La boulimie des géants chinois pour les studios européens de Jeu vidéo
Par Yassine KHIRI, avec Sébastien RICCI à Pékin
Dans un marché du jeu vidéo en pleine consolidation, les géants chinois placent leurs pions: à coups de prises de participation dans des studios emblématiques, NetEase et Tencent se renforcent en Europe, alors que leur marché domestique reste soumis à de fortes restrictions.
Coup sur coup, deux opérations ont ainsi eu lieu en France, révélatrices de cet appétit: après l’annonce fin août par NetEase du rachat du studio indépendant Quantic Dream, développeur du futur jeu d’aventure « Star Wars Eclipse », son compatriote Tencent a officialisé début septembre son renforcement au capital du géant Ubisoft.
Numéro un mondial du secteur, Tencent règne en Asie — le marché le plus important de cette industrie — et a tissé sa toile en Europe progressivement.
Il avait par exemple acquis le studio finlandais Supercell (« Clash of Clans », « Clash Royale », « Brawl Stars ») en 2016 pour 8,6 milliards de dollars.
D’un montant record à l’époque, cette opération a été largement battue depuis: début 2022, Microsoft a par exemple mis 68,7 milliards de dollars sur la table pour s’emparer d’Activision Blizzard (« Call of Duty » notamment), illustrant les grandes manoeuvres en cours.
« Tencent investit énormément, ils ont des centaines de participations dans des studios, souligne auprès de l’AFP Cédric Lagarrigue, expert du marché et conseiller pour la banque d’affaires Alantra. Ils font ça depuis longtemps et accélèrent ces dernières années ».
Les dernières prises de guerre ? Le studio danois Sybo Games acquis en juin dernier, producteur du jeu mobile à succès « Subway Surfers », ou encore le rachat du britannique Sumo en 2021 pour près d’un milliard de livres.
– Fortes restrictions en Chine –
Pourquoi une telle boulimie hors des frontières chinoises ?
Les jeux vidéo sont dans le collimateur des autorités locales pour leur côté addictif chez les jeunes, à l’image de l’interdiction aux moins de 18 ans de jouer plus de trois heures par semaine.
En juillet 2021, Pékin avait aussi gelé durant neuf mois toute licence permettant de nouvelles sorties, ce qui a pesé lourdement sur la rentabilité du secteur, dans un contexte de reprise en main visant la « tech ».
Si la Chine a fini par accorder un de ces précieux sésames à NetEase, elle a boudé son concurrent Tencent, qui a enregistré début août le premier recul de son chiffre d’affaires trimestriel depuis 2004.
« Il est de plus en plus difficile de faire approuver un nouveau jeu et les restrictions de temps pour les jeunes joueurs rendent la croissance plus difficile. Par conséquent, les grands acteurs comme Tencent et NetEase comptent davantage sur les territoires internationaux pour leurs revenus », explique à l’AFP Louise Shorthouse, analyste senior pour le cabinet d’études britannique Ampere Analysis.
Ces investissements sont plutôt bien perçus par les studios européens car les géants chinois, Tencent en tête, ont la réputation de ne pas s’immiscer dans la création et de laisser une totale autonomie à leurs partenaires, témoigne un dirigeant du secteur.
« Que nous soyons un investisseur minoritaire ou un actionnaire majoritaire, nous n’exerçons aucun contrôle créatif, éditorial, de gestion ou quotidien sur l’entreprise, ses employés ou le développement d’un jeu, car nous croyons en un modèle de partenariat qui permet aux entreprises de fonctionner de manière indépendante et de conserver leur culture », explique Tencent dans un communiqué transmis à l’AFP.
Exemple des possibilités offertes par un tel partenariat: Ubisoft a annoncé, après la montée de Tencent à son capital, le développement d' »Assassin’s Creed Codename Jade », première version mobile de sa série à succès, qui aura pour décor… la Chine impériale.
« Ubisoft connaît un grand succès en Europe et aux États-Unis, régions dans lesquelles Tencent espère renforcer sa présence, et Tencent lui-même est très expérimenté dans le secteur des jeux mobiles, une plateforme sur laquelle Ubisoft cherche à se développer davantage », souligne ainsi l’analyste Louise Shorthouse.
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