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Probabilistic programming : une alternative sérieuse aux limites du deep learning?

Alors que les systèmes d’intelligence artificielle les plus avancés montrent certaines limites, qu’il s’agisse de véhicules autonomes peinant à interpréter des contextes inhabituels, ou d’outils médicaux retirés du marché faute de fiabilité, une autre approche, plus discrète, suscite un regain d’intérêt : le probabilistic programming. Ce paradigme repose non pas sur l’apprentissage massif à partir de données, mais sur la modélisation explicite du monde, de ses incertitudes et de ses relations causales.

Contrairement aux réseaux neuronaux profonds, qui apprennent essentiellement par corrélation statistique sans formaliser de règles, les modèles probabilistes permettent de décrire directement les liens entre événements, causes et effets, selon une logique inspirée du raisonnement bayésien. Là où les approches classiques de machine learning cherchent à reproduire des motifs observés, les programmes probabilistes formulent des hypothèses, les confrontent à l’observation, et ajustent leur compréhension du phénomène.

Les différences entre ces deux écoles sont de nature structurelle. Le deep learning excelle dans la prédiction, mais reste souvent opaque dans ses raisonnements. À l’inverse, un modèle probabiliste peut produire plusieurs explications compatibles avec une observation, assorties d’un degré de confiance. Dans le cas de la surveillance sismique, par exemple, ce type de modèle peut distinguer différentes causes possibles, séisme naturel, explosion industrielle, essai nucléaire, tout en justifiant ses hypothèses. Cette approche a été mise en œuvre dans le cadre du système de vérification du Traité d’interdiction des essais nucléaires, où un programme développé en quelques dizaines de minutes a permis d’atteindre un niveau d’analyse qui avait auparavant requis des décennies d’expertise humaine.

Dans le domaine médical, cette capacité à raisonner avec peu de données est également précieuse. Alors que les réseaux neuronaux exigent des bases d’images considérables pour apprendre à détecter une pathologie comme le mélanome, un modèle probabiliste peut fonctionner à partir d’un nombre plus restreint d’observations, en s’appuyant sur des connaissances cliniques préexistantes. Il ne se contente pas de classifier, il évalue, explicite, et peut reconnaître les situations où l’incertitude demeure.

On retrouve des cas d’usage similaires en logistique. Lorsqu’un aléa affecte une chaîne d’approvisionnement, il ne s’agit pas seulement de signaler un retard, mais de comprendre les mécanismes de propagation, d’évaluer les scénarios à venir et de recommander des actions correctives. Les modèles probabilistes s’avèrent ici utiles pour explorer plusieurs trajectoires possibles, en tenant compte de dépendances complexes et parfois inédites.

Ces modèles ne cherchent pas à impressionner. Ils ne génèrent ni images, ni textes, ni contenus spectaculaires. Leur force réside ailleurs : dans leur capacité à modéliser, à expliquer, à guider la décision. Ils ne remplacent pas les systèmes de deep learning, mais viennent combler une lacune, celle de la compréhension structurée et de l’incertitude explicite, souvent absente des approches purement statistiques.

Aujourd’hui, le probabilistic programming reste un champ de niche. Moins intuitif, plus exigeant sur le plan technique, il est encore peu mis en avant dans les interfaces utilisateurs et les plateformes dominantes. Néanmoins, à mesure que les attentes évoluent et que les limites des IA génératives deviennent plus apparentes, cette approche pourrait gagner en pertinence, notamment dans les secteurs où la rigueur et la robustesse sont essentielles : santé, énergie, finance, sécurité.

Repères : historique, usages et applications du probabilistic programming

Historique en bref

    • Années 1990–2000 : développement des modèles graphiques (réseaux bayésiens, HMM). L’approche reste confinée aux laboratoires académiques.
    • 2008 : lancement du langage Church par le MIT, première tentative de langage probabiliste généraliste.
    • 2012–2015 : émergence de langages plus accessibles comme Stan (Columbia University), PyMC3, WebPPL.
    • 2017–2020 : adoption industrielle avec Pyro (Uber AI Labs), Edward (Google Brain), TensorFlow Probability.
    • Depuis 2021 : montée en puissance de NumPyro, basé sur JAX, pour des modèles bayésiens rapides et différentiables.

Acteurs et entreprises pionnières

    • Uber utilise Pyro dans ses modèles de prévision de demande, de tarification dynamique et de planification logistique.
    • Google a développé Edward puis l’a intégré dans TensorFlow Probability pour la modélisation incertaine.
    • Microsoft a conçu Infer.NET, utilisé notamment dans ses produits Office (comme Outlook) pour inférer automatiquement des priorités.
    • La NASA s’appuie sur des modèles probabilistes pour anticiper les défaillances dans les systèmes embarqués.
    • Gouvernements et institutions : le CTBTO (Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty Organization) emploie des modèles probabilistes pour l’analyse des signaux sismiques.

Exemples concrets d’application

    • Détection d’essais nucléaires : un modèle probabiliste a été utilisé pour distinguer en quelques minutes un séisme d’un essai souterrain, surpassant des méthodes classiques utilisées pendant des décennies.
    • Médecine personnalisée : des modèles comme BayesRx sont testés pour estimer les réactions individuelles à certains traitements en oncologie.
    • Diagnostic de panne dans l’industrie : certaines plateformes de maintenance prédictive modélisent les relations causales entre signaux capteurs et incidents techniques.
    • Prévision des perturbations logistiques : des systèmes probabilistes sont utilisés pour simuler des chaînes d’approvisionnement sous incertitude et proposer des plans de résilience.
    • Sécurité informatique : pour détecter des comportements inhabituels sur des réseaux, certains SIEM (Security Information and Event Management) intègrent des modèles bayésiens hiérarchiques.
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