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Les fonds européens qui misent sur leurs expatriés

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Pendant longtemps, les talents qui quittaient l’Europe pour la Silicon Valley, Londres ou Singapour étaient considérés comme « perdus » pour les écosystèmes locaux. Aujourd’hui, certains fonds d’investissement inversent la perspective. Plutôt que de chercher à rapatrier les cerveaux, ils choisissent de financer les fondateurs issus des diasporas, là où ils sont, avec l’ambition de reconnecter leurs projets à leur pays d’origine. Une stratégie désormais structurée dans plusieurs pays européens, notamment en France.

La France structure ses ponts avec sa diaspora tech

Parmi les acteurs les plus engagés dans l’accompagnement des fondateurs expatriés, OneRagtime, FrenchFounders et Newfund jouent un rôle central.

FrenchFounders, réseau international d’entrepreneurs francophones, a lancé LeFonds en 2020 sous la direction de Géraldine Le Meur. Ce véhicule cible spécifiquement les startups créées par des francophones à l’étranger, en s’appuyant sur un réseau de plus de 25 000 membres répartis dans 19 grandes métropoles. L’ambition est de transformer la diaspora en levier actif d’investissement, en facilitant l’accès au capital, au réseau et au mentoring là où les entrepreneurs se trouvent.

Pour en parler, Géraldine Le Meur a accepté de nous en dire plus sur son expérience sur ces investissements engagés depuis 5 ans :

FW : Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer les fondateurs expatriés dans votre thèse d’investissement ?

Géraldine Le Meur : « Tout simplement parce que notre plateforme d’investissement n’aurait jamais vu le jour sans Frenchfounders. Frenchfounders, c’est le réseau business #1 de la diaspora française dans le monde. Je dis souvent que nous ne sommes pas la locomotive mais plutôt un wagon dans un train qui se forme autour d’une levée de fonds : celui de l’international. Notre rôle, c’est de venir renforcer une dynamique déjà en marche, en apportant un réseau international puissant, actif et opérationnel. Plus qu’un apport financier, ce qui nous anime, c’est l’accompagnement post-levée. Nous mettons tout notre réseau au service des fondateurs pour leur ouvrir les portes de nouveaux marchés, en particulier les États-Unis, où nous sommes présents à leurs côtés. »

FW : Quels critères te donnent confiance dans un projet porté depuis l’étranger mais connecté à l’Europe ?

Géraldine Le Meur : « Avant tout : l’ambition. Une vision globale dès le départ, et la volonté claire de créer une entreprise à portée internationale. Aujourd’hui, penser « global » n’est plus une option – c’est une condition nécessaire pour scaler durablement. »

FW : Pouvez-vous partager un ou deux exemples concrets de startups de la diaspora que vous avez accompagnées ?

Géraldine Le Meur : « Nous allons accompagner Veesion dans son expansion aux États-Unis, suite à leur Série B. Nous soutenons également des entreprises comme Wondercraft ou Worldia. Et plus early stage, Zeffy est un superbe exemple – une très belle success story issue de la diaspora, et notre deuxième exit avec le fonds FrenchFounders. »

FW : Quelles sont selon vous les limites ou les tensions de ce modèle ?

Géraldine Le Meur : « À partir du moment où l’on a une colonne vertébrale claire et un ADN fort, il n’y a pas vraiment de limites. Chez Frenchfounders, notre boussole, c’est l’accompagnement. Nous n’investissons que lorsque nous savons que nous pouvons être utiles : verticalement (via les secteurs représentés dans le réseau), et géographiquement (grâce à l’implantation du réseau dans les pays). C’est un vrai facteur de succès sur un alignement avec le time to market. »

FW : Et plus largement, comment voyez-vous évoluer cette relation entre diaspora et VC européens ?

Géraldine Le Meur : « Plutôt bien ! Je crois beaucoup au cross-border. Mais pour un entrepreneur, surtout au début de l’aventure, il est essentiel de pouvoir échanger avec des investisseurs qui partagent un même référentiel culturel. Des VCs capables de jouer un rôle de « coach » dans l’internationalisation, avec une vraie compréhension des codes et pratiques de leurs homologues outre-Atlantique notamment — c’est là que la collaboration entre diaspora et VCs européens peut vraiment créer de la valeur. »

Pour sa part, OneRagtime, fondé par Stéphanie Hospital, a notamment soutenu des startups comme Glose (fondée à New York), Rippletide (San Francisco / Paris), ou encore Jellysmack, cofondée par Michael Philippe, Français basé aux États-Unis, devenue leader mondial de la distribution de contenus pour créateurs sur les plateformes sociales.

Newfund, de son coté, combine une présence opérationnelle à Paris et à San Francisco pour accompagner les fondateurs français sur le marché nord-américain. Le fonds a soutenu des startups telles que Aircall, Tageos ou In2Bones en misant sur des modèles de croissance transatlantiques. Il se distingue par une capacité à investir tôt dans des projets portés par des Français implantés aux États-Unis, tout en maintenant un lien actif avec l’écosystème européen.

Enfin aux côtés de ces structures pionnières, plusieurs fonds français ont intégré la dimension diasporique dans leur stratégie. Quadrille Capital, avec des bureaux à Paris et San Francisco, soutient des fondateurs français en Californie dans leur expansion transatlantique, notamment via des participations dans Front ou Algolia. ISAI s’appuie sur une communauté d’entrepreneurs LPs très connectée aux diasporas françaises à New York, Londres ou Tel Aviv. XAnge, actif entre Paris et Berlin, finance régulièrement des fondateurs français installés à l’étranger mais développant leur activité en Europe. Frst, spécialisé dans le pré-seed, a lui aussi soutenu Jellysmack, dès ses débuts, illustrant la pertinence d’un accompagnement précoce pour des modèles pensés globalement dès l’origine.

Fondatrices et fondateurs français à l’international, des trajectoires emblématiques

La trajectoire de startups comme Contentsquare, Dataiku ou WeMaintain illustre la capacité de certains fondateurs français à bâtir des entreprises à rayonnement mondial, tout en s’appuyant sur un socle européen.

Contentsquare, fondée par Jonathan Cherki, a été soutenue par Kima Ventures, Bpifrance, Eurazeo, Highland Europe puis SoftBank, avec un ancrage fort à Paris et une expansion rapide vers New York. Dataiku, cofondée par Florian Douetteau, a reçu l’appui de FirstMark Capital (NY), mais aussi de Cathay Innovation et Eurazeo, qui ont joué un rôle de relais entre les écosystèmes américain et européen. WeMaintain, fondée par Tristan Frossard, s’est développée entre Paris, Londres et Singapour, avec le soutien de Red River West, un fonds spécifiquement conçu pour accompagner les scale-ups françaises dans leur expansion à l’international.

Ces exemples soulignent la dynamique entrepreneuriale des 10 dernières années, les fondateurs français n’attendent plus de devenir globaux pour être financés, ils sont désormais accompagnés dès les premiers tours par des fonds qui comprennent leur double culture et leur ambition transnationale.

Atomico, le catalyseur des ambitions globales des fondateurs européens

Fondé en 2006 par Niklas Zennström, cofondateur de Skype, Atomico s’est imposé comme un acteur majeur du capital-risque européen, avec une approche résolument tournée vers le soutien aux fondateurs européens ambitieux, où qu’ils se trouvent. Le fonds a récemment levé 1,24 milliard de dollars répartis entre deux véhicules : Atomico Venture VI (485 millions de dollars) pour les investissements en phase d’amorçage et de série A, et Atomico Growth VI (754 millions de dollars) pour les séries B jusqu’à l’introduction en bourse.

Atomico a investi dans plus de 155 entreprises à travers 15 pays européens, avec des participations notables dans des sociétés telles que DeepL, Corti, Pelago, Lakera et Neko Health . Le fonds met un point d’honneur à soutenir des fondateurs européens, y compris ceux issus de la diaspora, en leur offrant un accompagnement opérationnel et stratégique pour les aider à atteindre une échelle mondiale.

Londres, plateforme européenne des fondateurs expatriés

Au Royaume-Uni, Balderton Capital joue également un rôle structurant dans le financement de fondateurs européens installés à l’étranger. Basé à Londres, le fonds adopte une approche résolument continentale, investissant dans des startups créées par des entrepreneurs français, allemands ou scandinaves, qu’ils soient déjà implantés dans la capitale britannique ou partis aux États-Unis. Il a notamment soutenu Aircall, fondée à Paris, dont l’expansion transatlantique a été appuyée depuis Londres avec des relais à New York. Balderton est aussi investi dans Vestiaire Collective, ComplyAdvantage ou Zego. L’équipe, qui compte plusieurs Français dont Bernard Liautaud (ex-Business Objects), revendique une capacité à capter les projets européens pensés globalement dès l’origine, y compris lorsqu’ils sont déjà incorporés à l’étranger.

En Europe, des stratégies à géométrie variable

C’est l’un des enseignements de la stratégie d’Iron Wolf Capital, basé à Vilnius. Pour son deuxième véhicule dont la levée a été annoncée la semaine passée de 100 millions d’euros, le fonds cible les startups deeptech en phase d’amorçage portées par des fondateurs baltes, y compris ceux installés à l’étranger. « Cette diaspora basée aux États-Unis est encore largement sous-exploitée », explique Kadi-Ingrid Lilles, partner. Kasparas Jurgelionis, managing partner, ajoute : « Il y a cette idée selon laquelle une startup deeptech ne peut croître qu’en se relocalisant dans le Delaware. Nous n’adhérons pas à cela. »

Le propos n’est pas isolé. En Espagne, au Portugal, en Pologne ou en Roumanie, plusieurs fonds structurent désormais une thèse d’investissement tournée vers les fondateurs expatriés : des entrepreneurs installés dans des hubs globaux, mais dont les racines, les équipes ou la volonté d’impact restent européennes.

En Espagne, K Fund affirme soutenir « les fondateurs hispanophones où qu’ils soient ». Le fonds portugais Indico Capital Partners travaille activement avec des anciens de Google, Amazon ou Meta d’origine portugaise, qui souhaitent entreprendre à Lisbonne. À Varsovie, Inovo VC a soutenu Booksy, fondée entre la Pologne et les États-Unis. Le roumain GapMinder VC s’appuie, lui, sur les réseaux de la diaspora tech en Allemagne, au Canada ou aux US.

Une diaspora devenue levier stratégique

Ce mouvement vers les fondateurs expatriés répond à une réalité structurelle : les talents européens ne reviennent pas nécessairement au pays, mais ils restent connectés, culturellement, économiquement, émotionnellement, à leur écosystème d’origine. En les accompagnant là où ils se trouvent, les fonds européens redessinent les frontières de l’investissement early-stage. Il ne s’agit plus uniquement d’identifier des projets locaux, mais de reconnaître la portée globale des talents européens, tout en les aidant à conserver un ancrage stratégique sur le continent.

C’est une réponse pragmatique à une double tension pour éviter la fuite de valeur vers les marchés dominants, et favoriser la constitution de champions européens capables d’opérer dans un monde multipolaire. Une Europe qui, au lieu d’attendre le retour de ses talents, choisit désormais d’investir là où ils réussissent déjà.

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