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ICO ou levée de fonds ? Le point de vue de l’entrepreneur et de l’investisseur

Par Julien Sanciet, avocat à la Cour, Bredin Prat, et Adrien Soumagne, avocat à la Cour, Bredin Prat et coresponsable du pôle juridique, réglementaire et fiscal de la Chaintech

Les initial coin offerings (« ICOs ») ont fait l’objet d’un essor spectaculaire au cours des derniers mois puisque 6,3 milliards de dollars ont été levés dans le monde par ce biais lors du seul premier trimestre 2018 d’après les données de Coindesk. La France n’est pas en reste et espère se placer à la pointe de ce phénomène, le gouvernement français entendant proposer, dans le cadre de la loi PACTE qui sera présenté en Conseil des ministres en Juin, un régime de visa optionnel de l’Autorité des marchés financiers afin d’attirer sur le territoire français les ICOs les plus sérieuses tout en offrant un cadre protecteur aux investisseurs.

Si le financement par le biais d’ICO est appelé à se développer de manière pérenne en lien avec l’essor de la technologie blockchain, les entrepreneurs doivent cependant se poser les bonnes questions avant de choisir de procéder à une ICO plutôt qu’à une levée de fonds. Pour les investisseurs traditionnels en capital risque, la levée de fonds reste à ce jour le moyen privilégié d’investissement. Toutefois, l’investissement dans des tokens peut également présenter de nombreux avantages pour un investisseur par rapport à des actions.

L’ICO, des avantages significatifs pour les entrepreneurs…

Les tokens offrent une grande liberté dans leur structuration, notamment dans la définition des droits qui y sont attachés. Généralement, les tokens vendus dans le cadre d’une ICO ne bénéficient pas de droits politiques ou financiers comme c’est le cas pour des actions classiques et, compte tenu de la réglementation existante applicable (réglementation prospectus en Europe, Howey test aux Etats-Unis), ce type de tokens (dits equity tokens) ne devrait pas prospérer sans adaptation du droit actuel. Les jetons ne sont pas dilutifs en capital, ce qui constitue donc un atout considérable pour les fondateurs d’une société, la réalisation de plusieurs levées de fonds entraînant fréquemment à terme une perte totale de contrôle sur la société par les fondateurs.

Les tokens offrent généralement à leurs titulaires des droits d’une nature différente (accès un service donné, commission réduite si le token est utilisé comme moyen de paiement, etc.). Ainsi, grâce aux ICOs, les entrepreneurs peuvent pré-vendre un projet en cours de développement, permettant ainsi à la société de valider son business model et de se constituer une clientèle et une communauté avant même le lancement de son produit.

Les ICOs permettent aussi de toucher un public extrêmement large, tandis qu’une levée de fonds n’est généralement destinée qu’à des investisseurs professionnels. Par ailleurs, compte tenu des risques attachés à une levée de fonds traditionnelle, le financement d’une start up se fait généralement en plusieurs tours de financement (dits série A, série B, etc.). La réalisation de ces levées de fonds est généralement extrêmement consommatrice en temps et en énergie pour les fondateurs, qui doivent, lors de chaque tour, rencontrer de nombreux investisseurs, établir un business plan crédible permettant de faire ressortir une valeur de la société la plus importante possible pour éviter une dilution de leur participation trop importante, négocier les termes de l’entrée des investisseurs ainsi que ceux de leur sortie future… A l’inverse, si le projet envisagé est intéressant, les ICOs peuvent permettre de lever sur une période de temps très courte des montants plus importants que ceux qui auraient pu être obtenus traditionnellement. En témoignent ainsi les ICOs réalisées par Bancor, Cosmos ou Brave, cette dernière ayant notamment permis de lever 34 millions de dollars en moins de 30 secondes…

Toutefois, contrairement aux idées reçues, les ICOs entraînent des coûts significatifs, compte tenu du nombre important d’intervenants (code, marketing, avocats…), qui sont appelés à augmenter compte tenu du développement de la réglementation applicable. L’émission de tokens peut par ailleurs entraîner des coûts fiscaux très importants par rapport aux levées de fonds traditionnelles, qui sont généralement neutres fiscalement. En particulier, en fonction de la nature du token émis, les sommes levées peuvent être soumises à TVA ou à l’impôt sur les sociétés.

Enfin, compte tenu du caractère public des ICOs, les entrepreneurs sont incités à rendre publiquement compte de l’évolution des projets financés par l’ICO. Si les réussites de projets seront ainsi particulièrement mises en lumière, il risque d’en être de même des échecs…

L’ICO, une opportunité également pour les investisseurs traditionnels

Comme évoqué plus haut, l’une des principales inquiétudes des investisseurs en capital risque porte sur les conditions d’une possible sortie future, ce qui les amène généralement à passer un temps considérable à négocier des fenêtres et les conditions d’une potentielle sortie. Compte tenu du caractère privé des actions des start ups et des pactes d’actionnaires généralement en place entre les actionnaires, il est en effet très difficile pour un investisseur de céder une participation sans un évènement de liquidité particulier (IPO, cession de la totalité du capital d’une société, etc.). De nombreux fonds se retrouvent ainsi avec des participations dans des sociétés ayant échoué, faute de trouver un repreneur. A l’inverse, les tokens peuvent être cédés de manière aussi aisée que des actions de n’importe quelle société cotée, permettant ainsi aux investisseurs de liquider leurs investissements à tout moment.

De plus, les tokens peuvent, d’une certaine façon, être assimilés à des actions traçantes (actions bénéficiant de droits financiers « traçant » la performance d’une filiale ou d’un projet particulier de la société), dans la mesure où elles permettent aux investisseurs d’investir de l’argent dans un projet donné, et évitent ainsi de s’exposer aux risques liés au reste de l’activité de la société. Une même entité pourrait ainsi valablement réaliser plusieurs ICOs, portant sur des projets et des montants différents, et toucher différents investisseurs.

Toutefois, les tokens n’offrent pas les mêmes droits à l’information que ceux auxquels sont habitués les investisseurs en capital risque. Ces derniers négocient en effet généralement des pactes d’actionnaires afin d’obtenir des droits de gouvernance et la fourniture d’une information financière régulière leur permettant de suivre la performance de leur investissement. Bien que la future réglementation requerra vraisemblablement des émetteurs de tokens de la transparence sur l’avancée de leurs projets, ceci ne sera sans doute pas suffisant pour des investisseurs en capital risque traditionnels, peu habitués à jouer un rôle passif. En effet, la gouvernance de la société est généralement organisée de telle sorte que les investisseurs doivent approuver certaines décisions structurantes pour l’avenir d’une start up.

Par conséquent, une nouvelle pratique, consistant à financer des start ups au travers d’un mix entre des tokens et du capital, pourrait se développer. ICOs et levées de fonds ne sont en effet pas exclusives l’une de l’autre, et un mix entre les deux pourrait offrir aux investisseurs en capital risque une opportunité de liquidité sur une partie de leur investissement grâce aux tokens, associée à des droits d’actionnaire minoritaire au travers des actions. De l’autre côté, les entrepreneurs pourraient conserver le contrôle de leur société tout en bénéficiant de la valeur ajoutée des investisseurs en capital risque. Cette pratique commence notamment à se développer aux Etats-Unis au travers du RATE (real agreement for tokens and equity), par lequel une société offre directement aux investisseurs un mix d’actions et de tokens, ces derniers ayant une part prépondérante dans le mix, afin d’inciter les investisseurs en actions à assurer le succès de l’ICO.

Les contributeurs :

 

Julien Sanciet est avocat au barreau de Paris et exerce au sein de l’équipe Corporate du cabinet Bredin Prat. Il est spécialisé dans les opérations de levées de fonds, de fusions-acquisitions et de marchés de capitaux. Il conseille de nombreux entrepreneurs et grands groupes dans le cadre de leurs opérations.

 

Adrien Soumagne est avocat au barreau de Paris où il exerce au sein de l’équipe de Droit fiscal du cabinet Bredin Prat. Il est également coresponsable du pôle juridique, réglementaire et fiscal de l’association La Chaintech. A ce titre, il dispose d’une expertise particulière sur l’ensemble des sujets fiscaux en lien avec la technologie blockchain (ICO, tokenisation d’actifs).

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Un commentaire

  1. Pas vraiment d’accord avec les auteurs, en raison de l’obscurité des investisseurs en ICO je recommande vivement une IPO qui a le meme cout et est complétement légale; en Sus le fait de devenir une société cotée en bourse a un avantage important en terme d’image de marque mais aussi de valorisation de la société ce qui n’est pas le cas d’une ICO.

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