
Ce que gagnent vraiment vos investisseurs, ou comprendre la mécanique de rémunération des sociétés de gestion
Ce que la rémunération de vos investisseurs dit de leurs priorités
Lever des fonds transforme la vie d’une startup, mais modifie aussi profondément les équilibres entre ses parties prenantes. Derrière chaque investisseur en capital-développement ou en capital-risque se trouve une société de gestion, dont la rémunération dépend étroitement de vos performances. Comprendre comment ces structures gagnent de l’argent permet de mieux cerner leurs priorités, leur comportement en board, leurs attentes en matière de reporting, et parfois leurs décisions de sortie.
Ce modèle repose sur trois piliers distincts, à commencer par la commission de gestion, qui finance le fonctionnement de la société ; le carried interest, qui récompense la performance ; et les frais de transaction, souvent moins visibles mais parfois sources de tension. Pour un entrepreneur, connaître ces ressorts, c’est mieux se préparer à dialoguer avec ses investisseurs. C’est aussi saisir que, derrière les promesses d’accompagnement, se jouent des dynamiques économiques très précises.
La commission de gestion est ce qui fait tourner la machine
La première source de revenus d’un fonds est la commission de gestion (management fee). Elle est prélevée chaque année sur le capital engagé par les investisseurs, autour de 2 %, et sert à financer le fonctionnement de la société de gestion, à savoir les salaires des équipes, frais d’audit, conformité, déplacements, charges fixes.
Pour vous, fondateur, cela signifie que votre investisseur n’est pas payé pour vous faire grandir, mais pour gérer un portefeuille, et ce, même s’il ne réalise aucune plus-value. Cette rémunération est toutefois appelée à baisser, passé la période d’investissement (souvent après 4 à 6 ans), la base de calcul est réduite au capital effectivement investi. Autant dire que c’est à ce moment-là que la pression sur les performances s’accentue.
Le carried interest, là où se joue l’essentiel
Le second levier est celui qui fait rêver et parfois grincer des dents. Le carried interest, ou carried, est la part des plus-values que la société de gestion peut capter si le fonds dépasse un certain seuil de rentabilité (le hurdle rate).
Concrètement, si un fonds investit 100 millions d’euros et revend ses participations pour 200 millions, la plus-value de 100 millions peut être partagée à 80/20 : 80 millions pour les investisseurs, 20 pour l’équipe de gestion.
Pour votre entreprise, cela signifie que votre croissance, et surtout la réussite de votre sortie, conditionne directement la rémunération variable de votre investisseur. Le carry n’est ni automatique, ni garanti, il dépend du timing de sortie, du niveau de valorisation, et de l’arbitrage global du portefeuille.
Les frais de transaction, entre rémunération technique et crispations
Certaines sociétés de gestion perçoivent également des frais de transaction lors de l’acquisition ou de la cession d’une entreprise. Ils rémunèrent le travail d’analyse, de structuration et de négociation des deals.
Ces frais peuvent représenter une source marginale de revenus, mais ils sont parfois mal perçus, notamment par les entrepreneurs qui les découvrent au détour d’un audit. De plus en plus, les investisseurs institutionnels exigent que ces frais soient partiellement ou totalement reversés au fonds, au nom de la transparence et de l’alignement.
Comment la logique du fonds influence-t-elle vos marges de manœuvre?
Le schéma de rémunération des investisseurs n’est pas neutre. Il structure leur comportement tout au long de la vie du fonds. Un investisseur en début de cycle privilégiera peut-être des prises de participation plus risquées, alors qu’un investisseur en fin de période d’investissement cherchera des sorties rapides et valorisantes.
Cela influence :
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- la manière dont ils s’impliquent en gouvernance (forte au début, plus distante ensuite) ;
- leur réactivité face à des besoins de financement complémentaires ;
- leur volonté de soutenir un projet long contre des logiques de rendement court terme.
Par ailleurs, la plupart des gérants doivent investir personnellement dans le fonds, souvent à hauteur de 1 à 2 % du total levé. Ce co-investissement renforce leur implication, mais les rend aussi sensibles à la performance agrégée du portefeuille. Votre entreprise est donc évaluée dans un ensemble où les arbitrages peuvent dépasser sa trajectoire.
Un système asymétrique, dominé par quelques fonds
Enfin, il faut rappeler que ce modèle est très sélectif. Quelques sociétés de gestion captent l’essentiel du carried interest au niveau mondial. Pour les autres, une mauvaise performance sur un fonds peut compromettre la levée suivante, voire la survie même du fonds d’investissement.
Cette pression explique certaines pratiques, à commencer par un déploiement rapide du capital, la recherche de deals à forte valorisation, ou encore une standardisation des process. Cela ne doit pas disqualifier l’accompagnement proposé, mais invite à scruter les incitations réelles de chaque interlocuteur.
Clauses protectrices : sécuriser le rendement avant de le partager
Au-delà de leur rémunération directe, les sociétés de gestion structurent leur prise de participation avec une série de clauses contractuelles visant à encadrer le risque et nous reviendrons sur ce point en particulier. Parmi les plus significatives figure la liquidation preference (préférence de liquidation), qui garantit au fonds de récupérer en priorité tout ou partie de son investissement initial, voire un multiple de celui-ci, avant tout partage avec les fondateurs ou les salariés actionnaires.
Par exemple, une préférence 1x non participating assure à l’investisseur de récupérer au moins 100 % de son apport en cas de sortie en dessous des attentes. Une préférence participating lui permet, en plus, de bénéficier d’une part proportionnelle des gains restants. D’autres clauses comme les ratchets anti-dilution, les droits de veto, ou encore les clauses de sortie conjointe (drag-along) complètent souvent ce cadre, en offrant aux investisseurs des leviers supplémentaires de contrôle et de protection.
Pour les fondateurs, ces dispositifs ne sont pas neutres. Ils influencent la répartition effective du capital en cas de sortie, modulent les incitations à long terme, et peuvent créer des écarts significatifs entre la valorisation perçue et la valeur réellement captée par les fondateurs. Leur poids dans l’équation est d’autant plus important que le scénario de sortie s’éloigne du « best case ».
Mieux comprendre pour mieux négocier, au bon moment et sur les bons leviers
Savoir comment sont rémunérés vos investisseurs, c’est comprendre ce qui oriente leurs décisions à chaque étape de la relation. Car cette rémunération ne se joue pas dans l’absolu, mais dans un cadre temporel précis. Etes-vous leur premier investissement ou le dixième ? Le fonds est-il en phase active de déploiement, ou déjà proche de sa période de liquidité ? Le carried interest est-il déjà en ligne de mire, ou encore loin d’être atteignable ?
Votre place dans le portefeuille compte également. Un fonds qui a déjà sécurisé plusieurs succès pourra se montrer plus patient ou plus audacieux. À l’inverse, un fonds en difficulté ou en fin de cycle pourrait chercher une sortie rapide, au détriment d’un plan de développement à long terme. Dans certains cas, le profil de risque que vous représentez, innovation de rupture, cycle de vente long, dépendance à la conjoncture, peut être amplifié ou atténué selon la pression économique que subit le fonds à ce moment-là.
En bref, lever des fonds ne consiste pas seulement à convaincre un investisseur que votre projet est solide. Il s’agit aussi de comprendre dans quelle logique économique lui-même s’inscrit, à quel moment vous entrez dans sa stratégie, et quel type de valeur, immédiate ou différée, il attend de vous.
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