BusinessLes contributeursLes ExpertsTech

Être une entreprise libérée, tu sais c’est pas si facile…

Par Jérôme Dumont, CEO chez One More Thing Studio

“Ouais, on est en entreprise libérée dans ma boite.” Nicolas M. CEO d’une start-up de 2 personnes

L’entreprise libérée est aux entreprises ce que le vegan est à la nourriture: une vraie philosophie pour certains et un phénomène de mode pour d’autres.

Si tu as lu Reinventing Organization de Laloux, c’est déjà une bonne première étape pour comprendre ce qu’est le modèle Opale. En tout cas sur la théorie. Niveau pratique c’est une autre histoire. Quand tu te lances, les vraies questions se posent.

1- WHY : pourquoi on fait ça ?

Lorsque j’ai co-fondé One More Thing Studio en 2012 on était 3 et on était tout fiers d’avoir nos titres de CEO, CTO et DA.

On était des patrons… de personne, mais des patrons quand même.

C’était cool d‘avoir ça dans la signature de nos mails et sur nos cartes de visites.

 

Puis les années passent, et on se retrouve vite à être une dizaine: les UX font du design, les dev codent, le PO fait des trucs de PO, … bref, chacun sa fonction.

Et le CEO (aka moi), bosse sur la strat, la vision et toutes les petites choses du quotidien:

  • On est où dans 3 ans ?
  • Tiens, faudrait pas qu’on recrute ?
  • Oulah, il serait temps de déménager
  • Et si on (re)décorait le bureau ? Au fait il faut acheter du café…
  • Ah merde le site est pas super à jour, faut qu’on rajoute des références
  • Au fait sur le SEO du site ça donne quoi ?
  • Eh, on n’avait pas dit qu’on devait devenir éditeur en plus de faire des apps pour des startups ? Quand est-ce qu’on met ça en place ? On part en séminaire ?

Bref, 1 million de trucs auxquels penser et sur lesquels il faut décider parce que bon, c’est au CEO de faire ça non?

Bah si! Enfin c’est comme ça qu’on fait dans les autres boites. Mais en même temps, on n’a pas envie d’être comme les autres boites…

Et puis le CEO, c’est pas forcément le plus fort sur chacun de ces sujets et il n’a pas non plus toutes les (bonnes) idées.

Si ça se trouve, il y a d’autres gens dans la boite plus compétents et/ou qui ont d’autres idées auxquelles il n’a pas pensé.

À ce moment là, je ne connaissais ni Laloux, ni le concept d’entreprise libérée (je pensais qu’Holacratie était un nom de jeu vidéo), du coup ça me semblait logique de prendre les décisions et d’attribuer des tâches à chacun. Mais ça, c’était avant…

2- HOW : comment on a commencé ?

A la suite de toutes ces interrogations, j’ai commencé à discuter des solutions de management existantes avec d’autres entrepreneurs sur FSN (un groupe Facebook de startuppers) et un certain Cédric me propose d’en parler autour d’un café. Allez, why not?

Cédric, c’est un mec super qui a co-fondé FlyTheNest et qui aide les entreprises à devenir plus engageantes pour les employés, donc plus agiles, plus performantes, et plus épanouissantes.

Un mois plus tard (on est en janvier 2016 au cas ou tu voudrais suivre la chronologie), on embarque toute l’équipe en séminaire avec Cédric et son associé Erwan. On passe 3 jours à bosser sur notre Raison d’être, la Vision, le Projet et la Culture d’entreprise (ainsi qu’à parler de musique, de voyages et à boire du Lagavulin pendant les pauses).

Nick Offerman sait également faire des pauses Lagavulin

Raison d’être

On a d’abord commencé à se poser la question fondamentale: quelle est notre raison d’être? C’est-à-dire, pourquoi OMTS existe? Pourquoi on se lève le matin pour aller bosser? En gros, à quoi on sert?

Bon, dit comme ça, ça fait un peu métaphysique, mais l’idée est de donner du sens à ce qu’on fait. Quelques post-it (et débats) plus tard, on est tous d’accord sur notre raison d’être: on veut partager nos connaissances (UX, dev, lean, agile, mobile, startups, growth hacking…) pour aider les entrepreneurs à réussir leur projets. Autrement dit:

“Aider chacun dans leur projet en accord avec nos valeurs.”

OK, c’est bien beau tout ça, mais ça ne résout pas mon problème de partage des décisions dans la boite…

Bon du coup, il doit y avoir un moyen de hacker la question : comment impliquer les gens dans le Projet de la boite ?

Le triangle d’or: Vision, Projet de boite et Culture d’entreprise

1re étape: définir la vision de la boite à court, moyen et long terme

C’est un long process, dont l’output évident est qu’on a défini la vision (YEY!), mais l’autre conséquence moins évidente, c’est que chaque membre de l’équipe est désormais plus impliqué dans la boite.

C’est eux qui ont défini la vision, et non pas moi ni mes associés qui avons imposé la nôtre.

T’imagines le changement qu’il se passe dans la tête d’un employé quand il se rend compte qu’il a contribué à la définition de la vision de sa boite?

Moi je m’en rends compte car je l’ai vu dans leurs yeux, et j’ai pris une sacrée baffe. On s’est projeté ensemble à 5 ans et on a eu tous très envie d’y aller ensemble.

Bon, c’est cool, on sait que dans 5 ans on sera éditeur, qu’on vivra de nos propres créations (apps ou autre) et que si on aide d’autres boites, c’est simplement pour le plaisir. Mais du coup, comment on fait?

Bah oui, ce n’est plus à moi tout seul de porter la vision puisque elle a été définie par toute l’équipe. Eheh

2e étape: définir le Projet de boite

Une boite, c’est plein de sujets divers (et d’été #DadsJoke), on va donc lister ces grand sujets sous forme d’axes. Chez nous, ça donne ça:

Les axes chez OMTS

Et sur chacun de ces axes, on va écrire l’objectif à court terme(d’ici 1 an pour nous) en accord avec la vision de la boite.

Par exemple pour l’axe Relation Client: on veut que nos clients nous notent au minimum 9/10, sur l’axe Editeur: on veut avoir sorti 1 app du studio d’ici la fin d’année, sur l’axe Comm Externe on veut être reconnu pour notre savoir faire Tech et UX, etc.

Une fois qu’on a tous nos objectifs, on découpe ça sous forme de résultats (qui sont les étapes intermédiaires pour arriver à ces objectifs). Donc pour que nos clients nous notent 9/10, bah faut d’abord qu’ils puissent nous noter, donc qu’on ait créé un formulaire de satisfaction, puis qu’on ait un process pour leur envoyer à chaque fin de projet, si on veut être (re)connu, ça serait pas mal de faire des conf et de rédiger des articles sur Medium, etc.

Et tous ces résultats, on les note sur des post-it!

On remplit notre mur de résultats à réaliser sur l’année pour atteindre nos objectifs par axe en accord avec notre Vision. Simple quoi :)

 

Maintenant qu’on a plein de résultats, on les répartit sur l’année: si on veut avoir une app éditeur en décembre, faut qu’en février on ait décidé de l’app qu’on veut faire et qu’en mars on ait démarré le Story Mapping.

Avant de tout remballer et d’attaquer les bières, chacun décide des résultats qu’il souhaite porter.

Porter un résultat, ça ne veut pas dire qu’on va le faire, ça veut juste dire qu’on est le «chef de projet du résultat», donc qu’on s’engage sur le fait qu’il soit réalisé (par nous ou par quelqu’un d’autre). La règle est simple:

Chacun choisit des résultats qui le motive et on n’impose rien à personne.

Voilà, on a un beau Projet de boite bien complet (janvier 2016)

 

Au final toutes les questions que j’avais listées en haut de l’article («On est où dans 3 ans? Tiens, faudrait qu’on recrute? …»), elles ont été transformées en résultats et des gens de l’équipe se les sont appropriés et se sont engagés à les porter. Il y en avait d’ailleurs beaucoup plus que ce que j’avais pu imaginer.

T’imagines le kiff pour moi? Le poids qu’on vient de m’enlever en le partageant avec une équipe aussi motivée qu’impliquée qui est alignée sur une vision commune.

Enfin, le dernier jour du séminaire, on a bossé sur la Culture d’entreprise, en définissant nos valeurs. C’était un super exercice, le but étant d’utiliser ces valeurs comme un outil d’aide à la prise de décision et un guide quotidien. J’élaborerai le sujet dans un autre article, sinon ça va faire long et je risque de te perdre. Et on n’a pas envie de te perdre, oh que non, pas si proche de la fin.

3- WHAT : ce qu’on a mis en place après tout ça

Il y a clairement un avant et un après chez OMTS depuis ce séminaire. On continue d’ajouter des résultats dans notre Trello et toutes les 2 semaines on fait un point sur l’avancement de chacun.

De mon point de vue, la boite a pris une nouvelle direction mais surtout une nouvelle dynamique.

On avance vite sur pleins de sujets, il y a des nouvelles idées auxquelles je n’avais même pas pensé.

Axel a par exemple proposé qu’on soit présent sur Instagram, ce qui est complètement en accord avec notre objectif de notoriété sur l’axe Comm Externe ; il a créé et porté le résultat et aujourd’hui, bah on est sur Instagramet on a des followers.

C’est peut-être un détail pour vous (mais pour moi ça veut dire beaucoup), mais même sur des petites choses comme ça, c’est super agréable de ne plus être – avec mon associé – les seuls décideurs, ni de devoir attribuer des tâches à des gens ni de les suivre pour s’assurer que le travail soit fait. Bref, je respire.

4- Et après ?

Depuis la mise en place de ce nouveau système, j’ai découvert le concept d’entreprise libérée, j’ai lu Laloux (tiens, ça fait “lulalou”, c’est rigolo), vu pas mal de conférences et discuté avec un tas de gens intéressants.

Bref je me suis rendu compte que j’avais délégué une partie de mon pouvoir, mais qu’il était possible d’aller encore plus loin: de démissionner complètement de mon rôle de boss et de libérer OMTS.

Mais bon, pour ça il y a du taff et il faut qu’on s’aligne entre associés avant de lâcher les rênes si on veut que ça se passe bien.

La décision de libérer son entreprise ne peut partir que d’en haut. — Tweeter

Lâcher les rênes, ça veut dire qu’il n’y a plus de patron, qu’on passera du modèle de hiérarchie pyramidale à un modèle à plat, plus organique.

Mais s‘il n’y a plus de boss…

  • qui prend les décisions ?
  • qui définit la stratégie de la boite ?
  • qui décide de recruter ou de licencier ?
  • qui évalue les gens aux entretiens annuels ?
  • qui choisit les salaires ?
  • comment on gère un conflit ? Qui tranche ?
  • qui a accès aux comptes de la boite ?

Bref, plein de questions qui se posent et auxquelles il va falloir répondre si on veut continuer dans cette direction.

Pour l’instant on est au top sur quelques sujets (projets, planning, congés, …) d’autres sont en chantiers (entretiens d’éval, suivi des objectifs individuels, recrutement), et certains n’ont pas encore été abordés (salaires, investissements…).

Et pour s’en sortir, il va falloir procéder à une conduite de changement progressive et avancer par étapes.

Je ne pense pas qu’il y ait de formule magique pour y arriver, du coup je vais simplement te décrire comment on a fait jusqu’à maintenant, là où ça s’est bien passé, là où on galère, comment on a pu répondre aux questions mentionnées ci-dessus et faire le point sur où on en est aujourd’hui.

La suite dans le prochain épisode… (enfin, si ça t’intéresse).

Le contributeur :

Jérôme Dumont est CEO chez One More Thing Studio, une agence spécialisée dans l’UX design et le développement d’applications mobiles pour les startups. Il est également co-auteur du livre La 25e Heure, les conseils de productivité de 200 startuppers qui cartonnent.
Connaissez vous la DATAROOM de FRENCHWEB.FR notre base de données de startups et sociétés innovantes françaises: informations clés, fonds levées, chiffres d'affaires, organigramme, axes de développement. Accédez aux informations que nous avons collecté concernant plus de 1000 sociétés
Bouton retour en haut de la page
Share This