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Le vrai défi de la cybersécurité française : l’absence de fonds growth nationaux

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Le dernier Radar de l’innovation cybersécurité, publié par Wavestone et Bpifrance à l’occasion de VivaTech 2025, témoigne d’un écosystème toujours actif. Avec 289 millions d’euros levés entre juin 2024 et mai 2025, les startups françaises du secteur affichent une progression des montants mobilisés. Mais l’analyse des flux révèle une tendance préoccupante, la France reste absente des levées supérieures à 30 millions d’euros, seuil critique pour l’émergence de véritables scale-ups européennes. Un constat récurrent, qui interroge la structuration du capital croissance dans l’Hexagone.

Une dynamique de concentration… sans capacité d’accélération

Le marché français évolue vers une concentration des financements, en 2025, 10 startups ont levé plus de 10 millions d’euros, contre 8 l’année précédente. Mais ce mouvement masque une autre réalité avec seulement 19 levées ont été réalisées, contre 29 un an plus tôt d’autant que les tours en dessous de 10 millions d’euros ont chuté à 9 opérations pour un total de 17 millions, contre 21 levées et 56 millions en 2024.

Si le capital est disponible, il se concentre sur quelques structures jugées matures. Ce qui manque, c’est la capacité à financer massivement le passage à l’échelle. Le segment des 30 à 70 millions d’euros reste sous-développé en France, alors qu’il est précisément celui qui permettrait à des startups prometteuses de devenir des leaders sectoriels européens.

Une asymétrie structurelle avec l’écosystème nord-américain

Le contraste avec les États-Unis est frappant, avec des tours de growth equity portés par une trentaine d’acteurs spécialisés, souvent indépendants, parfois adossés à des banques ou à des corporate ventures stratégiques. En France, les fonds spécialisés cybersécurité capables d’intervenir entre 30 et 100 millions d’euros se comptent sur les doigts d’une main. La plupart des levées importantes impliquent des investisseurs étrangers, notamment américains, qui viennent capter la valeur créée localement.

Paul-François Fournier, directeur exécutif en charge de l’Innovation chez Bpifrance, observe pourtant une dynamique structurante en cours et évoque une montée en puissance des investisseurs spécialisés. Il souligne que la consolidation devient une alternative crédible. « Cette évolution va se poursuivre et imposera de rester à l’état de l’art international, d’anticiper les ruptures technologiques et de sécuriser les usages dès leur conception. »

Mais en l’absence de capital patient national capable d’accompagner ces trajectoires, les startups françaises risquent de se faire racheter avant d’avoir pu atteindre leur seuil d’indépendance stratégique. Cette tendance s’observe déjà avec les huit rachats de startups recensés cette année, dont cinq effectués par des groupes français.

L’enjeu du capital domestique, au-delà du volume

Ce manque de fonds de croissance ne tient pas uniquement à la taille des enveloppes mais traduit aussi une défaillance d’alignement stratégique entre les financeurs et les trajectoires spécifiques des entreprises cyber. Gérôme Billois, partner chez Wavestone, souligne que les structures innovantes couvrent de nouveaux usages, de la sécurité de l’intelligence artificielle à la résilience numérique des organisations. Pourtant, ces cas d’usage complexes nécessitent une lecture fine de la maturité technologique, de la conformité réglementaire et du potentiel d’internationalisation.

Or, les investisseurs français sont souvent généralistes, ou contraints par des mandats prudents qui les éloignent des segments deeptech et ce manque d’expertise sectorielle freine l’amorçage de stratégies long terme. Résultat, les startups les plus avancées cherchent leur financement ailleurs, parfois au prix de concessions sur leur gouvernance ou leur souveraineté.

Un moment charnière pour le financement stratégique européen

Les directives européennes comme NIS2, DORA ou CRA imposent aux entreprises une montée en gamme technologique rapide. Cela crée une demande structurée pour des solutions de cybersécurité innovantes, dans les secteurs critiques comme l’énergie, les télécoms, la santé ou la finance. Pour y répondre, l’écosystème français dispose d’un vivier de talents et d’initiatives mais ce qui lui manque, c’est la capacité à faire croître rapidement les champions identifiés.

Plusieurs pistes existent et Bpifrance continue d’élargir son intervention à travers des mécanismes comme le Plan Deeptech. La création de véhicules de co-investissement européens ou souverains spécialisés dans la cybersécurité est également en discussion à Bruxelles. Mais le temps presse, dans ce domaine comme dans d’autres, la fenêtre de consolidation européenne pourrait se refermer rapidement, au profit d’acquéreurs américains ou asiatiques.

Le radar 2025 confirme une réalité paradoxale

La cybersécurité française innove, recrute, s’internationalise, mais elle manque des moyens pour durer. Faute d’un capital croissance structuré, elle s’expose à une industrialisation sous drapeau étranger. La solution ne passe pas seulement par plus d’argent mais elle suppose des investisseurs spécialisés, des fonds plus profonds et un alignement stratégique sur les priorités de souveraineté numérique. Alors que les besoins en matière de cybersécurité augmentent significativement, le moment est venu d’enclencher une vraie politique industrielle du financement du secteur cyber.

 

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