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Disruption : personne n’est indispensable

Par Stéphane Mallard, CEO fondateur de Disrupt Agency

Le mythe de la transformation digitale

Depuis quelques années, les entreprises et les dirigeants entendent en boucle le slogan de la “transformation digitale” : Il faut absolument adopter les codes de l’économie numérique, utiliser les technologies les plus avancées, travailler en mode agile comme les startups californiennes, adopter des postures managériales cool qui mettent en avant “l’humain”… Ce slogan est faux, trompeur et dangereux pour les entreprises et les dirigeants. Faux parce qu’il masque la réalité de la période que nous vivons. Nous ne sommes pas dans une période de transformation digitale ni même de révolution digitale, nous entrons dans une période de disruption massive accélérée par le digital. Trompeur parce qu’il laisse à croire qu’il est possible d’envisager cette “transformation”. Et dangereux, parce qu’il conduit les entreprises à prendre des décisions qui précipitent leur déclin (les mêmes que Kodak en son temps !)

La différence entre cette transformation supposée et la disruption que nous vivons en réalité est de taille. Une transformation suppose qu’il est possible de partir de l’ancien (modèle, organisation, produit, business model…) pour le remodeler et l’adapter au nouveau monde : c’est le pari des entreprises aujourd’hui. La disruption est beaucoup plus violente et radicale : elle suppose qu’il n’est pas possible de transformer, mais qu’il faut au contraire rendre obsolète, faire disparaître l’ancien pour laisser émerger le nouveau en utilisant la technologie.

Le biais de “l’augmentation” (quand la disruption c’est toujours les autres)

Face à cette situation, les professionnels adoptent spontanément un biais cognitif : celui de l’augmentation grâce à la technologie. Ils veulent absolument augmenter l’existant sans jamais se poser la question de sa pertinence à l’heure de la disruption. Ils parlent de manager augmenté, de RH augmenté, de marketing augmenté, du directeur financier augmenté…Alors que l’objectif de la disruption, de surcroît exacerbée et accélérée par l’arrivée de technologies puissantes comme l’intelligence artificielle est de se débarrasser du manager, du RH, des directeurs marketing et financier. S’il existait encore des porteurs d’eau ou des boutiques d’impressions de photos (feu Kodak), il y a fort à parier qu’en interviewant leurs dirigeants, ils nous parleraient aujourd’hui de porteurs d’eau augmentés ou d’impression de photos augmentée avec l’IA. Les deux ont disparus. La disruption se moque de l’existant.

Personne n’est indispensable

La première attitude à adopter face à la disruption, à titre personnel ou en tant qu’entreprise est de se dire que personne n’est indispensable : ce n’est pas parce que vous avez un poste prestigieux, des diplômes qui sonnent comme des titres d’ancien régime ou de nombreux salariés sous votre responsabilité que la disruption ne vous concerne pas. Ce n’est pas parce qu’un produit est un best seller-international depuis des années qu’il n’est pas à l’abris de se faire remplacer par une app ou une plateforme. Ce n’est pas parce qu’un usage est indispensable aujourd’hui qu’il n’y a aucun autre moyen d’y pourvoir. Le déni (doublé d’arrogance) est spontané chez la plupart des dirigeants, d’autant plus dans les secteurs traditionnels : les banquiers répètent en boucle qu’il y aura toujours besoin de banques et les avocats que la justice sans avocats est impossible. C’est ce “il y aura toujours” qui est le signe le plus fort d’une disruption à venir. L’impermanence est partout mais personne ne veut la voir. Les concepts qui nous entourent ont une durée de vie mais nous supposons qu’ils existent depuis et pour toujours (qu’il s’agisse des banques, de la démocratie, du salariat etc). Les disrupteurs s’attaquent précisément aux usages les plus anciens et établis pour en inventer d’autres qui au passage font mourir les anciens. Les entrepreneurs et les capitaux risqueurs de la SIlicon Valley prennent la liste des tous les secteurs de l’économie, des usages et des fonctions dans l’entreprise et se demandent pour chacun “comment les disrupter, comment les faire disparaître en les rendant obsolètes”. Il s’agit donc pour les entreprises et les professionnels de commencer par s’imaginer déjà obsolètes, de se rendre eux-mêmes obsolètes sinon quelqu’un d’autre s’en chargera. Chacun doit se demander ou se déplacera sa valeur ajoutée sachant que sa valeur ajoutée actuelle ne sera plus, plutôt que de chercher absolument à vouloir continuer à exister dans le monde de demain en se contentant d’ajouter de la technologie.

Les experts ne voient jamais leur propre disruption

La deuxième attitude à adopter face à la disruption, est de comprendre qu’elle vient le plus souvent en dehors de l’expertise qui est visée. C’est le point le plus contre-intuitif pour les entreprises. Pour se préparer à la disruption et de manière générale au digital, elles recrutent et chargent des spécialistes de leur domaine de conduire la transformation, elles demandent aux métiers d’imaginer leur futur dans un monde digital… Alors que l’expertise de chaque métier est en réalité un handicap pour imaginer son avenir. L’expertise aveugle, elle propose une approche d’un sujet tellement précise, rodée et habituelle qu’elle empêche de le voir autrement. Aux mêmes problèmes, toujours les mêmes solutions : celles des experts. C’est sur cette faiblesse que s’appuient les disrupteurs : ils s’autorisent à penser l’inconcevable pour les experts d’un domaine particulier et se donnent de ce fait l’opportunité de rendre ce domaine et ses processes obsolètes. Uber n’a pas été lancé par des experts du transport ni Airbnb par des experts de l’hôtellerie. La disruption vient toujours de l’extérieur et surprend les acteurs établis parce qu’elle fait exploser toutes leurs certitudes. Face à cette situation, le meilleur moyen pour l’entreprises de s’y préparer est donc de faire appel à l’extérieur en cherchant une compétence précise : la capacité à anticiper où va se déplacer la valeur dans le futur. De nombreuses entreprises se trompent en cherchant cette compétence auprès de cabinets de conseil. C’est une erreur. Aucun d’entre eux n’a anticipé la moindre disruption. Si les taxis les avaient sollicités il y a quelques années pour imaginer leur avenir, aucun d’entre eux n’auraient proposé de créer une application qui les mettrait en relation avec leurs clients (soit inventer Uber). La compétence “voir ou se déplace la valeur dans le futur” est en revanche très courante chez les entrepreneurs. Ce sont eux que les entreprises doivent solliciter pour envisager leur avenir, pas les consultants ou autres experts.

Amplifier la disruption pour survivre

Personne n’est épargné par la disruption. C’est le paradigme dominant de notre époque. Se réinventer en permanence en se rendant obsolète est devenu la norme. L’erreur à ne pas commettre est de vouloir empêcher ou freiner son avènement (certains font même appel au lobbying et à la législation !). Il faut au contraire l’amplifier, l’accélérer. Il y a pour se rassurer une excellente nouvelle : puisque tout est à réinventer, que le rythme s’accentue et touche tous les secteurs, de nombreuses opportunités émergent partout et pour tous, pour peu que l’on soit prêt à abandonner l’ancien, sans regret.

L’expert :

Entrepreneur et conférencier, diplômé de Sciences Po Paris et de l’Université du Québec à Montréal, Stéphane Mallard a créé Disrupt Agency après avoir occupé plusieurs postes dans le numérique. Il intervient en Europe et aux Etats-Unis auprès des entreprises, des grandes écoles et du grand public pour sensibiliser aux enjeux du numérique.

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2 commentaires

  1. Quel est l’intéret pour une entreprise de tuer le business model qui assure ses revenus, sa performance, sa capacité à servir ses clients actuels, les emplois et le développement des compétences de ses collaborateurs actuels ??? Aucun !
    C’est bien tout le fondement de « l’inertie » des entreprises établies.
    En revanche intégrer que ce qui marche aujourd’hui peut ne plus être adapté demain est effectivement essentiel, d’où les modèles de portefeuille d’activités: continuons ce qui crée de la valeur aujourd’hui (activité A) tout en préparant la suite (activités B, C,etc….). Evidemment elles font appel à des ressources et des capacités différentes, c’est tout le sens du mot transformation.

  2. Introduire un entrepreneur dans une entreprise existante revient à mettre un éléphant dans un magasin de porcelaine. L’entrepreneur partira de 0, sans intégrer l’historique, la culture, les réseaux, ce qu’a déjà l’entreprise. Il aura aussi des difficultés à accepter le cadre et les directives hiérarchiques. Tout cela est la garantie d’avoir beaucoup de casse et un rejet massif de l’organisation, malgré de la sur communication pour forcer l’adoption.

    Cela est en revanche dans la réalité de l’époque: les opérationnels sont trop souvent déconsidérés par le top management, qui les voit comme des exécutants qui refusent de changer ou d’innover. Dans les faits, c’est généralement un problème de structure, d’organisation, de culture, de process et de valeurs.

    A l’inverse, un intrapreneur sera capable de marier le meilleur des 2. Il connait son entreprise, a son réseau interne, et sera plus légitime pour les collaborateurs de l’entreprise. Il est naturellement à l’écoute permanente de son environnement et présente de grandes similarités avec les entrepreneurs (fonctionnement, effectuation, orientation solution, …), l’indépendance en moins. Christensen a montré que les fondateurs des sociétés qui vont concurrencer et disrupter les acteurs établis sont en partie des intrapreneurs qui n’ont pas été écouté en interne et qui ont décidé de passer à l’action en externe, ne devenant entrepreneur.

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