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Télécoms: le marché des entreprises doit évoluer au plus vite

Par Nicolas Guillaume pour FrenchWeb

Je ne m’exprime jamais sur nos fournisseurs et encore moins quand ils sont en difficultés. J’ai au passage une pensée toute particulière pour les équipes du confrère cité ci-dessous, incluant son management, que je sais passionné par le métier et qui a -comme tous les opérateurs alternatifs disposant d’infrastructures- une certaine idée de ce que devrait être une saine concurrence dans ce marché.

En France, vous -clients finals du marché entreprises- n’avez pas un grand choix en matière d’offres télécoms et vous subissez selon votre localisation géographique des tarifs trop élevés, faute d’une régulation bien adaptée pour permettre aux opérateurs alternatifs d’émerger et d’apporter plus de services à de meilleurs tarifs.

Si vous avez suivi de très loin le dossier Kosc que je vais ici surnommer « l’affaire Kosc » après lecture d’un article de LaLettreA publié début janvier 2020, un rapport du Sénat établi fin 2019 par les sénateurs Chaize et Lamure va vous éclairer non seulement sur l’état catastrophique du marché de télécoms B2B en France mais aussi en grande partie sur les coulisses d’une affaire qui a planté trois ans de régulation pour ce même marché. Cette perte de temps a de facto permis en premier lieu à Orange Business de continuer de prendre de nombreux projets mono ou multi-sites avec l’appui de son réseau FttE ou FttH Pro et donc de renforcer sa position sur le marché alors que l’objectif actuel est plutôt d’ouvrir un peu plus le marché au profit d’une nouvelle concurrence offerte par les opérateurs alternatifs.

En lisant le rapport Lamure-Chaize, plusieurs points très précis méritaient d’être mis en lumière…

« Un manque de coordination »

Tout d’abord, concernant le passage sur la reprise fonctionnelle du réseau de l’opérateur Completel par Kosc, le rapport pointe un grave dysfonctionnement (« un manque de coordination ») des Autorités de régulation. L’Autorité de la Concurrence (ADLC) avoue qu’elle n’a pas vérifié de façon effective ce transfert de réseau et son bon fonctionnement en bypassant l’ARCEP.

Il est indiqué que « l’ADLC aurait pu décider de saisir l’Arcep à deux reprises » selon le président de l’ARCEP. Deux fois, donc deux possibilités d’éviter une grave erreur qui a un impact catastrophique in fine sur le marché des télécoms mais aussi sur les clients finals TPE/PME qui attendent dans les territoires des offres de services performantes grâce à la concurrence offerte par les opérateurs alternatifs.

Pour corriger cette incroyable lacune, les sénateurs envisagent, pour le secteur des télécoms, de présenter une proposition de loi obligeant les autorités à se coordonner dès que cela est utile au traitement du dossier.

Vous avez bien lu: il faut une proposition de loi (!) pour obliger (!) des Autorités Administratives Indépendantes à travailler ensemble alors qu’elles ont déjà la possibilité de le faire selon les dossiers (!). Cela en dit long sur l’efficacité de la collaboration au sein de nos institutions pour ouvrir des marchés atomisés par des acteurs puissants. No comment.

Le retrait d’OVH du marché des télécoms en France ?

C’est un point des débats qui transparaît en lisant dans le détail l’audition de Michel Paulin, CEO d’OVH [OVH était actionnaire historique de Kosc et lui a apporté son infrastructure et ses clients, ndlr] et des représentants de la CDC qui a investi dans une partie de Kosc (Infrastructure).

La CDC révèle un détail intéressant: « Nous avons constaté, au cours de l’été 2019, une baisse d’investissement du groupe OVH dans ce projet. Et quand je parle de «baisse d’investissement», c’est peut-être un peu trop loin dans l’euphémisme. Leur vision, pour Kosc, est celle d’une reprise de l’entreprise par un grand opérateur». Au hasard: serait-ce le grand opérateur dont on nous parle depuis le début de cette affaire mais qui a déjà largement engagé un autre projet en ZTD? 

Le retard considérable lié à l’activation de l’ex-réseau Completel a visiblement eu pour conséquence de laisser très longtemps la part des revenus Kosc très dépendante d’OVH: « Il était hors de question, dans notre plan initial, qu’OVH soit celui qui représente plus de 95% du chiffre d’affaires de Kosc comme c’est le cas aujourd’hui» dixit M. Paulin. Le « aujourd’hui » étant équivalent à fin 2019 (date du rapport), on imagine aisément le retard pris par Kosc sur le marché.

Lors de la lecture du rapport et des auditions, j’ai toutefois noté que le chiffre de 95% a pu évoluer entre 80 et 90% selon les interlocuteurs. Il n’en reste pas moins énorme.

Et plus loin, il semble évident qu’OVH va se retirer du marché des télécoms pour se refocaliser sur son métier historique qu’est le Cloud: « Notre objectif est de fournir aux PME et TPE les solutions les plus innovantes dans le domaine du numérique, et plutôt dans le cloud. Je précise que nous ne sommes plus un opérateur de télécommunications. (…) OVH, par exemple, ne lance pas de campagne marketing pour son volet télécoms. Il s’agit simplement d’une option supplémentaire que nous offrons à nos clients (…)».

Enfin, dans un compte-rendu d’audition paru l’été dernier, on lit cette petite phrase de M. Paulin: « Nous ne souhaitons offrir que des services de cloud. Il nous paraît important de rester focalisés sur ce secteur pour plusieurs raisons.»

En résumé: si on voulait simplement parier sur un retrait d’OVH du marché des télécoms après de tels propos tenus publiquement et oser supputer d’une vente de sa clientèle à un (grand?) opérateur spécialisé, on ne risquerait pas grand-chose.

Un point de détail ignoré

Un autre détail qui m’a interpellé en lisant l’article de laLettreA et le rapport Lamure-Chaize quant à la curieuse stratégie d’OVH de se désengager des télécoms alors que le Cloud a inévitablement besoin de liens télécoms très performants, est que Michel Paulin était DG de SFR au moment du rachat du réseau Completel à SFR par Kosc début 2016 en retrouvant quelques éléments chronologiques. En me fondant sur les éléments assemblés au fil de l’écriture de cet article et sans aucune prise de position, j’en déduis toutefois que le conflit entre Kosc et SFR aurait été ouvert sous sa direction.

Le fait qu’il devienne DG du premier actionnaire de Kosc aurait peut-être dû interpeller les Autorités en charge de ce dossier. Nul besoin ici de supputations, de quelconque accusation ou de commentaires complémentaires à ce sujet, chacun extrapolera ce détail de l’histoire à sa façon. Mais loin est le temps où les confrères d’OVH prônaient une concurrence saine et effective dans les télécoms.

Notons que dans un tweet, le patron de Kosc affirme que la part de commandes d’OVH s’est relativement réduite ces derniers mois. Sans doute à la faveur de l’activation massive (mais très retardée) de l’ex-réseau Completel ce qui tend à montrer sa montée en charge via les commandes d’opérateurs alternatifs, sa clientèle cible, et le lent retrait d’OVH de ce marché.

Les opérateurs alternatifs toujours en attente d’une solution pérenne

Dans les dernières analyses de marché de l’ARCEP, rien n’obligeait Orange à ouvrir son réseau aux acteurs alternatifs de taille modeste par le biais d’une offre dite de «collecte activée de niveau 2». Sans doute pour protéger l’entrée de Kosc sur le marché, ce qui avait nécessité quelques explications du président de l’AOTA sur ce sujet: Kosc et sans doute d’autres acteurs tiers seront toujours moins chers qu’Orange en offre de gros, même avec une capillarité limitée, ce qui permet aux opérateurs alternatifs d’utiliser plusieurs opérateurs de collecte si besoin est, en fonction des coûts et des zones pour répondre à TOUTES les demandes des clients finals, chose impossible actuellement.

Si je ne crois que très moyennement au modèle 100% wholesale « privé » (sans subventions publiques comme c’est le cas pour les réseaux établis par les collectivités) sur le marché français car petit et avec beaucoup trop d’inertie au changement d’opérateur en sus de barrières retardantes érigées par les acteurs puissants contre les nouveaux entrants, il n’en reste pas moins un très bon modèle pour s’assurer d’une concurrence effective. Comme abordé dans un autre sujeton pourrait reparler de l’intérêt de séparer au plus vite Orange en opérateur de service et opérateur d’infrastructures 100% wholesale (c’est-à-dire vente de services uniquement à des opérateurs tiers) … autre erreur majeure de l’histoire des télécoms en France. Le courage politique semble hélas manquer du côté du gouvernement et des Autorités de Régulation pour engager ce projet indispensable.

Le Sénat appelle dans son rapport à la mise en place d’offres activées sur l’ensemble des réseaux. Cette correction est essentielle uniquement si elle permet de créer des offres commerciales de détail aussi avantageuses que celles des opérateurs intégrés, en tenant compte du fait que nous sommes quelques opérateurs régionaux à travailler en complément avec les réseaux FttH passifs à échelle réduite pour apporter notre propre innovation. Mais la barrière technico-économique est lourde à petite échelle, cela n’étonnera personne

C’est pourquoi les sénateurs, l’AOTA et probablement Kosc attendent une décision de l’ARCEP rapide pour que les alternatifs puissent être de bons compétiteurs face au duopole B2B Orange (70%) / SFR (20%).

Cette décision, si l’on voulait esquisser son orientation, devrait imposer aux opérateurs d’infrastructure de mettre à disposition des acteurs alternatifs à leur réseau à deux niveaux:

  1. au niveau de l’accès passif à l’infrastructure dans de bien meilleures conditions tarifaires que
    l’offre qu’Orange a proposé à Kosc, il en va de sa survie
  2. au niveau de l’accès activé à l’infrastructure tant à l’échelle locale (au NRO), régionale (POP
    régional) qu’à l’échelle nationale

Il y a une urgence depuis plusieurs mois tant pour Kosc que pour l’ensemble des acteurs alternatifs qui perdent des parts de marché considérables faute de couverture dans l’accès à l’infrastructure. Les clients finals, eux, perdent aussi en choix et paient des services très chers à quelques rares acteurs puissants pouvant les desservir.

« Il y aura des déçus [en lien avec la décision finale des analyses 2017-2020, ndlr] » nous avait glissé en guise de conclusion l’actuel président de l’ARCEP lors de l’audition de l’AOTA au moment des analyses de marché 2017-2020. Et ce, alors que l’association nouvellement créée réclamait déjà une offre activée de l’opérateur le plus capillaire, Orange, en complément de nouvelles offres inédites telles que celles de Kosc.

Trois ans plus tard, une grande partie de notre écosystème d’opérateurs alternatifs et des représentants du monde économique français croisés au fil des mois dans diverses instances se rangeront probablement derrière le même avis: la déception est effectivement immense.

Il est plus que jamais venu le temps de faire bouger les lignes dans le marché des télécoms d’entreprise en France.

Le contributeur:

Nicolas Guillaume, 34 ans, est dirigeant de Netalis, un opérateur alternatif dont le siège est basé à Besançon en Bourgogne-Franche-Comté mais qui offre des services télécoms dans toute la France et qui déploie sa propre infrastructure fibre optique dans plusieurs villes. Il est également secrétaire général de l’AOTA, Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs, structure nationale créée en 2017 qui fédère près de 50 opérateurs régionaux partout en France. Il s’exprime à titre personnel sur l’état du marché des télécoms B2B dans le pays. 

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