[Expert] Réussir en utilisant des actifs immatériels non propriétaires, par Bertrand Duperrin
En deux phrases : l’adoption de nouveaux modes d’organisation est rendue nécessaire par la nécessité d’optimiser l’usage fait des actifs immatériels de l’entreprise. Au delà de ce sujet déjà complexe émerge une autre réalité : l’entreprise, aussi bien en interne qu’en externe doit apprendre à mobiliser et développer des actifs qui ne lui appartiennent pas, ce qui pose à la fois la question des modèles d’engagement et de la pertinence instruments de pilotage et allocation des ressources actuels.
Si l’on prend un tant soit peu de recul par rapport aux approches aujourd’hui qualifiées de « social business » ou « entreprise 2.0 » et qu’on essaie d’aller un peu plus loin que les effets de surface tels que l’utilisation des technologies sociales (qui à mon avis ne sont pas constitutives d’un nouveau modèle mais en sont le support) et des notions fourre-tout telles que collaboration, partage et transparence, on peut résumer le sujet en une phrase.
C’est une problématique liée à la mobilisation où et quand il faut et au développement de ce qu’on appelle couramment les actifs immatériels de l’entreprise. Comprenez par là ses salariés, leur savoir, leur capital relation, l’image et la réputation de l’entreprise et de ses collaborateurs, le leadership de chacun etc.
Des business models dédiés à l’exploitation de actifs immatériels
C’est d’ailleurs, même si les termes peuvent varier d’une occurrence à une autre, la manière dont je définit social business ou entreprise 2.0 lorsqu’on me pose la question. C’est une entreprise développant la capacité à mobiliser…..bla bla bla. Les dites capacités s’appréhendant de manière plus profonde que la traditionnelle et vague adoption : stratégie, compétences, systèmes, valeurs etc… sont autant d’axes d’action tangibles qui sont au coeur du dispositif davantage que l’adoption volontaire et contre nature de comportements individuels allant à l’encontre du système. Des choses à prendre en compte avant de penser technologie, éventuellement en même temps mais surtout pas après si on désire éviter l’effet « Boite de Pandore« .
Mais au delà des difficultés liées à la nécessité même d’inventer des modèles organisationnels adaptés à la valorisation d’actifs jusque là laissés pour compte par des modèles taylorien ou post taylorients qui ne leur ont pas laissé de place dans les systèmes de valorisation et allocation de ressources, induisant des arbitrages et décisions inadaptés au contexte qui est le notre, se cache un autre point tout aussi sensible.
En effet quand je parle de la capacité d’une entreprise à [….] ses actifs immatériels, je commet une grossière erreur et introduis un biais dans le raisonnement. On ne parle pas de ses actifs mais d’actifs tout court. Car une des choses que les entreprises ont encore du mal à concevoir et intégrer dans leur raisonnement c’est de pouvoir et devoir également créer de la valeur avec des actifs immatériels ne leur appartenant pas voire de participer au développement des actifs d’autrui. Concurrents compris. Une vraie gageure.
Bien sur un grand nombre des actifs en question « appartiennent » à l’entreprise. Quoi que cela reste sujet à discussion. C’est d’ailleurs un des principaux problèmes de l’application d’un modèle conçu pour des actifs matériels à une économie où la valeur réside davantage dans l’immatériel. Une machine a un bouton on et un bouton off et on décide de sa capacité de production. Elle obéit. Aujourd’hui les actifs clé sont propriétaires de leur force de travail : ils peuvent en libérer plus ou moins voire décider un jour ou l’autre de quitter l’entreprise. C’est ainsi qu’on a découvert des sujets tels que la motivation, l’engagement, le leadership et plus récemment le bien être au travail.
L’enjeu de l’exploitation de ressources non propriétaires
Mais d’autres ne lui appartiennent clairement pas. Ses clients par exemple voire l’internaute lambda. Des personnes à qui on demande de porter le message de l’entreprise, de participer à des dispositifs d’innovation, à des communautés de support en ligne etc. Non seulement des questions tels que la motivation et l’engagement se posent également ici mais il s’agit dans certains cas de faire monter les personnes en question en compétence. Leur donner des éléments leur permettant de comprendre l’entreprise, le produit, la stratégie. Voire partager quelques « exclusivités » afin à la fois de leur donner envie de jouer un rôle ainsi que les éléments pour tenir leur place. Il s’agit également de partager des problèmes avec eux sans quoi ils seront bien en peine de contribuer à les résoudre.
Ces derniers points qui relèvent du « développement » de l’actif soulèvent une autre question : ces actifs sont parfois et souvent ceux des concurrents, les communautés de clients et de fans d’un secteur et d’un produit étant souvent partagées avec plusieurs acteurs du secteur. Donc si développer son actif « communautaire » peut rendre la relation plus exclusive, cela signifie aussi que vos concurrents peuvent profiter de relais plus informés et aguerris s’ils arrivent à les mobiliser.
Le développement des collaborateurs au travers de logiques de veille et de networking sous entend également la multiplication « gagnant gagnant » d’échanges entre pairs. Qui peuvent bien entendu être extérieurs à l’entreprise. On le voit tous les jours sur le terrain : vos collaborateurs progressent…avec leurs concurrents tout autant qu’ils les font progresser.
Autre exemple même s’il pose moins de problèmes de conscience : l’analyse des marchés par le biais du sentiment analysis et l’utilisation de « Bigdata » pour prendre des décisions stratégiques. Lorsqu’une entreprise ou un gouvernement utilise des millions de signaux éparpillés sur les médias sociaux pour comprendre son environnement, les besoins, quasiment en temps réel et donner du sens à ce qui ne ressemble qu’à un immense puzzle éparpillé, cela suppose l’utilisation d’actifs « extérieurs », l’exploitation d’un bien commun. Ici la différence ne se fera donc pas non plus sur l’accès à l’actif mais sur la qualité de son exploitation. Ou alors on réfléchira à des approches permettant d’ »enfermer » des actifs qualifiés dans des communautés privées afin d’avoir l’exclusivité de leur ressenti.
Dernier point mais non des moindres : la mobilisation des ressources au sein de l’entreprise. Je discutais il y a quelque temps avec une personne travaillant dans une très grande entreprise internationale qui avait bien compris l’enjeu. Sur un sujet stratégique donné ils avaient entrepris d’identifier les meilleurs « actifs » internes (voire d’attirer certains externes de haut niveau), de les faire progresser ensemble, les mettre à contribution pour diffuser et essaimer les bonnes pratiques au sein de l’entreprise et…. constituer une task force de haut niveau pour des projets de transformation interne. Vous vous souvenez quand je parlais de mobiliser « où et quand » c’était nécessaire. C’est là que le système s’est sévèrement grippé. Qui dit entreprise globale dit taskforce répondant à une autorité mais dont les membres sont, administrativement, légalement et….comptablement affectés a différentes entités locales.
Moralité : mobiliser la task force pose des problèmes de couts car le bénéfice de leur intervention sera ressenti sur des business unit qui ne sont pas celles dont dépendent les membres. Donc si leur impact global est positive, ils sont localement improductifs et leur management « local » essaie donc de se les accaparer sur des projets locaux et tout faire pour ne pas les mettre à disposition. Si l’économie du savoir est une réalité conceptuelle et observable, elle n’est toujours pas une réalité opérationnelle et c’est un vrai soucis, pas plus que le développement du capital humain n’a de sens au regard des normes de mesure et de pilotage. Cette entreprise, pourtant en avance sur ses pratiques vient donc de découvrir ce qui me semble être un enjeu majeur des transformations à venir : la nécessité de modèles comptables et financiers adaptés à une entreprise en réseau / sociale / 2.0. On en revient au traditionnel « l’allocation des ressources tue la collaboration » de l’ami Goldratt.
La mobilisation et le développement de ressources « non proprétaires » pose bien des problèmes « soft » : engagement, confiance, motivation et passer outre la peur de développer des actifs qui pourraient être utilisés par d’autres parce qui une entreprise s’en prive, les autres ne se priveront pas d’en tirer le meilleur. Ces actifs étant d’une certaine manière des « biens communs » ce qui sera d’ailleurs différenciant ne sera plus la propriété exclusive mais la capacité à en tirer le meilleur d’un point de vue organisationnel. Ce qui nous amène à prendre conscience d’enjeux plus « hard » et techniques : processus, systèmes et modèles d’engagement permettant de créer davantage de valeur que ses concurrents à ressources équivalentes et système de pilotage et d’allocation rendant leur mobilisation possible.
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Très belle réflexion.
C’est un sujet sur lequel on travaille depuis quelques temps mais de manière très ciblée sur notre milieu professionnel : la com
Car depuis la fin de la bulle, les agences ont vu leurs modèles évoluer à grande vitesse et un nouveau mode de collaboration a pris forme. Le freelance c’est imposé dans la plupart des agences mais certaines se sont constituées des équipes externes dédiées. C’est à dire que nous ne sommes plus réellement dans le cadre classique du prestataire qui va travailler ponctuellement sur un ou deux sujets. Mais de véritables collaborateurs avec un statut « social » équivalent à celui de leurs salariés.
Certes les règles sont différentes entre eux mais la collaboration prend tout son sens dans ses entreprises et tend à atténuer les frontières naturelles de l’entreprise.
Nous sommes convaincu qu’il se prépare là une (r)évolution majeure dans le modèle des entreprises, car ce modèle répond en grande partie au besoin naturel de flexibilité, mais aussi d’engagement, dont on besoin les entreprises d’aujourd’hui.
Bonjour,
Superbe article……si « malheureusement » vrai; le plus « malheureusement » vrai dans le milieu dont Marc parle. Que ce soit avec des clients, des partenaires, des associés et/ou des investisseurs « très très sérieux et rationnels », on parle d’un paradigme « conceptuel » pour vite retomber au paradigme « classique »…au moment de signer bien sûr.
Je crois aussi, comme Marc, qu’une évolution majeure est à l’oeuvre…l’entreprise distribuée?
En ttk, je me répète, bel écrit (court-clair-précis)
;-)
Merci