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Télécoms et GAFAM: mais que fait l’Union Européenne ?

Une tribune signée Nicolas Guillaume, président du groupe Nasca

L’Europe envisage d’introduire un grand péage numérique qui va sans doute vous impacter.

En tant qu’opérateur télécoms alternatif français, certes plus modeste que les Big 4, qui déploie ses propres réseaux de fibre optique pour des usages exclusivement B2B dans plusieurs territoires en France, Netalis ne se mettra jamais aux côtés de nos confrères grands opérateurs historiques. Ceux-ci exigent que les GAFAM et tous les grands injecteurs de bande passante sur leurs réseaux contribuent à leurs seuls intérêts et financent un peu plus leur modèle vieillissant sans la moindre contrepartie. Ce sujet hautement stratégique pour l’économie numérique toute entière appelle à prendre en compte des éléments précis pour se faire un point de vue très objectif.

Tout d’abord, il convient de rétablir une vérité : les GAFAM financent bel et bien – comme nous tous les internautes – l’infrastructure qui compose Internet. On parle ici du financement de data centers, de câbles sous-marins, de réseaux terrestres longue distance.

Du côté des internautes, nous payons tous des fournisseurs d’accès à Internet pour transporter nos flux et données numériques entre nos logements, nos entreprises et des serveurs répartis partout dans le monde. En bout de chaine, les grands hébergeurs/Cloud et éditeurs de contenus paient divers intermédiaires techniques (CDN, points d’échanges, opérateurs de transit IP) pour envoyer leurs flux vers les fournisseurs d’accès. Lorsqu’un de ces acteurs veut une relation privilégiée, il peut parfaitement obtenir un accord d’interconnexion privé dit « accord de peering privé » et payer en conséquence le fournisseur d’accès de son choix pour obtenir ce tuyaux dédié avec son réseau.

Faire rayonner la « French Tech » ?

Pourquoi changer un modèle qui fonctionne parfaitement depuis l’avènement d’Internet ? Pourquoi des hébergeurs de toutes les nationalités incluant des européens comme OVH, Ionos, Leaseweb, Aruba ou Scaleway, injectant beaucoup de bande passante au sein des réseaux de fournisseurs d’accès devraient-ils payer plus ou différemment et changer ainsi le modèle établi ?

Taxer les flux numériques est une hérésie, un non-sens et un grave danger pour l’économie numérique toute entière dans le contexte actuel d’inflation généralisée. Quelle start-up, service de commerce en ligne ou de diffusion de médias, a envie de voir son modèle économique impacté par une hausse soudaine de ses coûts en raison d’une bande passante plus onéreuse pour les fournisseurs d’hébergement ?

Si nous voulons faire émerger le « Google de demain » ou le « Netflix européen » et plus généralement faire rayonner la « French Tech », la bande passante doit être et demeurer très bon marché. C’est un prérequis indispensable à toutes les activités numériques, et vouloir y toucher crée de l’incertitude, qui est un facteur particulièrement problématique pour toute activité commerciale.

Par ailleurs, les retombées économiques et géopolitiques des GAFAM sont visibles pour ceux qui observent l’évolution de la structure des réseaux et infrastructures internet en France et dans le Monde. Un rapport très détaillé du cabinet Analysys Mason confirme cet état de fait.

En France, par exemple, diluée sur la carte du monde auparavant, la métropole d’Aix-Marseille est devenue en 10 ans le 7ème – et bientôt 5ème – « hub » numérique mondial. Cet exploit n’est pas à porter au crédit des dinosaures historiques des télécoms que sont Orange ou SFR mais grâce à l’implantation de data centers massifs d’Interxion et de Telehouse reliés à de nouveaux câbles sous-marins cofinancés par Google, Meta, Microsoft et d’autres acteurs à capitaux européens pour certains. Une réussite largement sous-estimée et dont peu de gouvernants politiques se réjouissent, cela est fort regrettable.

Car toutes les retombées de ces lourds investissements privés entrainent non-seulement la création puis le maintien sur le très long terme d’emplois à haute valeur ajoutée et d’infrastructures majeures non-délocalisables de type data centers. Ces bâtiments techniques favorisent l’arrivée de nombreux opérateurs ce qui rend les conditions d’achat de bande passante plus favorables et permet in fine à toute startup gourmande en flux numériques de se lancer, puis de se développer, sans prendre d’importants risques économiques.

Depuis Marseille et plus largement l’axe Montpellier-Nice qui accueille de nombreux data centers, près de trois milliards d’internautes d’Europe, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie sont aujourd’hui à quelques millisecondes des serveurs hébergés localement. C’est une chance pour la France.

Une stratégie contre-productive

Et pour aller plus loin, les investissements réalisés ont favorisé des initiatives très locales comme la création prochaine d’une école de formation des plombiers du numérique qui permettra aux jeunes des quartiers nord de Marseille de trouver un emploi dans une société de la sphère des infrastructures numériques. Voilà ici l’impact très clair des investissements majeurs d’acteurs internationaux sur notre territoire et nous devrions tous nous en réjouir.

En additionnant le poids de Paris qui compte nombre de data centers majeurs historiquement, la France est désormais l’un des pays les plus connectés et les plus résilients d’Europe et du monde. Il faut oser le dire : ceci a été rendu possible grâce aux investissements massifs de nombreux acteurs et en particulier des GAFAM qui se sont dotés d’outils industriels de classe mondiale.

Les dissuader d’investir en les taxant comme souhaitent le faire certains gouvernants européens sous l’influence néfaste de quelques grands acteurs historiques des télécoms est une stratégie totalement contre-productive pour l’Europe et notamment pour la France. Incitons plutôt les majors de l’Internet mondial à contribuer à nos écosystèmes locaux par l’investissement continu dans les grandes infrastructures, dans nos startups, dans nos productions de contenus, ce que nos grands opérateurs télécoms historiques sont incapables de faire à de très rares exceptions.

Rappelons au passage en guise d’autre exemple que le déploiement de la fibre optique en zone rurale en France n’est pas le fait d’investissements de fonds privés mais en large majorité de fonds publics issus des institutions publiques, faute d’appétence pour ces zones peu denses de la part des opérateurs historiques qui réclament dorénavant une dime sur des services ou infrastructures qu’ils n’ont pas su créer. Depuis, de nombreux fonds privés ont saisi l’opportunité face aux très bonnes rentabilités offertes par les réseaux de nouvelle génération.

Accompagner l’émergence de nouveaux modèles économiques

En guise de dernier cas concret de retombées concrètes pour nos sociétés connectées, au Moyen-Orient, le co-investissement de Google et d’un acteur européen des télécoms permet de créer un nouveau câble sous-marin – Bluemed – qui contourne le célèbre « SPOF (point de défaillance unique) des télécoms » qu’est le Canal de Suez en Egypte. Ainsi, si l’Egypte venait par malchance à devenir une zone de conflit entrainant une rupture de plusieurs câbles sous-marins ou terrestres sur son sol, les flux internationaux seraient protégés par des chemins physiquement différents contournant la zone en conflit ce qui n’impacterait que très peu les pays d’Europe.

Dès lors, n’opposons pas les enjeux de souveraineté et l’impérieuse nécessité de résilience de nos pays dont l’économie moderne est fondée sur la connectivité et les liens internationaux.

Nos choix politiques doivent créer l’opportunité de faire émerger des alternatives aux acteurs majeurs. Ils doivent chercher à accompagner l’émergence de nouveaux modèles économiques et rendre toutes ces innovations interopérables facilement sans jamais brider ou fausser la concurrence par des décisions ou réglementations conçues hâtivement qui produiront des effets néfastes à court ou moyen terme.

C’est pourquoi il est urgent de protéger l’internet ouvert et ne pas introduire un grand péage numérique européen sous forme d’une prétendue taxe sur la bande passante des hébergeurs et grands injecteurs de flux numériques. Ce mécanisme ne profitera en réalité à personne, tout du moins pas à ceux qui innovent, inventent, entreprennent au sein de nos territoires.

Collectivement, nous devons soutenir l’investissement d’acteurs majeurs sur notre sol français et européen, leur demander de s’engager à assurer durablement la pérennité de l’internet ouvert aux côtés des acteurs locaux et défendre l’innovation offerte par une régulation de la concurrence libre et non-faussée au seul bénéfice des consommateurs, de la compétitivité de nos entreprises et de la transformation numérique de nos institutions publiques.

Le contributeur:


Nicolas Guillaume, 37 ans, est Président du groupe français Nasca dont la filiale Netalis est un opérateur télécoms alternatif qui propose des services de connectivité dans toute la France et qui déploie son réseau de fibres optiques dans plusieurs métropoles. Expert des infrastructures Internet et réseaux télécoms, il a été également secrétaire général de l’AOTA, Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs, structure nationale créée en 2017 qui fédère près de 50 opérateurs régionaux partout en France. Il s’exprime à titre personnel sur l’évolution du marché des télécoms B2B en France et en Europe.

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