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We don’t need another method: l’effectuation ou l’approche additive

Par Philippe Silberzahn, professeur d’entrepreneuriat, stratégie et innovation à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique (CRG)

L’une des choses sur lesquelles j’insiste lorsque je présente l’effectuation, la logique des entrepreneurs, est qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle méthode au sens où on l’entend d’habitude, c’est dire d’une démarche systématique permettant au moyen d’étapes clairement définie d’arriver à un but donné. Plus important, les principes mêmes de l’effectuation font qu’elle se glisse aisément dans l’existant et ne vous demandent pas de renoncer aux méthodes que vous utilisez. Elle peut donc être adoptée sans risque.

L’adoption d’une nouvelle méthode est souvent un pari à haut risque. En témoigne l’aventure de General Electric, la multinationale américaine qui a misé sa transformation sur la méthode Lean startup. L’idée était de transformer chaque cadre en entrepreneur. Six mille d’entre eux ont été formés au moyen de cette méthode, sans résultat tangible. Au-delà du fait qu’il est illusoire de miser sa transformation, qui est une question stratégique et organisationnelle, sur une méthode de conduite de projet innovant, la mésaventure de GE montre que la réticence à adopter une nouvelle méthode est souvent légitime.

C’est cette réticence que je rencontre souvent en présentant l’effectuation. On me demande souvent «Comment mettre en œuvre l’effectuation sans risque?» La réponse est dans la nature même des principes de l’effectuation.

Avant tout chose, l’effectuation n’est pas une nouvelle méthode. Elle est née de l’observation de ce que font vraiment les entrepreneurs, spontanément, et non d’un travail de recherche qui viserait à leur dire ce qu’ils devraient faire. Ensuite, elle n’est pas une méthode comme on le définit habituellement. Elle correspond simplement à cinq principes empiriques, ce qui signifie qu’on a constaté qu’ils fonctionnent bien en observant des centaines d’entrepreneurs les mettre en pratique avec succès. La recherche a simplement consisté à montrer en quoi l’application de ces principes par les entrepreneurs est rationnelle. Elle n’est donc pas une méthode avec des étapes bien définies, comme peut l’être Lean startup par exemple. Elle peut à la rigueur être considérée comme une méthode comme l’est la méthode scientifique qui émerge à partir du XVIIe siècle avec la science moderne et prône l’observation et l’expérience pour tester des hypothèses. Elle définit des grands principes d’action qui peuvent être mis en œuvre de plein de façons différentes.

L’effectuation: une logique d’addition (Image: Wikipedia)

Logique d’addition

Mais le plus important est que l’effectuation procède de ce que j’appelle une logique d’addition. Elle ne nécessite pas d’abandonner d’autres méthodes. Elle n’est pas incompatible avec d’autres approches. Par exemple, l’effectuation propose qu’il n’est pas nécessaire de démarrer avec un objectif très clair pour entreprendre ou innover. Elle prône une approche largement émergente de l’entrepreneuriat. Mais elle peut parfaitement se développer au sein d’une organisation qui dispose d’un plan stratégique. On peut utiliser les principes de l’effectuation en complément d’une démarche de design thinking ou de Lean startup.

Ainsi, l’approche effectuale se combine aisément avec l’existant, quel qu’il soit, en vertu du principe n°1 (démarrer avec ce qu’on a). Démarrer avec ce que vous avez, c’est à dire la réalité de l’organisation. Le principe n°2 énonce qu’il faut raisonner en perte acceptable, et non en gain attendu. C’est à dire que l’on pourra essayer une démarche effectuale sur un projet qui ne représente pas de risque majeur pour l’organisation. Si ça marche, les participants s’habitueront à la démarche effectuale et elle pourra être essayée sur un autre projet, toujours sans risque. Le reste de l’organisation pourra fonctionner selon ses principes habituels. Le principe n°3 énonce que le projet progresse grâce à l’engagement de parties prenantes qui apportent leurs ressources. Ce principe tire parti du fait que l’organisation est un construit social. Joint au principe n°1, il implique une forme de respect de l’organisation existante et de ses membres: le changement ne peut se faire qu’avec eux (ou avec certains d’entre eux au début, l’idée est que le réseau de parties prenantes engagées dans le projet s’étende progressivement).

En quelque sorte, le niveau d’abstraction des principes fait qu’ils sont « logiquement antérieurs » aux diverses méthodes à votre disposition: ils permettent de créer le contexte (principe n°5) dans lequel ces méthodes sont mises en œuvre ou de créer un contexte sans risque (principe n°2) pour y pratiquer l’effectuation.

De manière importante, l’effectuation est modeste : elle ne dit pas ce que vous devez faire, mais ce que vous pouvez faire. Dans certaines circonstances, vous pouvez utiliser les principes; dans d’autres circonstances, vous les ignorerez. Ainsi face à une situation complexe et incertaine, vous pouvez essayer de développer une vision (approche classique de la stratégie), mais vous pouvezaussi partir de vos moyens (principe n°1) et co-créer vos objectifs avec d’autres (principe n°3).

Avec l’effectuation, vous n’avez donc ni à adopter une nouvelle méthode, ni à renoncer à vos méthodes existantes, juste pratiquer des principes alternatifs en contrôlant le niveau de risque pris dans cette pratique. Loin d’exiger un remplacement, elle permet d’élargir son spectre d’approches et de méthodes.

Le contributeur:

Philippe Silberzahn

Philippe Silberzahn est professeur d’entrepreneuriat, stratégie et innovation à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique (CRG), où il a reçu son doctorat. Ses travaux portent sur la façon dont les organisations gèrent les situations d’incertitude radicale et de complexité, sous l’angle entrepreneurial avec l’étude de la création de nouveaux marchés et de nouveaux produits, et sous l’angle managérial avec l’étude de la gestion des ruptures, des surprises stratégiques (cygnes noirs) et des problèmes complexes (« wicked problems ») par les grandes organisations. Pour suivre ses écrits, rendez-vous sur son blog.

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