Laurence FaguerLes Experts

E-commerce: la stratégie d’Yves Rocher pour accélérer sa transformation digitale

Interview de Kuider Akani, Global Chief Digital & E-Commerce Officer de Yves Rocher, par Laurence Faguer, experte retail et beautytech

Beaucoup seraient anxieux pour moins, lui est d’une sérénité déconcertante. Peut-être ses 8 ans passées à diriger le online du PMU. En pleine migration de ses 22 sites web mondiaux sur une plateforme unique, Kuider Akani, Global Chief Digital & E-Commerce Officer de Yves Rocher, a pris la vague du Covid-19, et plutôt de belle manière. Il a pris le relais du jour au lendemain des 2 500 boutiques que compte la marque experte de la cosmétique végétale dans le monde. Sa première interview depuis cette pandémie qui a pris de court le monde entier.

 

:: Parlons d’abord de vous. Vous êtes le Global Chief Digital & E-Commerce Officer de Yves Rocher depuis 3 ans, quel est votre rôle ?

Kuider Akani : Je suis en charge du digital, du e-commerce et des médias pour la marque Yves Rocher. Dans ce cadre, je définis les stratégies digitales de la marque et accompagne 30 marchés – Europe, Asie et Amérique du Nord, dans leurs mises en œuvre. Mes grandes missions depuis trois ans ont été de 3 ordres : relancer l’activité e-commerce de la marque au niveau mondial, mettre à plat et dessiner nos stratégies social media et accompagner les marchés dans la professionnalisation de leurs pratiques digitales locales. J’exerce également un rôle de conseil ponctuel auprès des autres marques du Groupe Rocher, sur les problématiques digitales.

 

:: Quelles furent vos priorités à votre arrivée ?

J’ai principalement travaillé sur la mise en place des fondamentaux sur lesquels la marque peut désormais accélérer sa transformation digitale en particulier sur le e-commerce.

  • Faire évoluer les organisations pour permettre à chaque marché ou cluster de disposer du bon niveau d’expertise et du bon modèle d’organisation digitale et e-commerce pour développer son activité online.
  • Mettre à plat nos stratégies média online et les orienter autour de la performance comme axe principal, tout en accélérant la présence de la marque sur les réseaux sociaux majeurs (Facebook, Instagram et Youtube).
  • Faire évoluer l’expérience client digitale au travers de nouvelles fonctionnalités et services (AI de personnalisation des parcours, skin / hair diagnostics, optimisation des solutions de livraison, développement de nouveaux moyens de paiement…) avec une orientation mobile first volontaire.
  • Organiser le passage de 3 plateformes technologiques à une plateforme unique (Hybris) supportant l’activité e-commerce et permettant à la marque de construire une expérience digitale consistante au niveau mondial sur les 22 sites e-commerce que la marque compte dans le monde.

 

:: Quels bénéfices en attendez-vous ?  Une telle migration n’est pas un petit chantier.

C’est un travail de 18 mois, qui nécessite une parfaite coordination entre équipes métier, IT et marchés. Plus de 50 personnes interagissent pour réussir chaque migration de site en mode agile. Nous avons livré il y a quelques semaines la nouvelle version des sites US, canadiens et turques, qui, en plus d’être très performant d’un point technique (loading time, speed index, bounce rate) délivre une meilleure efficacité commerciale avec des taux de conversion largement optimisés et une meilleure expérience de marque. Les marchés sont désormais équipés pour monter rapidement en puissance sur le développement de leur activité e-commerce. Ils bénéficient par ailleurs de solutions technologiques externes identifiées par notre Digital Factory visant à continuellement développer la performance on-site.

https://www.yvesrocherusa.com

:: Yves Rocher a été élu en 2019 le site préféré des Français, tous secteurs confondus, sur la base d’un sondage exclusif réalisé pour le compte de la Fevad. Une fierté ?

C’est le fruit du travail des équipes digitales du marché France et des équipes digitales de la marque ainsi que des équipes IT, qui ont pour point commun d’avoir un niveau d’exigence élevé et constant pour délivrer la meilleure expérience client digitale. C’est aussi le résultat de notre stratégie mobile-first initiée depuis 18 mois et orientée sur la délivrance de services mobile et l’amélioration de l’expérience utilisateur sur notre site mobile. Nous étions un peu en retard en mobile, aujourd’hui, plus des deux tiers de notre trafic et plus de 50 % des ventes online sont réalisés sur mobile.

Site mobile | Live stream social commerce sur lazada | Compte instagram avec la publication de messages volontairement non commerciaux. Credit : Groupe Yves Rocher

 

:: Vous avez aussi sous votre direction les médias online et offline, ce qui est plutôt rare

La marque Yves Rocher privilégie les investissements online dans une logique de performance. Dans certains marchés stratégiques où le contexte peut le justifier (position de leader, image de marque haut de gamme,), nous investissons également dans les médias traditionnels. Nous publions également beaucoup de contenus ‘organiques’.

Pour le média online, je considère que pour répondre à nos objectifs de croissance, le niveau d’investissements média online doit représenter entre 15 et 20% du CA online. Evidemment la contribution de ces investissements est monitorée au plus près et ajustée au fil de l’eau au vu de leurs efficacité (taux de rebond, taux de conversion mobile, transactions, sales, AOV…).

Nous avons également développé des relations étroites avec les plateformes média majeures (Facebook/Instagram, Google/Youtube) avec lesquelles nous travaillons sur un mode partenariat.

« Nous avons eu des croissances en eCommerce à 3 chiffres, voir 4 chiffres »

:: Et puis est arrivé le 17 mars, 1er jour du confinement en France. Que se passe-t-il dans la tête du Directeur e-commerce d’une entreprise possédant  2 500 boutiques dans le monde ?

Evidemment, ça a été un choc pour la marque qui a vu son activité retail s’arrêter brutalement dans le monde. L’activité e-commerce a évidemment bénéficié, quant à elle, d’une croissance. Mais cela est loin de compenser les pertes retail.

 

:: Quelles mesures concrètes avez-vous pris afin que le eCommerce prenne le relais des boutiques ?

Nous avons eu plusieurs séquences de communication. Tout d’abord, nous avons communiqué sur le fait que, si les boutiques étaient fermées, nos sites étaient bien évidemment  accessibles et en mesure de traiter les demandes de produits de nos clientes. Ensuite, nous nous sommes adressés à nos différentes catégories de consommateurs, et en particulier à nos clientes qui privilégient l’achat en boutiques et qui ont moins l’habitude d’acheter en ligne, et les rassurant notamment sur le paiement online et la livraison à domicile. Les produits d’hygiène et de soin étant les plus demandés, ils ont été largement mis en avant. Et nous avons réduit les conditions pour accéder à la gratuité des frais de livraison. Cette crise nous a également poussé à accélérer la mise en place de nos stratégies omnicanales notamment autour des offres clients.

 

:: Vous avez aussi beaucoup pris la parole avec des messages non commerciaux

L’ADN de la marque Yves Rocher est le respect de la planète, l’engagement et la reconnexion à la nature en particulier grâce à nos terres et nos experts (agronomes, botanistes, chef cuisinier, coach bien être…), à La Gacilly, en Bretagne où nous avons plus de 60 hectares de champs de fleurs, nos usines pour plus de 90% de la production mondiale et un eco-hôtel spa. Nous avons poussé sur nos sites et sur nos comptes social media des contenus de marque orientés autour de notre engagement pour la planète et la nature. La proximité à la nature est dans notre ADN depuis la création de la marque il y a plus de 60 ans.

 

:: Quel a été la croissance du eCommerce durant la fermeture temporaire de vos magasins ?

Depuis avril, nous observons des croissances de nos ventes en ligne à 3 chiffres, voire 4 chiffres dans certaines régions.

 

:: En augmentant vos budgets media digital ?

Nous avons simplement maintenu nos investissement média online à la performance. Nous avons par ailleurs bénéficié d’un report vers le web d’une faible partie des ventes habituellement réalisées en boutique. Ensuite, de nouveaux clients sont venus à la marque dans ce contexte particulier. Nous bénéficions d’un atout majeur avec 30 millions de clientes dans le monde que nous connaissons individuellement et avec lesquelles nous avons pu dialoguer.

 

:: Pensez-vous que vos clientes « retail » qui auront découvert le online à la faveur du Covid-19, vont continuer à acheter en ligne ? 

Nos clientes vont tout d’abord retrouver nos boutiques et leurs conseillères beauté avec plaisir. Ensuite, durant la réouverture progressive des boutiques qui appliquent des mesures sanitaires contraignantes, le e-commerce devrait bénéficier dans une moindre mesure d’un report de ventes. Enfin, quand l’activité retail reprendra sur un mode proche de la période prè-covid 19, il y aura probablement en effet de traîne favorable au e-commerce. Quel sera son ampleur ? Nous le découvrirons au fil de l’eau.

 

:: Après cette vague eCommerce que vous avez su saisir, et qui a démontré l’intérêt des clientes pour ce canal, qu’allez-vous faire ?

Nous allons nous ré-interroger sur nos ambitions. Il y a un bon momentum. Le eCommerce est un levier à très fort potentiel si nous savons l’activer. Nous pourrions faire plus. J’espère qu’il y aura une accélération des ambitions eCommerce pour monter ce levier, à la fois en part de marché dans la distribution de la marque, et en part de croissance.

 

:: Pensez-vous que les consommateurs vont acheter plus responsables, notamment en soin et cosmétiques ?

Je crois à la puissance des marques. Les marques qui ont une histoire, une profondeur, sortiront renforcées de cette crise. Yves Rocher est une marque authentique qui puise ses racines dans la cosmétique végétale depuis 60 ans et Le Groupe Rocher s’est doté récemment d’une mission « reconnecter les gens à la nature ». Ces atouts sont de nature à rapprocher davantage la marque de ses consommatrices.

 

:: D’un point de vue parcours du client e-commerce, qu’est-ce que cette crise vous a appris ? Sur quelles briques voulez-vous accélérer ?

Cette crise nous pousse à travailler encore plus en profondeur l’expérience client digitale en améliorant de manière continue notre niveau de services. Prenons l’exemple de la livraison, nous devons disposer probablement de solutions de livraisons et de mise à disposition de nos produits élargies pour mieux répondre aux attentes de nos clientes (clic & collect, e-réservation, livraison express…). L’autre brique est celle du paiement. Il me semble que les consommateurs ont été nombreux à changer de comportement durant cette crise. Personnellement, chaque fois que cela est possible, je paie mes achats en boutique via ApplePay avec mon mobile, je ne manipule plus d’espèces. Le ticket de caisse dé-matérialisé devrait également devenir une attente forte des consommateurs. Online, le paiement doit être également davantage facilité.

 

:: D’autres sujets ?

Le rôle des conseillères en point de vente : ce rôle devrait être renforcé notamment au travers des outils digitaux permettant de délivrer davantage de services. Par exemple, en Chine et en Asie du Sud Est, le vidéo live streaming proposé par les plateformes telles que Lazada ou Tmall permet à une conseillère beauté de dialoguer en direct de la boutique avec une cliente ou d’inviter un nombre important de clientes pour une beauty party de découverte des dernières innovations produits.

 

:: Les boutiques Yves Rocher sont ré-ouvertes depuis plusieurs semaines. Est-ce back to normal

Non, la réouverture des boutiques est progressive et soumise encore à des règles sanitaires des plus strictes. Nous sommes évidemment très heureux de pouvoir accueillir nos clientes en boutique.

 

:: Vous avez évoqué l’atout de posséder sa propre base clients. Plus généralement, pensez-vous que le fait d’être une entreprise qui s’est développée avec tant de succès sur le modèle de la vente à distance, du direct-to-consumer, vous rend plus fort que d’autres acteurs de la beauté qui n’ont pas nécessairement cette culture Data / CRM ? 

En maîtrisant la chaîne de valeur de la culture des plantes, à leur récolte, de la production à la distribution, Yves Rocher dispose d’un atout majeur en général et critique dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui. Le fait de pouvoir dialoguer régulièrement avec nos 30 millions dans le monde est un atout également très important.

 

:: Par rapport à votre expérience au PMU et au monde des paris online où vous avez passé 8 ans, y a t-il des points communs avec la situation que vous connaissez actuellement chez Yves Rocher ?

J’ai travaillé au PMU dans le contexte de l’ouverture du marché des paris online à la concurrence. Dix huit mois de préparation pour livrer une bataille qui a duré près de 5 ans face à 30 opérateurs de paris online ambitieux. Dans le cadre de mes fonctions chez Yves Rocher, je vis une crise sanitaire et économique sans précédent. Dans ces deux contextes différents, il est nécessaire de choisir ses combats et d’éviter la dispersion.

L’experte:

Laurence Faguer est une marketeuse et entrepreneuse « go-between » France et USA, fondatrice de Customer Insight.

A la demande d’entreprises françaises, elle repère en personne les innovations en Digital, Mobile et Retail aux Etats-Unis, avant qu’elles ne soient connues en France, puis les aide à transposer avec succès ces stratégies ayant fait leur preuve aux U.S.

Laurence est l’une des expertes retail et beautytech de FrenchWeb, vous pouvez régulièrement retrouver ses analyses, et interview sur Decode Retail.

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