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FoodTech: la robotique va-t-elle s’inviter dans nos restaurants et nos assiettes?

Par Nicolas Halftermeyer, directeur communication de SoftBank Robotics Europe

Un chef étoilé pourrait-il un jour apprendre et transmettre son art culinaire à un robot? Cela nous paraît fort improbable dans l’état de l’art actuel, même avec les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle et de la cobotique.

Pourtant, c’est un fait, les robots commencent à se faire une place à notre table : ils ont commencé chez des particuliers dans les années 1970 –à l’époque le petit robot de cuisine est l’une des meilleures ventes en électroménager– mais étaient très peu visibles dans les restaurants, les cantines jusqu’à peu.

En Australie, début 2020, le Nisska Ice Cream Bar a déployé 3 robots, un humanoïde pour l’accueil, un bras robotisé pour battre la crème glacée et un dernier pour les « toppings » – les différentes garnitures. Pour ses créateurs, Anton Morus, roboticien, et Kate Orlova, biologiste, le projet est un théâtre -et derrière ce sont 14 ingénieurs et techniciens qui s’attachent à la conception et la maintenance.

© Niska Robotic Ice Cream Bar, Crossbar Building Federation Square, Melbourne.

À la victoire des surgelés et des micro-ondes dans les années 1980, peut-on opposer et imaginer la revanche traditionnelle d’un repas préparé localement, et au même prix ? Ce challenge semblait impossible, et pourtant l’approche locale gagne enfin du terrain.

C’est pourquoi il n’est pas si incroyable d’imaginer un robot cuistot dans une « Dark Kitchen », une cuisine non liée à un restaurant en particulier, non loin de chez vous, qui préparerait des bons petits plats à partir d’ingrédients de proximité, en provenance de micro-jardins urbains. À ce titre, les fraises en container d’Agricool nous montrent une voie « zéro carbone » fort intéressante.

Pour Michaël Farid, interviewé par le Washington Post au sujet de son restaurant robotisé ouvert avec le soutien du chef étoilé Daniel Boulud à Boston, « les robots s’occupent des tâches fastidieuses – comme la cuisine et le lavage » afin de laisser du temps aux humains. Pour la plupart des Français, la cuisine reste une tâche noble, tout le contraire d’une corvée.

Depuis quelques années, nous sommes hypnotisés par le ballet de ces bras robotiques qui assemblent un plat ou un dessert avec une vitesse impressionnante. Mais ces démonstrateurs de salons technologiques restent proches d’une usine de plats industriels plus que d’une vraie cuisine aux mets raffinés.

Se pourrait-il qu’un jour un robot sache cuisiner comme un chef étoilé ? Il lui faudrait un « nez », un « palais » électronique et être connecté au marché de Rungis pour y piocher régulièrement les meilleurs ingrédients et condiments, puis les tester… Nous n’en sommes pas là, heureusement, et pourtant comme nous allons le voir, certaines start-up s’y préparent déjà.

Plusieurs projets de cuisine robotisée sont déjà bien financés

L’un des robots les plus connus est Sally, conçu par Chowbotics. Il s’agit d’un assembleur de salades à la demande. Le concept, popularisé par les sandwichs Subway, se fait cette fois-ci uniquement en face d’une machine, de la taille d’un distributeur alimentaire, qui trie les ingrédients selon votre volonté.

Cela nous rappelle les machines à jus d’orange. En France, l’industriel de l’agro-alimentaire Bonduelle s’est laissé séduire et commercialise cet engin sous le nom de Cabaletta. Pour le directeur marketing, l’avantage est de pouvoir créer rapidement « plus de 1 000 combinaisons de salades ».

La startup à son origine, Chowbotics, a été rachetée en février 2021 par DoorDash, géant de la livraison à domicile. Peut-être plus pour l’innovation que pour le goût…

Mon ancien patron, Brent Hobermann, croit lui aussi fort en la « kitchen food robotics ». Pour cela, il a misé 6 millions de livres sur Karakuri, une entreprise londonienne qui développe une cantine robotisée. Cette fois-ci, il y a plus que des salades au menu. La taille est imposante, environ celle d’une cuisine d’un appartement, avec en son centre, derrière une vitre, un bras robotisé similaire à celui qu’on trouve en usine. Mais il y a mieux, cette jeune entreprise est conseillée par Heston Blumenthal, chef étoilé anglais. Sa conviction ? « Aux robots de s’occuper des portions et de la mesure exacte des ingrédients, mieux que nous pouvons le faire, et nous permettre ainsi d’agir plus comme des humains » dit-il, expliquant le caractère militaire et scientifique d’une cuisine haut de gamme.

Pour Barney Wragg, son CEO, « la précision et le contrôle que la robotique apporte à une cuisine peuvent donner la capacité et la possibilité de créer des plats nouveaux et innovants et de pousser en avant la créativité des menus. La robotique peut accomplir avec précision des tâches que les humains peuvent trouver difficiles, ce qui signifie que nous pouvons faire évoluer les restaurants d’un menu fixe vers un menu individualisé où le client décide précisément ce qu’il veut manger.»

L’un des points forts de Karakuri serait donc le fait de pouvoir choisir sur mesure ses aliments, par exemple afin d’éviter les allergènes. « Notre robot DK-One est le point de départ de cette évolution. Il permet aux clients de concevoir précisément leur repas, non seulement en termes d’ingrédients, mais aussi en termes de valeurs nutritionnelles », détaille Barney.

L’autre point est la Data Science, avec affichage du pourcentage d’aliments locaux, et pourquoi pas d’équivalent carbone… et la réduction des pertes alimentaires. Cette cuisine robotique aimerait trouver sa place dans des hôtels ou hôpitaux fin 2021. A suivre…

© DK-One, Karakuri, Londres.

En parallèle, en France, le robot assembleur est bien avancé, il s’appelle Cook-E.

Pour son co-fondateur, Ludovic Ho Fuh, ingénieur centralien, il sera « capable de réaliser une multitude de plats chauds ou froids, comme des salades, des plats mijotés et contrôlés pendant des heures, ou des plats sautés qui sont cuisinés lors de la commande d’un client. »

Parmi ses multiples promesses, une réponse aux troubles musculo-squelettiques qui se posent régulièrement pour les personnels de cuisine. Le robot pourrait s’occuper de ces tâches ingrates et fatigantes.

La rentabilité semble au coeur de Cook-e. « Il stocke, dose, découpe, pèse, mélange et cuit vos plats » afin de permettre aux restaurants d’optimiser leurs coûts. « L’intégration d’un tel robot, et de l’intelligence qui l’accompagne, permet aussi de faciliter l’organisation d’un restaurant. Comme prédire la quantité de plats nécessitant des cuissons longues, et commencer à les préparer à n’importe quelle heure », explique Ludovic. A terme, ce robot pourrait se déployer en entreprise ou en « ghost kitchen ».

Mentionnons aussi la cantine digitale de Popchef, un « salad bar » et frigo connecté, mais pas robotisé pour le moment. Dans une future version peut-être? On le voit, la promesse des machines à café s’étend aujourd’hui à d’autres aspects culinaires, avec un savant mélange de dosage, de préparation et aussi de nettoyage afin que ces robots cuisiniers puissent être autonomes.

De l’IA pour former les bras robotiques à faire cuire un burger?

Allons un cran plus loin avec l’IA de Miso Robotics, qui semble d’ores et déjà en mesure d’assembler un Hamburger complet. Un exploit pour un bras robotique car il faut griller, retourner, empiler les aliments. Le bras s’appuie sur plusieurs capteurs et une caméra thermique pour déterminer les moments clés avec précision.

© Miso Robotics, Pasadena.

Là encore, la promesse est de libérer du temps pour l’humain, le cuisinier pouvant alors se consacrer à d’autres tâches plus sensibles et techniques. Les investisseurs y croient puisqu’ils ont apporté en janvier 2021 un total de 30 millions de dollars à cette prometteuse startup de Pasadena, en Californie.

Crédit: © Miso Robotics, Pasadena.

De retour du CES Las Vegas en 2015, en déjeunant à l’aéroport de Minneapolis, avec le consultant Dimitri Carbonnelle, nous avions été surpris de voir un restaurant équipé d’une tablette par table, et même au comptoir. L’ensemble des commandes se déroulait via l’iPad ! Cela semble totalement banal en 2021. Du côté des chaînes de fast-food c’est une tablette géante qui fait office de click & collect, à l’image des bornes chez McDonald’s, conçues par l’intégrateur français Acrelec. Le service à table est devenu une réalité chez McDo, grâce à des kiosques géants et des capteurs Bluetooth au plafond pour la géolocalisation m’expliquait Jacques Mangeot, son co-fondateur. Un changement culturel en seulement une décennie. Cela relativise notre incrédulité face à l’adoption des technologies et des robots.

Au-delà de la cuisine, la robotique fait son entrée en salle. Reste à conquérir aussi le nouveau monde, celui de la distanciation sociale en salle. Ainsi à l’Ecole hôtelière de Lausanne, le professeur Etemad-Sajadi apprend déjà à ses élèves à utiliser et apprivoiser la robotique sociale, en appui des commis. Un majordome – robot-as-a-concierge – qui vient en complément, par exemple pour converser en plusieurs langues ou tout simplement pour ajouter un aspect ludique au moment de l’accueil dans un restaurant ou un hôtel.

À Tokyo, plus de vingt robots pour vous servir et vous divertir

Il y a un an, à Tokyo, j’ai eu le plaisir de découvrir l’un des premiers restaurants robotisés, conçus et mis en place par mes collègues de SoftBank Robotics Japon. Situé à Shibuya, à quelques mètres du fameux passage piéton, le Pepper Parlor Café est un lieu unique, qui propose des gaufres, des crêpes et des boissons à la mode. Unique non pas par sa cuisine, réalisée par des humains, mais par la présence de nombreux robots : on en compte plus d’une vingtaine !

A l’accueil, Pepper vous reçoit, vous présente les plats et prend votre commande. En période de pandémie, Pepper se connecte à une caméra thermique afin de vérifier votre température et vous accorde l’autorisation d’entrer. Une fois à table, c’est la surprise : un autre robot Pepper est là pour vous divertir avec des jeux familiaux multi-joueurs afin de dynamiser le moment et de rendre l’expérience plus mémorable encore.

© SoftBank Robotics – Pepper Parlor Café, Shibuya.

Puis un nouveau robot se profile, voici Servi, un robot transporteur affublé de deux plateaux, qui apporte les plats commandés. Mais c’est une serveuse qui les prend et les pose délicatement sur la table, avec l’art, la manière et le petit mot; et vérifie les besoins de la clientèle comme des boissons supplémentaires. Après quelques secondes, le robot Servi pèse les plats et constatant qu’il sont vides, sait que c’est le signal qu’il faut revenir à l’entrée de la cuisine.

Son logiciel lui permet d’éviter les obstacles et grâce à des « murs virtuels », il sait précisément quelles zones éviter. Pour 95% des clients, ce robot discret qui apporte les plats, et accompagne le serveur, est satisfaisant, permettant d’accélérer la livraison de leur commande et d’enlever plus rapidement les plats après consommation.

Ensuite place au ballet musical des NAO -oui le petit robot conçu à Paris se produit chaque jour au cœur de Tokyo- dans un quatuor sonore endiablé ! Enfin, en soirée, une fois le dernier client parti, c’est au tour du robot Whiz de passer l’aspirateur, de manière totalement autonome.

© SoftBank Robotics – Pepper Parlor Café, Shibuya

Dopés par les composants des smartphones et l’apprentissage des voitures autonomes, les robots de livraison en salle de restaurant semblent promis à un bel avenir, sans contact. On les imagine bien en restauration collective, et notamment en Ehpad là où les résidents ne peuvent parfois plus marcher. Appeler un robot pour avoir le poivre et le sel, c’est déjà possible.

L’avenir gastronomique s’écrit tous les jours, et il est évident que les nouvelles technologies pourraient jouer un rôle favorable dans la réouverture des restaurants, et pourquoi pas redonner un côté ludique à ces lieux de vie qui nous manquent tant. Comme le dit le chef Guy Savoy: «Aller au restaurant, c’est une parenthèse de bien-être dans une vie parfois trépidante. (…) Cet art de vivre fait rêver la planète entière».

Alors préparons-nous à la réouverture!

Le contributeur :

Nicolas Halftermeyer est directeur communication de SoftBank Robotics Europe, leader mondial de la robotique humanoïde. Il a auparavant exercé des fonctions marketing chez Business Objects, Lastminute, Parrot Netgem et Xilam.

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