
Startups, ce que dit vraiment le rapport de la Banque de France
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Derrière la moyenne, la fracture
La Banque de France a livré son étude annuelle sur la santé financière des startups françaises en 2024. Les chiffres confirment la solidité d’un écosystème qui continue de croître malgré un contexte économique tendu. Mais derrière les moyennes rassurantes, le rapport révèle une polarisation croissante : une poignée de scale-ups tire la dynamique, tandis qu’une majorité reste fragile et dépendante du capital.
Un périmètre ciblé
L’étude ne couvre pas l’ensemble des 15 000 startups recensées par la Mission French Tech. La Banque de France a retenu un échantillon de 3 930 sociétés correspondant à deux critères, un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 euros ou une levée de fonds supérieure à 3 millions. Sur ce groupe, seules 2 165 disposaient de bilans 2023 et 2024 exploitables. Autrement dit, l’analyse ne porte pas sur les jeunes pousses en phase de création, mais sur des startups déjà avancées dans leur parcours.
Une croissance qui ralentit mais reste supérieure
En 2024, les startups françaises ont généré 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de 13 %. Ce rythme reste soutenu, même si la dynamique ralentit après +18,6 % en 2023 et +25 % en 2022.
Certaines filières tirent particulièrement leur épingle du jeu, notamment les fintechs qui progressent de 41 % pour atteindre 1,41 milliard d’euros de revenus. D’autres secteurs structurants comme le software et la data, les énergies et l’environnement, ainsi que l’e-commerce et les marketplaces, cumulent près de 40 % du chiffre d’affaires global. L’internationalisation demeure un moteur essentiel : 28 % des revenus proviennent de l’export, soit environ 7 milliards d’euros.
Rentabilité : la face cachée des moyennes
Le déficit d’exploitation s’est réduit de 17 % en 2024, confirmant une trajectoire d’amélioration amorcée en 2022. Pourtant, 59 % des startups demeurent déficitaires, pour un total de 4,1 milliards d’euros de pertes, quand 41 % dégagent un résultat d’exploitation positif de 1 milliard.
Les pertes nettes représentent encore 12,4 % du chiffre d’affaires cumulé, contre 16,5 % en 2023 et 21,3 % en 2022. Mais la moyenne masque d’importants écarts : chez les entreprises matures de plus de 15 ans, la perte moyenne atteint 1,7 million d’euros, alors que la médiane n’est que de 73 000 euros. Ce grand écart s’explique par une minorité de sociétés surfinancées, capables de brûler du cash à grande échelle, qui tirent la moyenne vers le bas. La majorité des autres, avec des ressources plus limitées, s’approchent beaucoup plus rapidement du point d’équilibre.
Des bilans contrastés
Les capitaux propres progressent de 18 %, à 16,8 milliards d’euros, signe d’un renforcement global. Mais près d’une startup sur cinq affiche toujours des fonds propres négatifs, soit environ 380 sociétés.
La dette bancaire monte en puissance (5,1 milliards d’euros, utilisée par 88 % des entreprises), mais son poids reste contenu, avec un ratio dette sur fonds propres de 30 %, bien inférieur aux 66 % observés chez les PME et ETI. Les emprunts obligataires atteignent 1,1 milliard (+23 %), souvent utilisés comme relais entre deux tours de financement.
La trésorerie globale se maintient à 11 milliards d’euros, en légère progression malgré la baisse des levées (–7 % en 2024 selon EY). Ce paradoxe traduit une évolution des comportements, faute de nouveaux financements, les startups ont réduit leur burn rate et adopté une discipline plus stricte pour préserver leur horizon de trésorerie.
L’emploi concentré entre quelques acteurs
Les effectifs progressent de 4 % pour atteindre 107 800 salariés, un chiffre très éloigné des 1,1 million d’emplois revendiqués par la French Tech pour l’ensemble de l’écosystème. La moitié des startups emploient moins de 28 personnes, un quart moins de 14, tandis qu’à l’opposé, 22 scale-ups seulement concentrent plus de 10 % des emplois avec près de 600 salariés en moyenne.
Autrement dit, la dynamique globale de l’emploi de la Frenchtech repose largement sur un petit nombre d’acteurs capables de recruter massivement.
Les défaillances en hausse
82 startups ont connu une défaillance sur un an, dont 57 en 2024 et 25 au premier trimestre 2025. Le taux de 2,5 % reste inférieur à celui de l’ensemble des entreprises françaises (3,5 à 4 %), mais les procédures s’accélèrent trimestre après trimestre. Dans 70 % des cas, les startups sont directement placées en liquidation judiciaire.
Les secteurs les plus touchés sont l’e-commerce et la santé. Le profil type est celui d’une structure intermédiaire : un chiffre d’affaires médian de 3,1 millions d’euros, une cinquantaine de salariés, mais des fonds propres insuffisants et une trésorerie trop faible pour absorber les chocs.
Ce qui change par rapport à 2023
La comparaison avec l’étude 2023 permet de mieux mesurer l’évolution, on constate ainsi que le rythme de croissance ralentit : +19 % en 2023 contre +13 % en 2024. Les créations d’emplois se tassent, passant de +8 % à +4 %. En revanche, la part de startups rentables progresse, de 36 % en 2023 à 41 % en 2024, et le taux de défaillance recule légèrement, de 3,1 % à 2,5 %.
Mais au-delà des chiffres, c’est le contexte qui compte, 2023 a marqué le choc brutal du retournement du capital-risque, avec une chute de 38 % des montants levés. 2024 ne traduit pas un rebond, mais une continuité sous contrainte, faute de financements, les startups ont resserré leur gestion, réduit leur burn rate et préservé leur trésorerie. Cette discipline forcée a permis d’améliorer les résultats, sans pour autant effacer la fracture structurelle entre quelques scale-ups surfinancées et une majorité de sociétés fragiles.
📊 5 enseignements clés
- 25 Md€ de chiffre d’affaires en 2024 (+13 %).
- 16,8 Md€ de capitaux propres, mais 17,5 % des startups en négatif.
- 11 Md€ de trésorerie préservée malgré la baisse des levées.
- 107 800 salariés, mais l’emploi concentré sur quelques scale-ups.
- 82 défaillances en un an, soit 2,5 % du panel.
Entre continuité et incertitude
En 2024, la French Tech a montré qu’elle pouvait croître tout en réduisant ses pertes. Mais l’écosystème reste fracturé entre une élite de scale-ups bien financées, déjà internationalisées et parfois rentables, qui concentre l’essentiel de la dynamique et à l’opposé, une majorité de startups, souvent sous-capitalisées, survivent encore grâce aux flux de capitaux privés et publics.
L’année 2025 s’est ouvert sur un climat plus incertain. Si les dispositifs publics (France 2030, Tibi 2, French Tech 2030) continuent de jouer leur rôle d’amortisseur, la prudence croissante des investisseurs, combinée aux tensions politiques et aux vents contraires de l’économie mondiale, pourrait accentuer la sélection naturelle. Certaines startups franchiront enfin le seuil de rentabilité à marche forcée, tandis que d’autres, faute de taille critique, seront absorbées ou disparaîtront.