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«A l’israélienne» : et si la culture entrepreneuriale primait sur les dispositifs ? I Episode 3

Par Laetitia Gabay Mariani, Consultante - Chercheuse en Entrepreneuriat

En mars dernier, j’étais en Israël avec l’équipe Conseil & Recherche pour tenter de percer le mystère du dynamisme entrepreneurial de la « Startup nation »… Nos rencontres avec les acteurs de l’écosystème entrepreneurial sur place nous ont confortées dans l’idée – que je formulais dans le précédent billet de cette sérieApple-converted-space »>  que les trésors d’innovation israéliens étaient à chercher ailleurs que dans ses dispositifs d’accompagnement. Dernière étape du voyage et de cette série de billets : et si la culture primait les modèles !

« It’s a much broader game » : s’inspirer avant tout de l’état d’esprit israélien.

Notre objectif initial était de comprendre les clés du dynamisme entrepreneurial de la « Startup nation », à travers les méthodes, les outils et les modèles d’accompagnement pratiqués dans les nombreuses structures d’incubation du pays. Or, nous avons très vite compris que la singularité d’Israël ne résidait pas là. « La méthodologie n’est pas ce qui rend Israël différent », ont pu nous signaler certains acteurs de l’écosystème : « C’est un terrain de jeu bien plus vaste. ». Ces derniers pointent avant tout le rôle que jouent la culture, l’attitude israélienne dans le potentiel d’innovation du pays. Quant aux outils et méthodes employés, tels que le Lean Startup, le Business Model Canva ou le Design Thinking, ils dérivent en réalité pour la plupart du savoir-faire de la Silicon Valley.

L’attitude israélienne serait donc le principal atout de l’écosystème entrepreneurial foisonnant du pays. C’est effectivement pour s’inspirer de cet état d’esprit que de grandes entreprises choisissent d’ouvrir leur laboratoires d’innovation sur le territoire israélien, tels que l’Open Innovation Lab de Renault, en partenariat avec l’Université de Tel Aviv. C’est aussi ce qui motive les nombreuses « learning expédition » organisées dans un certain nombre de grandes écoles françaises. Muriel Touaty, CEO du Technion France, nous le confirme : « Les learning expedition que nous organisons au Technion pour les étudiants français visent surtout à s’inspirer des attitudes, de l’audace de leurs homologues israéliens.» 

« Bon, et alors ? À l’israélienne quoi. » : une attitude décomplexée et entreprenante.

Au-delà des structures de formation et d’accompagnement, la culture israélienne serait donc le terreau de cet état d’esprit entrepreneurial. Elle serait liée à la situation géopolitique du pays, marquant la vie de sa population par l’incertitude et une forme de combativité : « On se lève le matin sans savoir s’il y aura un lendemain » explique la directrice du Technion France, qui a vécu plus de 20 ans en Israël : « Cela pousse à être audacieux, à oser et au dépassement de soi. ». Ces facteurs contextuels motiveraient une norme culturelle qui valorise l’action, la prise d’initiative associée à une tolérance de l’erreur plus forte que dans le contexte français : «Ici, nous avons le droit de nous tromper. Ce qui compte, c’est d’aller de l’avant. ».

En ce sens, les comportements seraient régis par des principes de décomplexion et d’authenticité très forts. Les israéliens se décrivent d’ailleurs pour beaucoup par leur franchise : « Nous sommes connus pour être honnêtes, « in the face ». Tu n’es pas poli, tu ne tournes pas autour du pot. Tu vas droit au but », rappelle une responsable de TAU Ventures. Cela peut parfois aboutir à des échanges de points de vue virulents, sans que cela ne génère de rancune dans les relations interpersonnelles : « Les réunions peuvent être violentes mais à la fin on se tape dans le dos », explique un professeur de l’Université de Tel Aviv. Cette honnêteté frontale peut être perçue comme agressive pour certains observateurs externes : « Se faire sa place ici, c’est bien souvent marcher sur les pieds des autres », nous avoue un expatrié français.

La formation militaire, ou l’innovation en ordre de bataille.

La place que joue le service militaire obligatoire dans l’éducation israélienne participe également à la formation de cette attitude entreprenante. Moment essentiel d’intégration à la nation, il concerne tous les jeunes israéliens âgés de 18 ans, pour une durée minimale de 2 ans et demi pour les hommes et de 2 ans pour les femmes. Il permet notamment à ces jeunes d’avoir des responsabilités très tôt, à développer leur leadership, mais aussi à prendre des risques et des décisions rapides dans des situations de crise. « A 20 ans, je gérais une équipe de jeunes d’un an de moins que moi, du matériel couteux, la vie des gens. » témoigne une mentor du centre HUStart à Jérusalem, « Cela aide à entrer dans l’âge adulte. ».

Il n’est d’ailleurs pas rare de retrouver parmi les entrepreneurs israéliens d’anciens officiers, ayant effectué un parcours dans l’armée plus long que le service minimum. Le caractère exceptionnel de ces individus a pu nous être souligné par différents observateurs : « Ils ont appris à être des leaders, à opérer sur le terrain, à créer des choses à partir de rien, à orienter l’action vers l’efficacité, à regarder le monde comme une opportunité. Bref, à penser « out of the box » », nous explique une responsable pédagogique de l’Université d’Haïfa. Or, ces qualités et compétences sont fondamentales dans la construction d’un projet entrepreneurial.

De l’individu dans la société à l’entrepreneur dans son écosystème : même combat.

Les mécanismes de sélection conditionnant les parcours dans l’armée, s’ils contribuent à trier extrêmement rapidement les individus, permettent avant tout de les placer dans une unité et une position où ils seront les plus pertinents, mais aussi les plus épanouis. Malgré le caractère hiérarchique de toute organisation militaire, l’armée israélienne repose aussi sur l’idée qu’il y a une place pour chacun. Cela s’accompagne d’un droit de parole et de contestation, quelle que soit sa position hiérarchique. En 2006, c’est un officier bas gradé de l’armée qui aurait signalé la présence d’un réacteur nucléaire syrien, échappé aux radars des services de renseignements, permettant par la suite sa destruction par les services militaires israélien.

Cette anecdote illustre une forme de culture de la dispute que nous évoquions précédemment, qui encourage à s’exprimer, contester, argumenter. Le contexte culturel israélien, marqué par un fort multiculturalisme (8 millions d’habitants ; 6 millions de juifs originaires de plus de 100 pays ; une forte minorité arabe de 1,4 millions d’habitants, 300 000 nouveaux immigrants), est d’ailleurs propice à la confrontation des points de vue. Pour certains observateurs, cela pousserait les individus à se confronter aux autres. On retrouve là la figure de l’entrepreneur constamment à l’écoute de son environnement, curieux, ouvert, prêt à saisir une opportunité ou à pivoter si cela est nécessaire.

Les injonctions à oser, agir, se tromper, se confronter à l’altérité, ancrées culturellement en Israël, semblent donc expliquer pour partie son dynamisme entrepreneurial. C’est ainsi dans les attitudes, les manières d’être et d’agir entrepreneuriaux et entreprenants, que la « startup nation » peut constituer un réservoir d’inspiration pour accompagner les jeunes entrepreneurs, à travers des principes structurants comme le droit à l’erreur, la prise d’initiative et la curiosité. Il s’agit donc moins de former à des méthodologies que de véritables comportements entrepreneuriaux…

  1. Une responsable de TAU Ventures, fond d’investisseur de l’Université de Tel-Aviv

2. Un professeur en Entrepreneuriat de l’Université de Tel Aviv

3. Un responsable de l’Université hébraïque de Jérusalem

Photo by Adam Jang on Unsplash

La contributrice :

Passionnée par les mutations actuelles du travail, Laëtitia est chercheuse en Entrepreneuriat, dans le cadre d’une CIFRE entre l’Université de Grenoble-Alpes et l’entreprise Conseil & Recherche. Ses travaux portent sur l’engagement entrepreneurial des étudiants et le rôle des dispositifs d’accompagnement dans le passage de l’intention au comportement entrepreneurial. Cette recherche est réalisée sous la direction de Jean-Pierre Boissin, coordonateur du plan national pour l’entrepreneuriat étudiant et bénéficie ainsi d’un terrain de choix : le dispositif national Pépite France.
Par ailleurs, dans le cadre de son activité de consultante chez Conseil & Recherche, elle prend part à des projets de recherche collaborative au service de grands comptes, sur des thématiques liées aux transformations du travail et à l’innovation (Nouveaux usages des espaces de travail, innovation, expérience collaborateur etc).
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