
Cybersécurité prédictive, quand l’IA aide à anticiper les attaques avant qu’elles ne surviennent
La cybersécurité ne peut plus se limiter à la détection. Face à la multiplication des failles techniques, l’approche traditionnelle, qui consiste à réagir après coup, montre ses limites. En 2024, plus de 210 000 vulnérabilités ont été publiées dans les bases de référence internationales. Ce volume rend toute priorisation manuelle impossible. Une nouvelle méthode émerge, à savoir utiliser l’intelligence artificielle pour simuler les scénarios d’attaque, avant même qu’ils ne soient tentés.
De la détection à la simulation
Traditionnellement, les outils de cybersécurité détectent les failles connues dans les systèmes via des scans ou des règles. La nouveauté, c’est que des modèles d’intelligence artificielle peuvent désormais interpréter les descriptions techniques des vulnérabilités, en déduire leur potentiel d’exploitation, puis simuler les séquences d’attaque les plus critiques. Cette approche repose sur deux briques technologiques, les modèles de langage (LLMs) et l’apprentissage par renforcement.
Les modèles de langage analysent les descriptions libres des vulnérabilités pour en extraire un sens exploitable. Ils traduisent ces textes en vecteurs numériques, appelés embeddings, qui peuvent ensuite être utilisés dans des simulations. Un agent IA, entraîné dans un environnement virtuel, explore les chemins d’attaque possibles dans un réseau enchaînant les vulnérabilités les unes après les autres.
Une IA formée sur un jumeau numérique du système
L’expérimentation repose sur la création d’un jumeau numérique du système informatique, construit à partir de scans réseau (type Nmap ou OpenVAS). Chaque machine, chaque service, chaque faille connue devient un élément du graphe analysé. L’agent IA évolue dans cette copie virtuelle et apprend à identifier les chemins d’exploitation les plus efficaces.
Cette approche permet d’anticiper les mouvements latéraux d’un attaquant, de simuler des compromissions potentielles et de produire une cartographie des zones à risque, classées par criticité.
Intérêt stratégique pour les dirigeants
Anticiper les attaques avec l’IA présente trois intérêts majeurs pour les comités de direction.
1. Amélioration de la posture de sécurité
En simulant des scénarios d’attaque réalistes, l’entreprise peut identifier les combinaisons de failles les plus dangereuses. Cela permet de prioriser les actions correctives en fonction du risque réel, et non uniquement sur la base de scores génériques.
2. Réduction du risque juridique et réglementaire
La mise en œuvre d’une démarche d’anticipation à l’aide de l’IA constitue une preuve de diligence raisonnable. Elle peut être mobilisée en cas d’enquête ou d’incident, notamment dans le cadre du RGPD, de la directive NIS2 ou du règlement DORA pour les entreprises financières.
3. Optimisation des coûts de cybersécurité
En identifiant les failles les plus critiques, l’IA permet de concentrer les efforts humains et financiers sur les correctifs à fort impact. C’est une réponse pragmatique à la pénurie de talents et à la complexité croissante des systèmes.
Un cas pratique : 69 % de couverture sur réseaux inconnus
Dans un projet mené à l’Université de Lorraine, un agent d’apprentissage par renforcement, nourri par des modèles de langage spécialisés en cybersécurité (type SecureBERT), a été entraîné à explorer des réseaux simulés. Résultat : dans des topologies inconnues, il a pu simuler des enchaînements de failles permettant de prendre le contrôle de 69 % des nœuds du réseau.
Ces résultats ont été obtenus à partir de seulement 1 000 descriptions de vulnérabilités, sans réentraîner le modèle de langage, prouvant ainsi la capacité de généralisation du système.
Ce que ce n’est pas
Il ne s’agit ni d’un scanner de vulnérabilités classique, ni d’un outil de réponse automatique aux incidents. Ce système ne remplace pas les équipes de cybersécurité, mais agit comme un outil de simulation stratégique, capable de fournir des scénarios concrets d’attaque interne, exploitant les failles connues du système.
Prochaines étapes pour les directions
-
- Auditer la présence de vulnérabilités connues (CVE) dans le SI de l’entreprise
- Construire un jumeau numérique d’un périmètre critique (ERP, CRM, cloud)
- Intégrer les résultats de simulation IA dans les comités de risques ou d’audit
- Inclure ces outils dans la documentation juridique de cybersécurité proactive
- Travailler en coordination avec le RSSI, le DPO et les directions opérationnelles
L’IA ouvre une nouvelle phase dans la gestion du risque cyber.
Elle permet aux entreprises non plus seulement de détecter les failles, mais de comprendre comment elles pourraient être exploitées, et de prioriser en conséquence. Dans un contexte de pression réglementaire et de sophistication croissante des attaques, la simulation devient un levier stratégique pour les directions générales, financières et juridiques.