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Pourquoi ce ou cette développeuse ne veut pas rejoindre votre start-up

Par Sébastien Carceles, développeur

J’ai rencontré beaucoup de porteur·se·s de projets ces derniers temps, parfois avec des projets farfelus, parfois avec des idées (qui me semblent) hyper pertinentes. Toutefois prenons immédiatement comme hypothèse que les gens n’ont rien à voir avec les idées. Comme le dit la maxime, une très bonne idée n’ira nulle part quand elle est portée par la mauvaise équipe, alors qu’une bonne équipe peut faire un succès d’une mauvaise idée.

Sur le marché français, et peut-être mondial pour ce que j’en sais, il y a plus de projets en création que de développeur·se·s disponibles pour les construire. Ce déséquilibre permet à ces dernier·e·s d’avoir des exigences, parfois peu justifiées. En plein hype driven development, elles ou ils sont attirés par les nouveautés technologiques comme un papillon par la lumière. Avec trois nouveaux frameworks javascript qui sortent chaque seconde (chiffres INSEE), on comprend bien que ces profils ne sont pas les meilleures bases d’une équipe technique.

Les personnes qui créent une start-up ont de cette problématique une compréhension intuitive. Au démarrage, elles cherchent donc un profil lead dev, CTO ou, plus généralement, «tech». Une personne avec suffisamment d’expérience et de recul pour constituer le socle de l’équipe technique, mais pas trop pour ne pas coûter trop cher.

Au travers de cet article, je m’appuie sur ma propre expérience d’entrepreneur et de CTO pour vous aider à améliorer votre approche lorsque vous cherchez un·e développeur·se pour vous rejoindre. Je vous invite à lire ce post comme une suite d’astuces et de pièges à éviter.

Geek wanted

D’ordinaire j’aime bien les annonces de ce cabinet, mais j’ai craqué sur «la Madonna de l’e-commerce»

Je ne suis pas très à l’aise avec cette image de geek dans sa chambre, qui aime bricoler des ordis en écoutant du métal entre deux parties de jeux de rôles, dont les lunettes ne sont que l’expression extérieure de son génie intérieur. Alors oui, j’écoute du métal, je suis myope, j’aime les jeux de rôles et (quand je n’ai pas le choix) je bricole des ordis, mais ce n’est pas nécessairement les traits de mon caractère que j’ai envie de valoriser. Je n’ai pas envie de susciter un intérêt professionnel pour ces raisons-là (et je suis loin d’être un génie).

Comme d’autres développeurs, je blackliste mécaniquement les offres qui utilisent cette image. «Ninja du javascript», «fullstack jedi» et autres geekeries ont fini par me lasser et me donnent l’impression de ne pas être pris au sérieux. Notre métier est passionnant, créatif, parfois difficile, et ne doit pas être ramené sans cesse à des images d’une sous-culture qui, si elle nous parle effectivement, ne nous définit pas pour autant.

Par ailleurs ces représentations sont symptomatiques d’entreprises dans lesquelles on s’efforce d’être cool. L’accent est mis sur la forme. Souvent, c’est pour mieux masquer le fond: rémunérations peu élevées, sexisme ou ignorance volontaire du code du travail.

Cette habitude du buzzword possède bien sûr son pendant technique, qui produit globalement les mêmes effets. Non, les chatbots n’intéressent personne. Non, vous ne faites pas de l’AI (enfin, pas vraiment). Non, ce n’est pas du big data, avec trois connexion et demi aux heures de pointe. Non, la blockchain n’a aucun intérêt pour mettre en relation des gens qui donnent des cours de musique et des agences d’interim qui cherchent des chauffagistes (encore que). Non, gérer les projets à l’arrache n’est pas une méthode agile.

Il y a clairement des cas où ces technologies font sens et sont utilisées à bon escient. Dans ces cas-là, il faut clairement en parler, c’est passionnant. En revanche «ce nouvel acteur du big data et de la blockchain [qui] cherche son samurai fullstack node.js pour créer un super chatbot propulsé par une intelligence artificielle» va devoir aligner beaucoup de 0 pour que je lise l’annonce jusqu’au bout. Quand on cherche essentiellement un tempérament «geek passionné de tech», il faut s’attendre à avoir… un·e geek passionné·e de tech (vraiment, c’est ce que vous souhaitez pour votre équipe?).

Au passage, les gens qui parlent de «tech» devraient apprendre à écrire le mot en entier. Est-ce qu’on parle de technique? Est-ce qu’on parle de technologie(s)? Est-ce que c’est péjoratif de dire «technique» en entier? Ou bien est-ce qu’on parle du reste, c’est-à-dire construire des produits, bâtir des systèmes d’informations, dans un monde où la complexité technologique croissante s’ajoute aux mutations rapides des usages?

Attention, donc, à ne pas céder à la facilité. On perd à la fois du sens et du crédit quand on abuse des effets de mode et des artifices.

«Regarde, j’ai fait des briquets avec mon logo dessus!»

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Tous les humains sont mus par leur égo. Moteur incroyable, qui permet (probablement) d’accomplir de grandes choses. Toutefois, pour un·e startuppeur·se, l’égo est un frein. Il lui faut comprendre, à un niveau fondamental et non simplement dans le discours travaillé à l’intention du premier journaliste venu, que c’est sa capacité à apprendre qui lui permettra de réussir. Apprendre du marché, apprendre des équipes, des gens, des partenaires, des investisseurs… Si son égo l’empêche d’avancer, c’est sa start-up et toute son équipe qui vont s’écrouler.

Il y a un certain nombre d’indices qui permettent de repérer les profils dont l’égo peut représenter un problème. Et ce, dès la lecture de l’annonce de recrutement.

Par exemple, quand la start-up early stage, qui n’a pour ainsi dire pas de charges fixes, clame haut et fort qu’elle est break even (c’est-à-dire qu’il y a autant de revenus générés que de dépenses). Oui, mais avec une équipe à payer chaque mois, est-ce que ça fonctionne encore?

Ou encore quand elle annonce des chiffres fumeux, tout droit sortis de son business plan écrit pendant ses périodes d’euphories les plus intenses (2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires la première année, quand même!).

De plus, annoncer d’emblée qu’on va RÉVOLUTIONNER tel ou tel secteur peut sembler peu crédible lorsque tout est encore à construire. Tâcher de se faire passer pour «le Uber des yaourts bio au lait de chèvre» et raconter qu’on compte bien disrupter ce marché pour devenir leader contribue à donner une image d’amateurisme.

Souvent, un tel tempérament vaniteux s’accompagne d’efforts portés très tôt sur les relations presse. Son premier et plus gros budget, 15 000 euros tout de même, soit la moitié de son financement initial, va à une agence opportuniste. Le but est d’obtenir des papiers dans «la presse qui compte» et, Saint-Graal, un premier passage chez Stéphane Soumier sur BFM Business.

(Certains disent que c’est évidemment faux, le premier budget de la start-up étant la prestation de la société de conseil spécialisé en JEI / CIR).

Il y a aussi la start-up qui court après les prix et les concours. Et elles en obtiennent! C’est un signe fort que le·a startuppeur·se est en plein défocus. Est-ce qu’elle ou il consacre ses efforts à construire de la valeur pour ses clients, ou plutôt à réseauter, à essayer de gagner des prix et de la visibilité? À flatter son ego, en somme? Car avez-vous déjà vu un·e client·e qui se dit «ah oui, j’ai vu cette boîte qui a gagné le prix bidule le mois de dernier, je vais acheter son produit»?

De même, la ou le développeur n’est pas fasciné par l’incubateur ou l’accélérateur mis en avant dans l’annonce. Il y en a tellement aujourd’hui que cela semble difficile de ne pas rejoindre un incubateur. Pour certain·e·s, les tables de ping pong et et babyfoots sont mêmes synonymes de nuisances dans l’environnement de travail.

D’autres termes de l’annonce sont très révélateurs. L’auteur ou l’autrice insiste sur les diplômes qui composent son équipe: un·e tel·le sort de HEC, un·e autre de La Sorbonne, ou encore de je ne sais quelle business school londonienne à 100 000 euros l’année. On y trouve aussi son selfie avec Macron, parce que ça impressionne, et on ne manquera pas de préciser avoir reçu une lettre de soutien de la Présidence de la République.

C’est sûrement pour cette raison que l’annonce promet «une croissance extraordinaire» (mais non chiffrée) à qui rejoindra ce projet tellement passionnant que quiconque y est exposé décide d’y consacrer sa vie. Toutefois il faudra signer un NDA avant de pouvoir en parler dans le détail parce que, tu comprends, je ne veux pas me faire piquer l’idée.

Sont aussi mis en avant les grands noms qui ont rejoint le capital de la start-up (si t’as pas Xavier Niel en seed tu as raté ta vie).

Alors soyons clairs: lever de l’argent, c’est bien, mais ce n’est pas une victoire ni une fin en soi. Ça indique juste que des gens qui ont beaucoup de sous ont eu envie de prendre un risque en le confiant à une team pleine d’ambitions. C’est utile pour la start-up, qui en a besoin pour chercher son product market fit ou se développer, mais ce n’est pas pour cette raison qu’on choisit un projet. Lorsque le projet le permet, à titre très personnel, j’accorde plus volontiers ma confiance à qui bootstrape et croît avec l’argent gagné en apportant de la valeurs aux client·e·s (et bien sûr de nombreuses start ups apportent de la valeur sur le marché et nécessitent tout de même des financements comme carburant).

Ce qu’il faut retenir, c’est que si vous n’avez pas effectué cet effort sur vous-même qui consiste à mettre votre égo de côté, cela se verra dès l’annonce de recrutement que vous publiez ou dès les premières rencontres. Vous perdez ainsi du crédit et vous apparaissez comme immature auprès de celles et ceux que vous souhaitez recruter.

Alors quoi?

Pour beaucoup, les profils développeur sont des doers. Ils admirent la capacité à faire, à délivrer. À ce titre, ils cherchent des partenaires qui en sont capables. Ceux qui parviennent à monter un MVP, à gagner des client·e·s, et à vendre, sans même développer, sont les plus impressionnants.

Aujourd’hui de nombreuses plateformes et outils permettent à des non développeur·se·s de construire des services ou des produits dont la base est pourtant technologique. Cette capacité à se débrouiller avec l’existant, parfois de façon très astucieuse, est perçue comme un atout. Il s’agit même d’un signal très fort, qui démontre un niveau de concentration élevée sur la seule chose vraiment importante: délivrer de la valeur au marché.

Il y a d’autres indices de ce niveau de focus. Par exemple, savoir que le type de contrat, freelance ou salarié, n’est qu’une modalité technique. Un·e freelance n’est pas moins impliqué·e qu’un·e salariée. De plus un·e salarié·e, même avec des avantages dans son package tel que des BSPCE (bons de souscription de parts de créateur d’entreprise, l’équivalent français des stocks options), pourra très bien aller chercher un nouveau projet au bout de 12 ou 18 mois.

Aussi, le niveau de confiance accordé est essentiel. Ce ou cette développeuse veut travailler à la maison? Très bien. Elle cumule plusieurs projets? Pas de problème, tant qu’elle respecte ses engagements et délivre avec le niveau de qualité requis.

En retour, le·a candidat·e fera plus facilement confiance à celui ou celle qui indique clairement, en face de la liste de ses exigences, les contreparties. Une fourchette salariale annoncée est préférable à une rémunération «selon profil». Le nombre d’actions ou de BSPCE produit un meilleur effet que «accès possible au capital».

Au passage, la personne qui cherche son «tech à tout faire» et propose 3% du capital en contre-partie envoie un message très négatif: elle ne partage pas. Alors oui, elle a eu l’idée. Oui également, elle a galéré, parfois des mois, pour modeler un projet à partir du néant. Elle a convaincu (ou pas) des investisseurs et parfois même des client·e·s de les suivre.

Pour autant, aller chercher un·e développeur·se pour lui dire, en substance, «tu vas construire la brique essentielle du business et en contrepartie je consens à te céder des miettes (mais il faudra les acheter, je ne vais quand même pas te filer des actions gratuites)», c’est peine perdue. Au mieux, il sera possible de l’attirer un temps, mais pas de façon durable. Et ça en dit long sur le tempérament du fondateur ou de la fondatrice et, par extension, sur la culture de la start-up.

Enfin, et presque comme tout le monde d’ailleurs, le profil technique cherche une chose. C’est la silver bullet de cet article. Il cherche à savoir pourquoi. Il cherche un projet qui a du sens. Et un système de valeur dans lequel il se reconnaît. Sur un marché où les niveaux de rémunération montent chaque année, il veut savoir pourquoi il devrait se donner du mal, s’investir, laisser de côté ses propres projets et son costume de mercenaire, pour rejoindre votre projet.

Cela ne signifie pas qu’il cherche une raison spectaculaire comme éliminer la faim dans le monde ou produire de l’électricité sans impact environnemental. Cela signifie qu’il a besoin d’une vision (pas un fantasme) à laquelle adhérer afin de construire quelque chose qui le dépasse. Relisez Simon Sinek.

Épilogue

Alors que je rédige cet article, je reçois une offre d’emploi par email, de la part de la CTO d’une start-up parisienne. Percutante, bien formulée, sa prise de contact fait mouche. Avec sa permission, voici quelques extraits.

Je suis XXX, co-fondatrice de YYY. Nous venons de lever NK euros auprès de [tel et tel fonds] et souhaitons maintenant accélérer notre développement en renforçant notre équipe de R&D […] Je te contacte car je viens de faire un tour sur ton profil et que tu corresponds précisément à ce que je recherche: nous sommes en train d’agrandir l’équipe et nous cherchons un excellent profil pour la muscler. […]

J’ai d’abord pensé que commencer la prise de contact par la levée de fonds était un peu malheureux. En réalité elle s’appuie sur ce sujet pour introduire sa demande, sans s’y appesantir. Au passage elle indique quand même qu’elle aura de quoi me payer.

[…] Nous sommes à la recherche d’un développeur RoR senior qui pourrait devenir notre Lead Dev. Tu aurais la charge de concevoir et de réaliser des applications à forte valeur ajoutée ([ici une demi douzaine d’exemples séduisants]). En bref: ce poste est très important pour nous et tu aurais à la fois des responsabilités et beaucoup de marge de manœuvre. Nous sommes basés à Paris et prévoyons un salaire de [ici une fourchette claire et précise] K euros en plus de stocks si l’aventure se passe bien.

Elle donne les informations clés, sans détour et sans en faire des tonnes: missions, état d’esprit, salaire et stocks (ce point manque de détails, mais c’est déjà bien).

[…] À titre indicatif, à date, nous enregistrons une croissance de X% par mois et notre ambition est d’être la plateforme leader [sur un tel marché avec quelques infos chiffrées en plus].

Une ambition, un chiffre pour le soutenir. Pas de bullshit.

En post-scriptum elle ajoute quelques détails chiffrés sur la société, ainsi que la stack technique. Celle-ci aurait pu venir plus tôt, mais tout au long de la lecture j’ai eu l’impression d’avoir assez d’informations — et donc que ces détails avaient bien leur place à la fin.

Au final c’est une belle prise de contact, qui m’aurait donné envie de la rencontrer si je n’avais pas déjà été engagé sur un projet.

Un grand merci à Rémi Huguet pour ses multiples relectures et à Boris Schapira pour ses conseils avisés et ses règles d’écriture inclusive.

Le contributeur:

Sébastien Carceles est développeur back-end et mobile en freelance.

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5 commentaires

  1. qu’une bonne équipe soit capable de rencontrer le succès avec une mauvaise idée, c’est quand même beaucoup se la péter. sacrée bande de génies. Si l’on rencontre le succès, c’est que l’idée est bonne, point final. Qu’en revanche une équipe médiocre puisse rencontrer le succès avec une très bonne idée me parait tout à fait envisageable, c’est par exemple le cas de Uber.
    C’est comme au cinéma: un bon film avec un mauvais scénario ça n’existe pas (au hasard le Valerian et sa débauche d’effets visuels).

  2. Article très intéressant et bien écrit. En revanche halte à la sous culture inclusive. Il faut effectivement être un as des algorithmes pour aimer à ce point mettre des points au milieu des mots. Ca doit ressembler à des lignes de codes.

    Ca se lit ou se prononce comment l’écriture inclusive d’ailleurs ?

    Arrêtez le massacre !!! Ca n’attirera pas plus de filles pour écrire du code.

  3. Franchement j’ai commencé à lire votre article, mais cette soi-disant écriture non sexiste est abominable et massacre la langue française, alors je m’arrête avec déception, en espérant que vous n’écriviez plus comme ça, merci de votre compréhension

  4. Un commentaire positif sur l’écriture inclusive qui ne m’a pas dérangé pour ma part! Bravo pour cet effort.

  5. C’est un plaisir de lire cet article. Du sens plutôt que du bullshit. On a peur de ne pas assez se vendre pour attirer les bons candidats. Mais apporter de la valeur aux clients est plus viable que de collectionner les médailles de concours. Merci

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