients souhaitant rencontrer un conseiller bancaire ou simplement travailler autour d’un café.

Réinventer le sens de l’activité : une banque user centric et collaborative

La France compte 37 000 agences bancaires. Las ! Cet excellent maillage ne se traduit pas par un ancrage territorial affirmé en comparaison aux voisins allemand et italien. Les acteurs coopératifs (BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel) voient au contraire leurs modèles décentralisés se rapprocher sensiblement de celui des banques nationales. Cependant, c’est bien le mouvement inverse qui semble souhaitable, aussi bien du point de vue de la cohésion territoriale que de celui de l’utilité sociale de l’institution bancaire. En cela, la volonté d’Arkéa de sortir du CM11-CIC en phase de centralisation fait parfaitement sens: elle correspond au fort ancrage géographique et à la tradition de décentralisation du groupe coopératif breton. 

Les banques françaises, toujours bien dotées en agence et en conseillers clientèle, disposent de réels atouts pour restaurer le lien avec leurs clients en misant sur la proximité, le conseil personnalisé et le financement de l’activité économique locale. Dans une perspective user centric, la proposition de valeur bancaire devrait se muer en facilitation de projets personnels ou entrepreneuriaux. Par exemple, pour l’achat d’un domicile, la banque user centric débordera du rôle traditionnel de fournisseurs de crédit et d’assurance, et s’appuiera sur son écosystème de partenaire pour à accompagner l’utilisateur depuis la recherche du bien jusqu’à son acquisition.

Tout comme la tendance user centric contribue à la reconfiguration de l’offre autour des usages, le renouvellement de la banque coopérative peut tirer parti du virage collaboratif afin de réinventer la mission de l’institution. La banque collaborative se présenterait comme une structure ouverte qui viserait à faciliter le financement d’initiatives locales. Elle mettrait une partie de ses ressources (locaux, logiciels, temps de travail des collaborateurs, licence bancaire…) à disposition de ses sociétaires dans une logique bottom-up. Elle se constituerait en quelque sorte en acteur d’utilité publique, plateforme physique et numérique, capable à la fois d’irriguer financièrement les projets des acteurs de son bassin territorial et d’en faciliter la réalisation. Par leur tradition et par leur ancrage, les banques coopératives historiques françaises (Crédit Agricole, Crédit Mutuel, BPCE…) auraient les moyens de relever le défi de la banque collaborative… si elles n’avaient pas choisi le chemin inverse, en suivant un tropisme centralisateur inspiré des établissements nationaux.

Enfin, le choix d’un axe collaboratif, qui trouve des synergies immédiates avec les facilités de communication offertes par le digital, présente un ultime avantage : celui de repositionner la banque comme prestataire légitime d’un service financiers de proximité – positionnement dont les plateformes géantes américaines et chinoises, aussi puissantes soient-elles, ne pourront jamais se prévaloir.

Le contributeur :

Conférencier et doctorant en science de gestion, Fabien Giuliani étudie le lien entre veille stratégique et prospective. Ses travaux de recherche visent en particulier à mettre en lumière les utilisations de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’intelligence économique.

Fondateur du cabinet Demain la Veille, il conseille les entreprises en termes de stratégie de transformation digitale et de gestion de l’information stratégique. Les mutations liées à l’économie digitale sont sa thématique de prédilection.

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