
Comment l’IA redéfinit le rapport de force entre cybercriminels et forces de l’ordre
L’intelligence artificielle bouleverse les équilibres dans la lutte contre la criminalité numérique. Longtemps apanage des experts, la cybercriminalité s’est largement démocratisée grâce aux outils d’IA générative, qui abaissent les barrières techniques à l’entrée. Une mutation profonde que les forces de l’ordre observent avec lucidité, tout en accélérant leur propre transformation technologique.
Le seuil de sophistication s’effondre
Intervenant à l’occasion de la présentation du rapport SOCTA 2025 lors du forum InCyber, Jean-Philippe Lecouffe, Deputy Executive Director Operations d’Europol, tire un constat sans détour : « Grâce à l’intelligence artificielle, par exemple, le seuil pour un criminel, le seuil de connaissance, je dirais, de sophistication, est abaissé. »
Des attaques qui exigeaient hier des compétences avancées sont désormais accessibles à des profils opportunistes, parfois très jeunes. « Avec l’IA, vous pouvez faire une escroquerie en ligne dans 26 langues de la Terre. Et l’envoyer de façon massive à des milliers et des milliers de gens. »
L’IA joue ici un rôle d’accélérateur de criminalité à grande échelle.
Une course numérique asymétrique
Cette mutation amplifie un déséquilibre structurel : « C’est une course. On court évidemment toujours derrière les voleurs. Ça n’a pas changé. Simplement, la course aujourd’hui, elle est numérique. Elle est avec les outils. Elle est avec l’intelligence artificielle. »
Les cybercriminels bénéficient d’une agilité technologique libérée de toute contrainte légale. Les enquêteurs, eux, avancent dans un cadre juridique souvent daté et sous tension. « On a aussi, nous, dans notre sac à dos, je dirais, quelques pierres, parfois. Parce que le cadre juridique doit aussi évoluer. »
Europol bascule dans l’innovation défensive
Pour répondre à cette montée en puissance des attaquants, Europol intensifie sa transformation numérique.
« Europol s’est tourné beaucoup vers l’innovation. On est persuadé que l’on peut utiliser tous ces outils technologiques au bénéfice de la défense des citoyens. »
Cela passe par l’intégration de nouveaux profils : « On recrute aujourd’hui plus seulement des enquêteurs, mais des data scientists, des spécialistes de l’IA capables de nous aider à analyser des données massives, à prouver les éléments de preuve dans les preuves numériques. »
L’objectif : accroître la réactivité et la capacité d’analyse face à des volumes croissants de données.
Le rapport de force évolue, mais ne se renverse pas
La technologie seule ne suffit pas à rééquilibrer la situation. Elle doit être accompagnée d’un changement de méthode. Jean-Philippe Lecouffe résume la nouvelle doctrine opérationnelle en trois axes :
« Les hommes, les infrastructures et l’argent. »
Ce triptyque vise à identifier les auteurs, perturber les moyens techniques (serveurs, botnets, VPN illégaux) et tracer les flux financiers — notamment via les crypto-monnaies.
L’IA devient un outil transversal, au service de chaque étape de cette stratégie.
La police à l’heure de l’IA
L’intelligence artificielle ne transforme pas seulement les entreprises ou l’industrie. Elle redéfinit en profondeur les conditions d’exercice de la souveraineté et de la sécurité publique. Face à des cybercriminels toujours plus professionnels, la réponse étatique ne peut être qu’hybride, mêlant capacités humaines, innovation technique et adaptation réglementaire.
« C’est un métier qui devient de plus en plus aussi technique, technologique », affirme Jean-Philippe Lecouffe. Le rapport de force se déplace sur le terrain numérique, et les démocraties n’ont d’autre choix que d’y engager pleinement leurs moyens — au risque de se laisser distancer.