
G42, le cheval de Troie stratégique de Microsoft au Moyen-Orient
Longtemps discret, G42 s’impose aujourd’hui comme l’un des acteurs les plus influents de l’infrastructure technologique mondiale. Derrière ce conglomérat émirati à l’identité hybride , à la fois cloud provider, investisseur souverain et opérateur IA, se joue une redéfinition des rapports entre souveraineté numérique et alliances technologiques. En toile de fond, le partenariat tissé avec Microsoft agit comme levier d’intégration régionale, mais aussi comme point d’ancrage pour les ambitions stratégiques américaines dans le Golfe.
Une entreprise-pivot aux nombreuses ramifications
Fondé en 2018 à Abu Dhabi, G42 est une entreprise atypique par son périmètre et sa gouvernance. Proche du pouvoir émirati, avec pour Chairman, Cheikh Tahnoun bin Zayed Al Nahyan, fils du Fondateur des Emirats Arabes Unis, et frère du président Mohammed ben Zayed Al Nahyan, elle incarne une forme d’industrialisation souveraine de l’IA. Verticalement intégrée, elle contrôle les puces, les datacenters, les modèles et les services. Son entité Core42 pilote des clouds GPU multi-régionaux, tandis que Khazna Datacenters développe des campus hyperscale aux Émirats, en Afrique et en Europe. Le groupe opère aussi à l’international avec une implantation en Turquie, une autre à Fort Worth (Texas), et un campus en construction dans l’État de New York.
L’influence de G42 ne tient pas uniquement à ses moyens, mais à sa capacité à se positionner comme relais d’intérêts américains dans une zone stratégique. En 2023, Microsoft y a investi 1,5 milliard de dollars. La firme de Redmond détient désormais un siège au conseil d’administration, tout en s’appuyant sur G42 pour opérer une partie de ses infrastructures IA dans la région.
Un partenaire stratégique pour Microsoft
Le rapprochement entre Microsoft et G42 ne s’apparente pas à une simple alliance commerciale. Il reflète une stratégie plus large de “cloud diplomacy” dans laquelle les hyperscalers occidentaux s’associent à des entités locales pour contourner certaines limites structurelles.
Dans ce schéma, G42 agit comme un facilitateur d’infrastructure, permettant à Microsoft de servir ses clients dans des régions sensibles, sans avoir à y assumer directement l’exploitation physique ou les risques politiques. Les GPU fournis par Nvidia à G42 sont en partie redirigés vers les besoins de Microsoft, de manière contractuelle. Une façon de sécuriser du calcul, tout en déportant l’exécution hors des datacenters américains.
Souveraineté ou dépendance masquée ?
Ce modèle soulève une question centrale, à qui appartient la souveraineté numérique lorsque l’infrastructure est déployée localement, mais que les briques critiques (GPU, OS, frameworks IA, contrôle de sécurité) restent d’origine américaine ? G42 joue ici un double rôle. Côté émirati, il incarne l’autonomie stratégique et côté américain, il représente une tête de pont fiable dans un environnement où la Chine peine à s’implanter.
C’est là que le terme de cheval de Troie prend tout son sens. G42 offre aux États-Unis une extension crédible de leur chaîne de valeur IA, tout en conservant un ancrage local fort. L’entreprise opère selon les standards américains, collabore avec les agences de sécurité, et s’engage sur des protocoles de transparence vis-à-vis des autorités de Washington. Pour les décideurs américains, cela apparait comme un compromis acceptable entre contrôle et délégation.
Une position-clé dans les redéploiements de l’IA mondiale
Enfin, le partenariat avec Microsoft s’inscrit dans un contexte plus large celui du déploiement progressif des infrastructures IA vers les régions à bas coût énergétique. L’accélération des besoins en GPU, les limitations du réseau électrique aux États-Unis, les contraintes environnementales en Europe rendent difficile une croissance exclusivement domestique.
Ainsi avec ses campus de plusieurs centaines de mégawatts, son capital patient et son alignement stratégique avec l’Occident, G42 coche toutes les cases. Il pourrait devenir, à court terme, le principal nœud de calcul IA entre l’Asie et l’Europe, concentrant modèles, stockage, bande passante et données.