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[Civic Tech] Le numérique peut-il améliorer les démocraties? Partie 3

Dans cette troisième partie sur l’impact du numérique sur le fonctionnement des démocraties, après une entrée en matière sur les raisons pour lesquelles la soif de démocratie participative grandit, et une seconde partie passant en revue les grandes applications du numérique en politique et dans le fonctionnement de la démocratie, cela sera la fête aux civic techs.

Je vais passer en revue les civic techs qui ambitionnent d’améliorer le fonctionnement de la démocratie avec les associations et des start-up du secteur que j’ai essayé de regrouper en plusieurs catégories, la plus importante étant celle des solutions de consultation des citoyens et de mise en relation avec les élus. Nous verrons que leur modèle économique les rend assez dépendantes des élus ou d’autres corps constitués.

L’essor des civic techs

L’aspiration pour une démocratie plus participative a déclenché la création de nombreuses start-up à l’étranger comme en France. Elles font partie des civic techs, celles-ci comprenant aussi des services de e-gouverment qui visent à améliorer la qualité des services publics sans que cela ait un impact direct sur le fonctionnement des démocraties.

Ces solutions relèvent d’un périmètre assez variable selon les études. Les données les plus impressionnantes proviennent de l’étude IDC Government Insights de novembre 2014, financée par Accela, un fournisseur de solutions intégrée de relation entre collectivités locales et citoyens créé en 1999 et ayant levé en tout $223m! L’étude a ceci de particulier que ses trois pages ne nous apprennent rien de plus que son résumé relayé par les médias! A savoir que les civic techs représentaient en 2014 $6,4B des $25,5B dépenses informatiques du secteur public aux USA (Etat fédéral et états). Mais ce ne sont pas 24% de dépenses dédiées au fonctionnement de la démocratie. Elles comprennent l’ensemble des e-services destinés aux citoyens dans divers domaines tels que la santé.

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Le rapport fait aussi état d’un autre rapport, issu de la Knight Foundation paru fin 2013, qui a identifié $431m d’investissements privés et philanthropiques dans les civic techs entre 2011 et 2013 (source du schéma ci-dessous). La fondation Knight a contribué de son côté à hauteur de $25m entre 2010 et 2013. Elle classe les projets de civic-tech en deux catégories: l’ouverture du gouvernement et la participation citoyenne. Dans un autre classement, le TOP 100 des «government techs», 18 des sociétés inventoriées sont à proprement parler dans les civic techs.

Une très bonne segmentation des civic techs en date a été réalisée en 2015 par l’équipe fondatrice de l’association française Démocratie Ouverte, fondée par Cyril Lage et Armel Le Coz (voir cette interview de ce dernier de 2013).

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L’association a notamment Gilles Babinet et Jean-Paul Delevoye comme membres de son board. Elle se présente comme un collectif qui accompagne les innovateurs démocratiques, permet aux citoyens de faire entendre leur voix et d’agir, de valoriser la diversité des initiatives citoyennes en France et par extension dans la francophonie, d’accompagner les élus et administrations pour prendre en compte le phénomène et innover dans la conduite de la politique, et in fine, de faire émerger une société ouverte, plus transparente, participative et collaborative. Leur rosace comprend trois grandes catégories d’actions: ce qui améliore d’un côté la transparence de l’action publique, et ce qui permet la collaboration et la participation des citoyens dans les processus de conception et de décision d’actions publiques.

Ceci rappelle au passage que les civic techs ont démarré d’abord par le biais d’associations et mouvements intellectuels comme l’initiative democraTIC lancée par la FING, de 2010 à 2012, dédiée à la démocratie locale et numérique. Ce n’est qu’ensuite que se sont lancées des start-up dans le secteur, dans la lignée de celles qui s’étaient déjà lancées dans celui du e-government.

Les associations et mouvements citoyens

Les approches associatives sont à la lisière entre les partis politiques, les associations et les ONG.

Presence-citoyenne.fr, une association aux contours flous qui «a pour objectif la concrétisation des principes républicains par l’action démocratique. Pour ce faire, nous utiliserons tous les moyens civiques qui sont à notre disposition. Notre engagement, animé par l’esprit de liberté, d’égalité et de fraternité, est non-violent. Nous croyons fermement que la lutte pour la paix et dans la paix est sa première condition de possibilité». Que font-ils? De la formation des citoyens comme avec l’initiative des Saventuriers du Droit et de l’organisation d’événements.

Bleu Blanc Zèbre est un mouvement citoyen lancé par Alexandre Jardin sous la forme d’association. Il regroupe 200 associations, fondations, acteurs des services publics, collectivités locales, mutuelles ou entreprises qui réalisent des projets terrain impliquant les citoyens. Les projets sont labellisés «zèbres» ou «zébrillons» (pour les padawan zèbres) par un comité. Alexandre Jardin est connu pour avoir inventé la notion de «faizeux» par oppositions aux «dizeux». Les problèmes traités par les zèbres touchent beaucoup à l’économie sociale et solidaire et à la réinsertion. Alexandre Jardin avait fait une promotion remarquée de son initiative dans le meeting du mouvement «En marche» d’Emmanuel Macron le 12 juillet 2016 à la Mutualité, pendant 22 longues minutes à partir de 22mn20 dans cette vidéo.

Nous Citoyens est un mouvement citoyen lancé en 2013 par l’entrepreneur Denis Payre. Il se présente comme un mouvement pour tous les citoyens mais dans la pratique représente surtout des entrepreneurs et des professions libérales. Son credo est plutôt libéral côté politique économique. Le mouvement qui s’apparente à un parti politique a connu des hauts et des bas depuis sa création, avec des querelles de personnes incarnées par l’arrivée puis le départ de Jean-Marie Cavada de sa présidence et de la difficulté à intégrer des personnalités comme le Maire de Neuilly, Jean-Christophe Fromentin. Le mouvement a présenté des listes dans différentes élections locales ainsi qu’aux élections européennes de 2014, y recueillant 1,41% des suffrages. Bref, la mayonnaise ne prend pas.

Et j’en oublie certainement des dizaines d’autres du même genre! Les événements ne manquent pas non plus avec en premier lieu le Personal Democracy Forum dont la dernière édition française avait lieu en juin 2016 pendant le festival Futur en Seine organisé par Cap Digital.

Les civic techs de la démocratie participative

Côté start-up, c‘est une véritable foire d’empoigne! Comme le développement d’applications n’est pas bien cher, elles se multiplient comme des lapins. Les start-up privilégient les applications mobiles et délaissent souvent le web traditionnel. Too bad pour les seniors dont la vue baisse et qui ne vivent pas plongés dans leur mobile toute la journée. Mais cela s’explique facilement: les créateurs de ces start-up sont jeunes, ont rarement plus de 30 ans et ciblent donc leurs semblables et sans forcément le vouloir.

Les applications proposées ont un ensemble de fonctionnalités assez voisines qui panachent les sondages, la soumission de projets des élus ou de propositions des citoyens, la discussion associée, le vote consultatif et la relation avec les élus ou les administrations. Le véritable enjeu pour ces start-up n’est pas vraiment dans le logiciel mais dans l’emballage et le démarrage d’une communauté. Dans les contenus, la mise en forme des idées et surtout, la création d’une communauté. Il faut aussi se rappeler qu’il en coûte cher pour un citoyen lambda pour bien présenter ses idées. Tout le monde n’a pas de budget ou les compétences pour faire une maquette 3D, un plan d’architecture ou un plan financier!

Les start-up de gestion des débats participatifs

Voici un petit tour d’horizon de quelques start-up de ce secteur en commençant par celles qui permettent de faire participer les citoyens à des processus de décisions, souvent locaux. Elles sont très nombreuses et les zones de recouvrement entre solutions assez fréquentes. Les solutions logicielles relèvent essentiellement du MVP (Minimum Viable Product) au point d’être assez simplistes.

  • Vooter (vidéo) est une application mobile de consultation et de vote en ligne lancée en 2015 et testée par la municipalité de Bougival dans les Yvelines pour un budget de 6.000 euros. Au passage, la start-up commet une erreur de débutant (selon moi) qui consiste à ne pas indiquer sur son site par qui elle a été créée. Ces jeunes entrepreneurs qui ont peur de leur ombre! Par contre, elle commercialise sa solution non seulement aux collectivités locales mais également aux entreprises, trouvant par la une voie de monétisation plus sûre.

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  • Democrateek (vidéo) est une start-up nantaise qui propose de fédérer des initiatives politiques et leur donner de la voix en mettant à disposition des internautes une communauté et des outils de lobbying citoyen. C’est du pareil au même que les autres projets à ceci près que l’on peut demander l’avis de spécialistes sur les questions les plus complexes. Reste à les sourcer!
  • Make.org créé par Axel Dauchez (ex Publicis, VivaTech et Deezer) regroupe déjà une trentaine de personnes. La société se présente comme une initiative citoyenne européenne et indépendante qui vise à proposer aux citoyens le moyen de peser sur le débat politique et les élus. Son application mobile qui sera disponible fin 2016 en France puis en Allemagne et au Royaume-Uni en 2017 permettra de proposer des solutions à l’échelon local, national et européen, de prendre position sur les propositions, de lancer des actions de crowd-lobbying pour influencer les élus et de suivre les engagements des acteurs publics.
  • Citizers (vidéo, avec la classique musique de yukulele) qui permet aussi de mettre en avant des problèmes, des solutions et de trouver des volontaires (ou pas) pour les mettre en oeuvre.
  • Cityzee (vidéo) permet aux élus de dialoguer avec les citoyens via un réseau social. Avec une communication dans les deux sens, initialisée par les élus ou par les citoyens.
  • Fluicity (vidéo de l’intervention de sa cofondatrice Julie de Pimodan à TEDx Paris 2015) est une autre application mobile qui ambitionne d’intégrer l’information locale citoyenne, la proposition de projets, le dialogue avec les élus et les sondages citoyens.
  • Communecter (vidéo) est un réseau social de mise en relation des citoyens et acteurs locaux qui nous vient de La Réunion. la solution logicielle est open source.
  • Neocity (vidéo avec une vraie démonstration et pas des dessins animés pour demeurés comme pour Vooter et City2gether) propose une application mobile très intégrée pour la relation ville et citoyen qui couvre les services publics traditionnels (cantines scolaires, démarches administratives) ainsi que des fonctionnalités de dialogue (sondages, notifications, …). La solution est vendue en cloud de 109 euros à 399 euros par mois aux villes selon leur taille. Ici, l’équipe a des visages, des prénoms mais pas de nom. C’est si compliqué d’ajouter un nom de famille et une petite biographie?
  • Soyhuce (vidéo) est une web agency de Caen qui a développé City2Gether, une application mobile «qui remet le citoyen au cœur de l’écosystème en simplifiant les échanges avec les élus et les collectivités». C’est surtout une application permettant aux élus de lancer des sondages, complétée par des fonctionnalités de lancement d’idées ou d’alertes. Et là, bingo, l’équipe a des visages! Soyhuce se présente comme étant une start-up. On en est encore loin. A noter qu’ils exposaient au CES 2015 et seraient présents au CES 2017, une erreur de casting à mon humble avis, ce genre de solution y étant très difficile à promouvoir à l’échelle internationale.
  • Politizr (vidéo) a développé une application mobile qui fait réagir les élus aux propositions des citoyens ou… des élus. On peut retrouver les débats proches de chez soi grâce à la géolocalisation, mais seulement après avoir créé un compte utilisateur. Le projet est ambitieux car il couvre toutes les régions et collectivités à la fois. Avec le risque de ne jamais arriver à créer de masse critique d’intervenants. Ou alors, ils s’imposeront et élimineront les autres acteurs qui s’attaquent aux villes une par une.
  • Parlements & Citoyens (vidéo pour neuneus) permet aux citoyens de participer à la rédaction de propositions de loi via des consultations ouvertes déclenchées par les députés et les sénateurs.
  • Stig (vidéo) est une autre application de démocratie participative à l’échelon local comme national qui propose le grand classique: proposer des projets, de voter pour eux et de les améliorer de manière collaborative. Sa sortie est prévue fin 2016. L’application est gratuite. Reste donc à la monétiser, probablement auprès des collectivités locales et institutions.
  • Civocracy (vidéo) est une plateforme originaire de Berlin de débat de sujets civiques, surtout mise dans la main des élus pour présenter leurs projets. Dans son pitch, le fondateur Benjamin Snow en ajoute un peu trop sur la potentialité du marché, s’appuyant sur l’étude d’IDC citée plus haut.
  • Curious.so se propose de permettre aux citoyens de poser des questions aux politiques et à ceux-ci de répondre. Encore faut-ils que ceux-ci répondent effectivement. Comme le site n’a pas d’audience, il y a des questions – assez classiques- et pas encore de réponses. Vieux problème de l’œuf et de la poule.
  • Mon-eparti est une application mobile gratuite à venir qui se propose d’intégrer de manière horizontale les débats sur les sujets politiques nationaux, de l’information “neutre” sur ces sujets, des sondages en ligne permettant de cartographier en temps réel l’opinion publique. Le projet a été lancé par Serge Pilicer, aussi connu pour l’organisation de divers événements dont les «Assises du Numérique». Il ambitionne de devenir le standard du débat citoyen en France. Pourquoi pas, mais il y a du monde! La question qui se pose ici comme pour nombre de projet est le modèle économique. Dès qu’il devient commercial, par exemple, via de la publicité, il peut pervertir la neutralité politique de l’outil. La seule solution réellement viable consiste à obtenir des subventions –elles-mêmes pas neutre– ou des donations et financements de fondations.

 

C’est une véritable avalanche de solutions! Elle pourrait générer une avalanche de travail pour les élus et les administrations. C’est bien beau de promettre monts et merveilles dans les débats entre citoyens et élus. Il faut du temps pour répondre aux sollicitations! Ce temps est limité. Les élus doivent faire des choix et gérer des priorités, liées au mandat qu’ils ont obtenu lors des élections.

Les briques technologiques

Ces startups proposent des solutions logicielles qui sont applicables à divers environnements.

  • Assembl (vidéo) est un logiciel open source de gestion de débats en ligne basé sur un forum structuré et argumenté. Les applications vont d’ailleurs au-delà du champ de la e-démocratie. Le logiciel a été créé par la société de conseil en innovation BlueNove.
  • Belem propose une solution de vote électronique basée sur les Blockchains. Dans la pratique, c’est une petite société de services fonctionnant en mode projet créée par Côme Jean-Jarry et Romain Rouphael qui travaillaient auparavant dans le secteur financier.
  • Cap Collectif, un éditeur d’applications participatives, issu de l’association Démocratie Ouverte, qui a créé le logiciel utilisé dans la consultation de la loi République Numérique. Le développement logiciel proprement dit a été réalisé par la web agency JoliCode. On est encore loin d’une véritable démarche produit.
  • Democracy OS (vidéo) créé en Argentine, notamment par Pia Mancini (vidéo de son TED Global en 2014), propose une application servant à débattre de questions en discussion au Parlement puis de proposer un consensus citoyen et de voter en ligne. Le processus semble très semblable aux applications précédentes: il permet de proposer des idées, d’en débattre et de voter dessus. Le code est open source.
  • Demodyne est une solutions logicielle d’aide à la prise de décision dans une collectivité. Elle a notamment été utilisée dans l’initiative «Le programme des français» qui vise à créer un programme politique pour un candidat à la présidentielle 2017.
  • OuiVille, Payvox, ID City, Equivote, Digitalebox, TellMyCity, Open Source Politics et Publik de entr’ouvert sont d’autres plateformes de dialogue participatif entre élus et citoyens, les deux dernières étant open source.

 

On peut aussi citer l’initiative Open Democracy Now qui vise à rassembler les acteurs de la création de solutions open source pour l’open government. Elle regroupe notamment DemocracyOS, Open Law (porté par Etalab et la DILA), Open Source Politics, République Citoyenne et Etalab (services du Premier Ministre). Elle organise notamment régulièrement des hackathons depuis début 2016 pour développer collectivement des solutions open source de «projets ouverts à portée démocratique».

Les start-up de l’information citoyenne

Quelques start-up sont spécialisées dans l’information des citoyens, un thème très important qui permet aux citoyens de s’informer et de s’impliquer en connaissance de causes.

  • Voxe (vidéo) est une association qui ambitionne de fournir une information sur les programmes des politiques avec un comparateur. Le site est déjà présent dans une quinzaine de pays. Petit hic: pour voir à quoi cela ressemble, il faut fournir son email. Sauf pour accéder au comparateur de programmes. Il permet de choisir deux candidats (pas plus?) et un thème, puis de visualiser leurs propositions respectives. Cela ne fournit pas pour autant de données de contexte et de fact-checking sur les contenus de ces programmes. C’est encore très rudimentaire à ce stade. S’y ajoute cependant la Voxe Academy qui vise à éduquer le citoyen sur le fonctionnement du pays. Un bon point.
  • Vérité Politique a un positionnement de média et plus original que les applications de vote en ligne. C’est un agrégateur de contradictions et de fact-checking des dires et promesses des politiques. Le site passe aussi à la moulinette l’exercice hebdomadaire des questions au gouvernement de l’Assemblée Nationale. Le plus dur? Faire générer les contenus par les lecteurs et trouver des financements, qui relèvent du don.

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  • Regards Citoyens est une association qui fait la promotion de l’open data et de ses usages dans le débat politique.
  • OpenSpending (vidéo) est à la fois une application web et une communauté de contributeurs lancées par l’Open Knowledge Foundation. Son objectif est de répertorier les transactions financières des entreprises et gouvernements dans le monde. Elle vise à améliorer la transparence sur ces questions financières, pour celles des données qui sont publiques.
  • Accropolis est une chaîne de streaming vidéo sur l’actualité citoyenne, créé par Jean Massiet qui est par ailleurs dans le cabinet de Colombe Brossel, Adjointe à la Maire de Paris en charge des questions relatives à la sécurité, la prévention, la politique de la ville et l’intégration.

 

On peut y ajouter les nombreuses initiatives de fact-checking des déclarations des politiques. Le site américain Politfact passe au crible les dires des candidats à la présidentielle. Des sites d’information comme Le Monde font de même, faisant appel aux lecteurs pour la vérification des affirmations des politiques. La pratique est elle-même contestée car pouvant être biaisée. Un bon système de fact-checking devrait être une sorte de fractale, permettant de creuser un sujet au-delà des simples petites phrases.

Saluons au passage l’initiative de Steeve Morin, un développeur, visant à publier le code civil et ses modifications successives sous Github. Elle permet de traduire presque en langage naturel les évolutions des textes de loi au lieu de faire des renvois entre articles de loi.

Aux USA

Les initiatives privées indépendantes ne manquent pas non plus aux USA. L’une des plus connues était America Speaks, une ONG lancée en 1995 par Carolyn Lukensmeyer qui organisait des débats citoyens autour de décisions clés. Elle avait créé les 21th Century Town Hall Meeting, qui rassemblait des milliers de participants. L’association travaillait avec des états et des organisations internationales. Elle avait planché sur la protection sociale ainsi que sur la reconstruction de New York à Ground Zero et à la Nouvelle Orléans après Katrina. L’ONG a été dissoute début 2014 après avoir rencontré des difficultés à récupérer des donations, asséchées après la crise financière de 2008. C’est le sort qui menace de nombreuses initiatives et start-up des civic techs dont le modèle économique ne repose généralement pas sur des revenus commerciaux prédictibles mais sur le bon vouloir de donateurs. Il est aussi possible que la structure d’America Speaks ne s’appuyait pas assez sur le numérique dans son fonctionnement.

On trouve également une myriade de start-up dans les civic techs que je n’ai pas le temps d’analyser. Elles s’intéressent souvent à des domaines d’activité plus faciles à monétiser et surtout à grande échelle. C’est le cas des systèmes de financement participatif d’activité citoyenne neighbor.ly et citizenvestor.

D’autres se focalisent sur l’approche communautaire sans forcément la relier aux élus locaux, comme avec Nextdoor et frontporchforum. Il faut aussi compter avec Change.org, la plateforme de signature de pétitions en ligne qui est l’une des rares solutions déployée à l’échelle internationale. Et aussi avec Nation Builder qui permet à des candidats de gérer leur campagne électorale de manière intégrée avec site web, applications mobiles, gestion des dons, des volontaires et des argumentaires et réseaux sociaux. Il est même utilisé en France, notamment par Alain Juppé!

Le modèle économique des civic techs

Qu’en est-il maintenant du modèle économique de ces civic techs? Leurs moyens financiers peuvent provenir de plusieurs sources qui ont un impact sur la nature du service:

  • Les collectivités locales et institutions, qui peuvent se payer des solutions logicielles en cloud pour gérer le dialogue avec leurs citoyens. Ce modèle est le plus solide, pour peut que la start-up capte une masse critique de clients pour générer de bonnes économies d’échelle. Ce modèle présente l’inconvénient de favoriser un dialogue piloté par les politiques et donc, potentiellement, sujet à caution.
  • Les donations et le mécénat, un modèle courant pour les start-up qui proposent des solutions qui fonctionnent indépendamment des institutions. Le modèle apporte une meilleure indépendance que le précédent mais il est très difficile de le pérenniser. On peut ranger dans le même sac les partenariats et la publicité.
  • L’approche non-profit et goodwill où le projet est géré de manière entièrement bénévole par ses porteurs, en plus d’une autre activité rémunératrice. C’est rendu possible par le faible coût de développement des solutions logicielles et d’hébergement en ligne.
  • Les subventions comme celles qui proviennent de l’initiative gouvernementale La France s’engage, pilotée par le Ministère de la Ville. On y trouve toutes sortes de projets associatifs et citoyens, dont certains relèvent de la démocratie participative.

 

Sont à exclure les business angels et le capital risque traditionnels. Dans la pratique, la réussite des projets dépend de facteurs humains plus que numériques. Le réseau des fondateurs est clé, surtout pour capter les premiers utilisateurs. La qualité de l’équipe et le charisme de ses fondateurs permet de porter le message. Le système est sélectif car le budget des mécènes n’est pas extensible à l’infini. C’est une autre forme de ploutocratie! Au moins, en tout cas, ces start-up sont bien loin de pouvoir générer une bulle financière. On ne devrait pas trop entendre parler d’unicorn de civic tech de la démocratie participative.

Comment cet écosystème pourrait-il évoluer? Il respire la diversité et la dispersion des efforts propre à tout processus d’innovation dans ses phases initiales. Sa consolidation permettrait de générer de belles économies d’échelle. Il serait souhaitable qu’elle se fasse d’abord en France car il est difficile de gérer le dialogue citoyen à l’échelle mondiale, barrière des langues oblige, tout du moins, sans un bon système de traduction automatique. Quelles start-up pourraient jouer le rôle de plateforme? A priori, les mieux financées et celles qui ont l’offre la plus transversale. Serait-ce un moteur d’idées et de solutions?

La Knight Foundation donne un éclairage intéressant sur le modèle des start-up civic tech avec cinq recommandations dont deux sont bien spécifiques au domaine. Tout d’abord, se focaliser sur des causes précises plutôt que sur des plateformes génériques faiblement mobilisatrices. Ce n’est visiblement pas le cas de la plupart des start-up que nous avons examinées ci-dessus. On pourrait ajouter: quitte à devenir une plateforme ensuite, un peu comme l’a fait Amazon. Comme pour une bonne majorité des outils du web depuis plus de 10 ans, les applications de civic tech sont appréciées pour leur capacité à se faire rencontrer les participants, si possible en IRL. Et enfin, s’assurer de l’implication et de l’engagement des élus dans le processus participatif, au risque sinon de le tuer dans l’œuf.

Le modèle de la démocratie participative en ligne fait en tout cas penser à celui des logiciels open source avec une très forte proportion de consommateurs par rapport à celle des producteurs. Elle est habituellement de l’ordre d’un rapport de 1 à 30 – 100. Ce qui explique pourquoi il y aura probablement toujours une moindre participation contributive à ces sites de e-democracy que de votants aux élections classiques, même avec un fort taux d’abstention. Même en rythme de croisière, la démocratie participative jouera le rôle d’une démocratie intermédiaire entre les électeurs «de base» dits «de la majorité silencieuse» et les élus.

Dans une quatrième et dernière partie, nous traiterons des initiatives de démocratie participatives qui visent à sélectionner puis présenter des candidats aux élections traditionnelles, notamment présidentielles.

 

Olivier-EzrattyOlivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique) et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.

 

Lire aussi:

[Civic Tech] Le numérique peut-il améliorer les démocraties? Partie 1

[Civic Tech] Le numérique peut-il améliorer les démocraties? Partie 2

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Un commentaire

  1. Bravo Olivier pour ce panorama si complet et détaillé (comme à ton habitude) sur les Civictech ! A propos de notre plateforme Assembl, n’hésite pas à remplacer le lien vers la vidéo (qui date désormais, car la plateforme a considérablement évolué depuis) par le lien vers le site dédié: http://assembl.bluenove.com/
    A noter par ailleurs la possibilité de voir la plateforme ‘en action’ dans le cadre du débat international ‘Cities for life’ sur les Villes Inclusives et de contribuer activement aux discussions toujours en cours: http://citiesforlife-latribune.paris/fr/public-consultation
    Encore bravo et merci à toi
    Martin
    Martin Duval
    President & COO de bluenove
    contact@bluenove.com

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