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[Decode Banking 4.0] Part 2: évolutions du milieu bancaire, panorama prospectif

Par Fabien Giuliani, Doctorant en prospective chez Conservatoire National des Arts et Métiers

Afin de comprendre dans quelles directions pourrait évoluer le secteur bancaire français, il est possible de distinguer deux niveaux d’analyse. Les tendances lourdes – on parle de mégatendances – influencent irrémédiablement l’évolution à long terme du secteur. Toutefois, cette marche de l’histoire prévisible se trouve détournée, voire contrecarrée, par des phénomènes émergents, qui portent en eux les germes d’une rupture souvent inattendue et à la portée spectaculaire. En Europe Occidentale comme aux Etats-Unis, la banque est soumise à l’empire deux mégatendances: le recentrage de la création de valeur autour de l’utilisateur, et l’inexorable montée en puissance des plateformes numériques. Toutefois, l’émergence de l’économie collaborative, combinée à ces deux lames de fond, pourrait produire une rupture majeure pour l’ensemble du secteur financier. Dans cet article, nous nous proposons de décrire ces mégatendances et cette émergence, et d’analyser leurs impacts potentiels sur la banque.

Un virage user centric mal négocié par les banques

Avec la fin des Trente Glorieuses, la prise en compte des besoins de l’utilisateur devient une force structurante de la vie économique. Celle-ci n’a dès lors cessé d’étendre son influence, depuis la manière de vendre le produit ou le service (marketing) jusqu’à celle de construire la proposition de valeur (business design). À la faveur du développement des NTIC – et notamment de la business intelligence, ce mouvement impacte l’ensemble des processus de production. La digitalisation de l’économie, en germe dès les années 1970, nourrit ce mouvement user centric : elle permet de créer et de délivrer des produits et des services hyperindividualisés sur des marchés de masse. La vision revendiquée par Amazon, acteur hégémonique sur les secteurs du retail et du cloud computing, consiste ni plus ni moins à être l’entreprise la plus user centric au monde.

Dans le cas de la banque, la digitalisation a eu pour effet paradoxal de canaliser le mouvement user centric. La digitalisation des opérations bancaires de back office – perçue très tôt comme un levier de rationalisation des coûts, a accompagné le mouvement d’uniformisation des branches d’activités et des procédures dans un esprit centralisateur. La digitalisation a certes offert des bénéfices tangibles aux usagers en termes de gamme et de disponibilité des services financiers, mais la banque demeure en France un mass market aux propositions de valeur étonnamment standardisées. L’importance stratégique excessive des SI limitent l’agilité des banques.

La première vague de fintechs (banques digitales, comparateur de prix, solutions de paiement) du début des années 2000, dont les porte-étendards s’appelaient Monéo, Fortuneo ou encore Boursorama, fut perçue comme une menace par les majors françaises. Celles-ci verrouillèrent l’accès à leur clientèle en rachetant les start-up pionnières ; ce faisant, elles s’approprièrent leurs technologies mais restreignirent leurs capacités d’innovation. En 2019, cette stratégie a fait long feu. Le contexte réglementaire en matière de crédits et de paiements se révèle favorable à des nouveaux entrants toujours plus nombreux, qui bénéficient en outre de rapides mutations des usages infusant d’autres pans d’activité économique : paiement par internet, e-commerce, m-commerce…

La montée en puissance des plateformes numériques

La digitalisation de l’économie se nourrit de l’exploitation d’une nouvelle ressource-clé : la donnée. Plus un secteur économique produit de data, plus il est susceptible d’être investi par des acteurs capables de les valoriser en améliorant le ciblage de leurs offres, en élargissant leurs gammes de service, en fidélisant les clients… Le secteur bancaire ne fait pas exception : les géants du Web, des télécoms ou même de la grande distribution lorgnent d’un œil jaloux ces masses de données encore sous-exploitées.

On utilise l’acronyme GAFAM pour désigner les géants américains leader d’un marché-clé de l’économie digitale: Google (moteur de recherche), Apple (hardware), Facebook (réseaux sociaux), Amazon (e-commerce et cloud computing), Microsoft (software). Ces acteurs empruntent tous le modèle de la plateforme : ils centralisent d’importantes ressources qu’ils mettent à disposition de leurs usagers, simples utilisateurs ou entreprises. Les plateformes s’appuient sur un double effet de réseau : la constitution d’écosystèmes d’utilisateurs « passifs » qui les alimentent en data, et « actifs » qui développent des applications basées sur leurs ressources.

La logique capitalistique du XXe siècle fut celle de la centralisation des ressources et des productions, tempérée par le recours à une sous-traitance vouée à contrecarrer la diminution tendancielle du taux de profit. Celle structurant le capitalisme numérique du début du XXIe siècle souligne davantage une mise à disposition sur des plateformes des ressources afin de susciter une «sur-traitance» à coût marginal quasi-nul. Cette sur-traitance n’épargne aucun pan de l’économie. Elle profite notamment aux fintechs, qui développent leurs solutions en s’appuyant sur les puissants algorithmes et la considérable masse de données dont disposent notamment Amazon ou Google. Si les banques françaises disposent théoriquement des données et ressources financières suffisantes pour se constituer elles-mêmes en plateforme, celles-ci ont tardé à développer leurs propres écosystèmes de fintechs vouées les valoriser.

Pour le secteur bancaire, la concurrences des émanations de l’économie numérique constitue une menace redoutable. À titre d’exemple, environ 20% des revenus des banques généralistes en France proviennent de l’exploitation des cartes de paiements (pourcentage sur le volume des transactions, coûts des terminaux, prix supporté par l’usager…). Les systèmes de paiement en ligne (WeChat, Apple Pay, Google Pay, Lydia, Transferwise…) se démarquent par des propositions de valeurs différenciées et par leur gratuité. Ils captent ainsi une part croissante des transactions entre particuliers, et désormais de professionnels à particuliers. Ils bénéficient enfin de la DSP2 européenne, qui oblige les banques à leur donner accès via des API, leurs informations clients.

L’émergence de l’économie collaborative 

L’économie de plateforme bouleverse les modalités d’accès à l’information et aux ressources physiques. De nombreux pans d’activité traversent une période de turbulences liée à la juxtaposition et parfois à l’affrontement d’organisations fonctionnant selon le paradigme économique classique avec des modèles dits « collaboratifs ». Ces derniers s’appuient sur les plateformes qui permettent aux particuliers d’échanger de pair-à-pair l’usage de biens, de services ou de connaissances.

L’économie collaborative est phénomène protéiforme et complexe, polarisé par deux modèles. Son versant ultralibéral, incarné par les épouvantails Uber et Airbnb qui se sont brutalement appropriés les parts de marché d’acteurs traditionnels des secteurs du transport et de l’hôtellerie, produit d’importantes externalités négatives mais séduit massivement les usagers. A contrario, certains modèles collaboratifs s’inscrivent dans une logique complémentaire du paradigme dominant, et inventent de nouvelles propositions de valeurs, globales ou locales, à finalité lucrative ou non.

Le secteur bancaire doit prendre d’autant plus au sérieux l’émergence de ce nouveau modèle qu’il implique une remise en cause du rôle de l’intermédiaire. L’économie collaborative n’est pas une désintermédiation, mais une réintermédiation autour d’une plateforme. Certes, l’activité bancaire se constitue par essence comme une plateforme de partage de ressources financières entre épargnants et emprunteurs catalysée par un effet de réseau. Mais il s’appuie trop peu sur les relations de pair-à- pair ou sur l’entrepreneuriat pour renouveler sa proposition de valeur : la gouvernance des structures coopératives (Crédit Agricole, Crédit Mutuel, BPCE) suscite un faible engagement des sociétaires, tandis que les fintechs françaises demeurent peu soutenues comparativement à leurs homologues anglo-saxonnes. Force est plutôt de constater que les banques françaises se sont éloignées à la fois de leurs usagers et de leurs territoires d’ancrage pour adopter des structures centralisées, et devenir des entreprises pour le moins classiques plutôt que de se constituer en plateforme collaborative.

Le contributeur :

Conférencier et doctorant en science de gestion, Fabien Giuliani étudie le lien entre veille stratégique et prospective. Ses travaux de recherche visent en particulier à mettre en lumière les utilisations de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’intelligence économique.

Fondateur du cabinet Demain la Veille, il conseille les entreprises en termes de stratégie de transformation digitale et de gestion de l’information stratégique. Les mutations liées à l’économie digitale sont sa thématique de prédilection.

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3 commentaires

  1. Excellent article qui nous éclaire parfaitement sur ce que sera l’économie de demain matin
    Le modèle « de papa » est sur le point de disparaître …
    Bravo au rédacteur

  2. Un article très intéressant, merci pour ces informations très concrètes.

  3. Bonjour
    Pour ma part j’ai ouvert au tout début de l’arrivée des banques en ligne un Compte Nickel intéressé par son coût très très faible d’utilisation et parce que je n’avais pas besoin d’autre service que celle d’une carte de paiement

    Au tout début Nickel m’a séduit par son modèle simple (une carte en 5 minutes chez le buraliste) économique 20€ par an et surtout sans aucun frais bancaire ( pas de frais de tenue de compte, d’ATD, impayé etc) et des créations de bénéficiaires avec virements immédiats.

    Puis en 2018 BNP (l’ogre) est arrivé avec son gros carnet de chèque (enfin celui de ses clients) et rachète Nickel.

    Depuis, BNP a mis en place des frais d’ATD, des délais incompréhensibles de virements lors de la création d’un nouveau bénéficiaire, soit disant pour des questions de sécurité (enfin la leur bien sur) faisant que lorsqu’une somme est disponible il faut attendre 48h (voire plus) sauf si au lieu de virer le montant voulu (dans mon cas il s’agissait de 1.500€) 2 virements l’un de 750€ et l’autre de 750,01€ sont effectués et là du coup ça passe ! J’en conclue donc que la rétention de fonds lors d’un nouveau bénéficiaire est pipeau !

    J’aurais préféré qu’elle améliore l’expérience client en ajoutant des services.

    Je félicite l’excellent article publié chez FRENCHWEB par le nom moins excellent Fabien Giuliani parce que je soutiens l’idée que les banques traditionnelles ont loupé leur transformation digitale en oubliant qu’ils ont besoin de leurs clients pour faire vivre leur business et non pas le contraire, ce que les GAFAM ont compris … depuis longtemps. Cherchez l’erreur 😡
    Filcos

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