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Transformation numérique des médias : les 10 erreurs qui freinent sa mise en œuvre

Par Cyrille Frank, directeur de l’ESJ-Pro Médias Paris

Défaut stratégique, manque de pédagogie… J’accompagne les groupes médias depuis plus d’une dizaine d’années dans leur stratégie de transformation numérique. Voici, selon moi, les principales erreurs à ne pas commettre, pour que ça marche.

1/ Ne pas avoir de stratégie économique viable

Le modèle d’audience et de financement principal des médias par la publicité a vécu. Désormais 95% de la presse française est passée sur un modèle hybride publicité et abonnements numériques, mais, dont le principal levier est désormais le second.

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Ceci est un tournant majeur dans l’histoire de la presse en ligne qui misait sur des stratégies d’audience, jusque-là. Dans les années 2010, les médias ont diffusé librement leurs contenus, en espérant y gagner les ressources publicitaires d’un marché en croissance. Hélas, en dépit de l’augmentation folle de leurs audiences, les revenus publicitaires numériques n’ont pas suivi, bien au contraire.

Ainsi, entre 2009 et 2020, l’audience nécessaire pour intégrer le top 3 a plus que quadruplé, passant de quelque cinq millions de visiteurs uniques mensuels pour Le Figaro ou Le Monde à plus 18 millions pour ces deux mêmes médias.

Chiffres Médiamétrie 2009/ versus 2020.

Mais que s’est-il donc passé ? Google, Facebook et désormais Amazon ont siphonné les investissements publicitaires des annnonceurs. Aujourd’hui, ces trois géants absorbent 74 % des dépenses mondiales en publicité numérique en 2021, selon eMarketer. Et ils sont en bonne voie pour absorber plus de 50 % des investissements publicitaires en 2022.

Les médias et journaux qui se sont entêtés dans cette quête publicitaire ont perdu du temps et des plumes. Ils ont aussi refroidi leurs salariés à qui ils avaient expliqué longuement que ce modèle allait leur assurer un avenir radieux, à tous.

Evidemment, bien malins ceux qui pouvaient prédire en 2000 que les outils publicitaires de Google, avec ses annonces ciblées par enchères, allaient avoir un tel succès auprès des annonceurs ! D’autant que la croissance en trompe-l’oeil des revenus publicitaires numériques masquait une perte de parts de marché, car la grande majorité de la croissance allait dans les poches des géants.

Cependant, dès 2010, on pouvait voir que c’était une impasse. Pour moi, le signal déclencheur a été le rachat de Rue89 par L’Obs. Site de qualité, précurseur et innovant, Rue89 était parvenu à dépasser les deux millions de visiteurs uniques. Et pourtant, le site n’était pas parvenu à la rentabilité.

Il n’est pas interdit de se tromper de chemin, à condition de rectifier sa trajectoire assez vite. Et d’expliquer à ses salariés pourquoi on change de stratégie ! Les réticences actuelles de bon nombre de rédactions à basculer vers le numérique sont aussi le fruit de ces promesses déçues.

Mais combien en ai-je vus qui proposaient encore en 2019 une ligne éditoriale tournée vers la recherche d’audience, quand l’objectif affiché était de recruter des abonnés numériques ? On ne recrute pas un acheteur sur les mêmes contenus, qu’un butineur !

MON CONSEIL : les éditeurs doivent garder la tête froide et surveiller leur business comme le lait sur le feu. Cela passe par une veille internationale et transversale (à la fois éditoriale, économique, juridique…). Tiens, ça tombe bien, c’est ce que je propose dans ma newsletter hebdomadaire « le débrief’ media » ;-).

Et puis être pragmatique et réactif : ne pas hésiter à changer d’axe, si les résultats ne sont pas à la hauteur des prévisions. Tout en laissant suffisamment de temps pour valider ou invalider la stratégie. J’ai travaillé avec des angoissés qui voulaient changer de modèle d’affaire tous les jours. C’est usant et tout aussi vain.

2/ Ne pas expliquer, ni vendre sa stratégie en interne

Il faut tâcher de convaincre ses troupes qu’ils ont intérêt à modifier leurs pratiques et leur organisation. Et éventuellement ce qu’ils risquent à ne pas évoluer. Souvent les dirigeants se contentent d’évoquer le deuxième point : « il faut changer sinon, c’est la mort ». Cette motivation par la crainte peut doucher les enthousiasmes. Il faut aussi donner envie ! Le numérique, c’est aussi une liberté de formats, une créativité, un retour des lecteurs qui permet de devenir meilleur et de prendre plaisir…

Pour s’embarquer dans un projet de transformation, les salariés ont aussi besoin de savoir où on les emmène concrètement, et sur quoi repose ce choix. Cela nécessite de la pédagogie : il faut montrer, chiffres à l’appui, en quoi la stratégie choisie est pertinente.

Les journalistes – en particulier – sont très sensibles à l’argumentation étayée et ne se contentent généralement pas d’une explication vague : « il faut se moderniser, il faut se mettre à la page des usages, il faut changer… »

Pourquoi faudrait-il nécessairement changer ? Pourquoi faudrait-il séduire un lecteur plus jeune ? Pourquoi choisir l’abonnement payant, après nous avoir vendu pendant des années le modèle publicitaire ? Faites confiance aux journalistes pour poser les questions qui fâchent – déformation professionnelle oblige !

MON CONSEIL : organiser une conférence préalable aux formations et éventuels changements d’organisation, avec la direction et la rédaction en chef. Il s’agit d’expliquer le pourquoi, de donner du sens aux équipes et motiver leurs efforts. Par exemple, s’inscrire dans une stratégie de conquête d’abonnés, car c’est devenu une nécessité économique.

Partir des usages du public pour justifier une évolution des pratiques journalistiques (ex: l’édition ou la diffusion numérique). Ce, en préservant les fondamentaux du journalisme : vérification, hiérarchisation, explication de l’information. Recueillir les questions et les objections éventuelles, en tâchant d’y répondre le plus honnêtement possible.

C’est un travail que j’ai réalisé notamment à La Nouvelle République, par exemple, en amont d’un accompagnement long du groupe. Et qui a permis d’instaurer un climat de confiance, tout en faisant émerger des questions légitimes et des problèmes réels.

3/ Choisir de mauvais outils : coûteux, rigides, peu performants…

Hélas, pour se lancer dans le web, beaucoup de rédactions ont fait de mauvais choix technologiques.

Certaines ont choisi de développer leurs outils internes, à grand frais. Avec un succès mitigé et parfois catastrophique. Le principal problème était le manque de souplesse des outils de publication créés. La « V1 » s’avérait souvent la version définitive et la moindre modification était dure à négocier, car coûteuse, dans un contexte économique difficile.

Il faut dire que les directions techniques des médias ont beaucoup poussé pour le développement de solutions « maison ». Ce, à la fois pour garder la main sur les outils, et donc le pouvoir. Et aussi, parce que ça les intéressait de travailler sur un projet innovant et valorisant.

D’autres ont choisi des solutions externes peu évolutives, ou coûteuses à adapter. Je me rappelle d’EZ Publishqui équipait une bonne part des magazines en ligne français. On sentait que le produit avait été pensé par des informaticiens, sans beaucoup consulter les producteurs finaux.

Beaucoup de clics et d’étapes inutiles, ergonomie désastreuse, lenteur… Ainsi fallait-il fournir plusieurs tailles de visuels à chaque article pour la home, la rubrique et l’article lui-même. Le retaillage semi-automatique vertical/horizontal à partir d’un seul fichier de bonne résolution, n’est arrivé que beaucoup plus tard.

En « front-end », les designers/développeurs oubliaient aussi souvent que ça pouvait être malin de proposer des visuels homothétiques sur les pages d’accueil, pour permettre un resizing automatique, côté « back-office ».

Lors d’une mission d’accompagnement à l’écriture numérique de la rédaction du Journal des Entreprises, nous avions insisté avec Pierre Lebovici sur la nécessité de les former sur leur outil de publication futur, qui basculait sur Drupal.

Il était alors quasiment prêt, au stade « débugage ». Sauf qu’en découvrant l’outil, on s’est rendus compte que l’ergonomie était catastrophique et qu’il manquait plein de fonctions indispensables (comme la prévisualisation avant de publier !)

Nous avons donc passé plusieurs jours à commander et suivre des modifications avant la formation elle-même. Impossible d’embarquer des équipes dans un projet si les nouveaux outils sont pires que les précédents. Et en tant que formateur, c’est aller au casse-pipe !

Ce n’est pas un hasard, si aujourd’hui la plateforme de publication ultra-dominante est WordPress, qui reste l’outil le plus modulable, ouvert et économique du marché. Même s’il faut quand même s’offrir les services d’un développeur spécialisé sur cette plateforme, pour proposer un site rapide, fiable et qui contient toutes les fonctionnalités demandées.

En rouge, part de marché mondiale de WordPress s’agissant des sites équipés d’un cms.
En gris, part de marché de WordPress, tous sites confondus.

 

MON CONSEIL : impliquer les équipes de production dans le choix de l’outil final. Recueillir les besoins en amont et leur faire tester l’outil, au cours de son développement (et pas seulement à la fin !). La première étape est parfois respectée, mais rarement la seconde. Or, c’est en maniant le produit qu’on se rend compte si ça fonctionne ou pas, ou s’il manque des fonctionnalités importantes.

4/ Se débarrasser des « vieux » pour embaucher de jeunes journalistes « agiles »

C’est ce qui a été fait dans de nombreuses rédactions au tournant des années 2000. Et plus encore après la crise de 2008 qui a accéléré la transition numérique des journaux.

Si certains journalistes, en fin de carrière, ne se sentaient pas eux-mêmes de prendre le « train du numérique », d’autres ont été gentiment poussés vers la sortie. Ce, via différents plans sociaux ou « plans de protection de l’emploi », comme on dit pudiquement (et hypocritement).

On s’est ainsi privé d’une expertise précieuse qui a appauvri certains journaux. Quand un rubricard expérimenté s’en va, c’est la qualité éditoriale du titre qui chute (ce que me confiait la rédactrice en chef adjointe d’un news magazine qui regrettait le départ de ses chefs de rubrique « Education », par exemple).

Malheureusement, on n’en perçoit les effets que beaucoup plus tard, dans la décélération des ventes ou le non-renouvellement des abonnés papier. On perd aussi bien sûr un levier important pour générer des abonnés numériques.

Cette stratégie est aussi le résultat de ce basculement raté vers une logique d’audience quantitative évoquée plus haut. Mieux valait embaucher de jeunes « deskeurs » (journalistes du « desk » qui traitent l’actualité chaude en éditant les articles pour la page d’accueil, le SEO et les réseaux) généralistes, ultra-réactifs pro de l’éditing web et des réseaux sociaux, car ça générait bien plus d’audience.

On se rend compte aujourd’hui, que ce choix n’était pas forcément le plus judicieux, à l’heure où la compréhension du monde se complique, et où le niveau d’exigence du public augmente. A fortiori de la part des prospects que l’on souhaiterait faire payer !

C’est pourquoi les grandes rédactions comme le New York Times, Washington Post, ou Le Monde ont réinjecté leurs profits dans le recrutement de journalistes, en particulier de journalistes spécialisés : santé, scientifiques, économiques… On a vu, à l’occasion de la crise du Covid-19, combien cette expertise faisait défaut dans de nombreuses rédactions numériques, pourtant très agiles.

👉 Covid-19 et chloroquine : médias, gardez la tête froide et faites le job !

MON CONSEIL : tout le monde n’a pas vocation a devenir journaliste multimédia agile, qui maîtrise l’actu chaude, la video ou les stories sur Snapchat/TikTok. Optez pour une forme de spécialisation.

Vous avez un super journaliste qui a un carnet d’adresses incroyable et connaît bien son domaine, mais ne sait pas titrer SEO, ni utiliser le CMS ? Jouez la complémentarité générationnelle : créez des binômes journalistes seniors et juniors qui s’entraident et partagent leurs savoirs-faire réciproques.

Tout le monde peut comprendre l’éditing SEO, quel que soit son âge. J’ai pu le vérifier en formant par exemple un groupe de secrétaires de rédaction print en reconversion web au Progrès. L’accompagnement pendant dix mois, à raison d’une journée par mois, a permis à tout le monde d’acquérir les bases, y compris ceux qui n’avaient pas touché un ordinateur de leur vie.

5/ Ne pas passer au « digital first »

Une fois le bon outil bi-media choisi, il faut inverser la priorité chronologique entre le web et le papier. En réalité, il doit y avoir plusieurs bouclages dans la journée et plus un seul, pour le papier. Cela permet de changer les priorités dans les têtes.

Tant que les journalistes sont mobilisés pour la création d’un journal, leur énergie est accaparée par cet objectif et il reste alors peu de temps pour le numérique. L’outil bi-media permet de s’épargner une double saisie et des copier-coller inutiles, mais c’est surtout l’occasion de changer le flux de production.

Cela implique de préparer la première publication du matin la veille au soir, lors d’une mini-réunion de rédaction, avant ou après le bouclage papier.

Dès lors, il n’y a plus deux supports distincts à produire mais des contenus qui vont sur l’un ou l’autre des supports ou les deux, moyennant quelques adaptations en termes de longueur ou d’éditing.

C’est d’ailleurs là que se situe un facteur d’optimisation des process de fabrication bi-media : en harmonisant au maximum les formats web et print, ce qui simplifie d’autant la mise en page du journal papier. Le CMS doit proposer des formats type pour les articles qui soient calés sur la maquette papier, quitte à ce que chaque journaliste puisse s’en affranchir, si besoin, pour le web.

D’ailleurs, on a oublié que la concision est aussi un service au lecteur. Ce n’est pas parce qu’il est possible de faire long, que c’est forcément souhaitable ! Beaucoup d’articles web sont aussi trop verbeux, même s’il est aussi appréciable de pouvoir faire long, quand on a beaucoup de choses à dire (je serais mal placé pour dire le contraire, avec cet article de 25.000 signes).

👉 Le « journalisme long » se perd ? Tant mieux !

MON CONSEIL : passer le plus vite possible au « digital first » en adaptant les formats, les maquettes et les process. Cela implique notamment de mettre en place un agenda bi-media discuté durant la réunion de rédaction quotidienne et hebdomadaire.

Agenda qui indique les sujets, angles, formats, support print/web, timing de publication et éventuellement si ça mérite, un push mobile. C’est ce que nous avons mis en place avec Elise Colette, Damien Allemand ou Amandine Briand à La Nouvelle République en discussion étroite avec les rédacteurs en chef de chaque titre.

6/ Rester flou sur les process

Il est important que chacun sache ce qu’il doit faire, avec quels outils et selon quelle méthode. La planification des sujets le plus en amont fait partie des moyens pour mieux anticiper la production éditoriale.

Ce, afin de gagner en qualité éditoriale et aller plus en profondeur, en se donnant le temps de creuser un sujet sur la durée. Mais aussi pour gagner en sérénité, ne pas être sans cesse « dans le jus » et préparer des sujets froids, sans se mettre une pression trop forte sur le timing de publication.

Evidemment, certains sujets chauds doivent toujours être écrits dans l’urgence. Mais en parallèle, il faut prévoir des sujets tièdes ou froids qui constitueront d’ailleurs un socle d’audience récurrente, car bien référencés.

Par exemple les meilleures sorties à faire dans la région avec ses enfants, par catégorie d’âge (4-6 ans, 7-10 ans, 12-14 etc.). Dossier avec video du lieu, l’itinéraire, les liens pour réserver, un avis de la rédaction, les choses à ne pas rater etc. Et bien sûr les sujets gastronomie, logement, jardinage, bricolage…

Clarifier les process, c’est aussi élaborer les chartes éditoriales validées par la rédaction en chef. Celles-ci permettent de fixer une fois pour toutes les bonnes pratiques. Met-on le lieu ou le sujet dans le début du titre ? Ça dépend ! On utilise l’italique sur le web ou pas ? On publie le push de sortie du week-end le vendredi soir ou plutôt le samedi matin ?

Evidemment, ces documents ne seront pas toujours lus par les rédacteurs, mais c’est un outil managérial qui clôt les discussions « on nous avait dit le contraire ». La règle est précisée et accessible par tous ici.

MON CONSEIL : faire des documents synthétiques qui rappellent les questions les plus fréquentes et les plus importantes. Les mettre en ligne et en accès à un endroit visité régulièrement par les journalistes (par exemple, l’agenda du jour/ de la semaine). C’est ce que nous avons fait au Journal du Centre et à la NRCO , et ça marche plutôt bien.

7/ Ne pas adapter l’organisation

Le point clé est souvent le choix des managers chargés d’emmener leurs équipes. Il faut placer à ces postes clés des gens compétents, et volontaires. S’ils ne sont pas initialement experts des pratiques numériques, n’est pas de première importance, mais is doivent être capables de se mettre à jour et de s’entourer de gens qui savent, eux.

Je suis peu fan des rédactions numériques dédiées qui constituent souvent un Etat dans l’Etat. Et qui entravent in fine la cohésion du groupe. Cela peut être une option au début pour gagner du temps, mais c’est aussi un frein par la suite.

Les journalistes du support traditionnel peuvent se décharger du numérique sur ces petites mains. Ou au contraire se sentir exclus des nouveaux supports, voire méprisés par les « petits jeunes » qui ont pris l’ascendant dans les médias du fait de l’importance stratégique croissante de l’enjeu numérique.

Je me souviens de ce journaliste télé dans une locale chez France Tv qui se lamentait en voyant un sujet sport publié sur francetvinfo.fr, identique à celui qu’il avait déjà publié de son côté. « je leur ai déjà dit, mais ils préfèrent faire les choses de leur côté ». Voilà qui ne crée pas vraiment de cohésion interne et peut même décourager les plus motivés.

Travailler l’organisation, c’est aussi adapter la charge de travail. A La Nouvelle République, la pagination a été réduite pour tenir compte de la charge de travail additionnelle du numérique. Et cela passe aussi par des recrutements pour permettre de réaliser un travail satisfaisant.

Le sentiment d’abaisser la qualité de leur production éditoriale est d’ailleurs l’un des facteurs de démotivation les plus forts pour un journaliste. Il faut éviter à tout prix de les placer dans une position où ils devront bâcler leur travail, pour tenir la cadence.

👉 Les journalistes papier ne sont pas (tous) des dinosaures qui refusent d’évoluer

MON CONSEIL : identifier les personnes motrices dans l’organisation et les faire monter dans l’organisation. C’est comme cela que Jérôme Cazadieu, à l’origine de L’Equipe Explore, et moteur d’innovation sur les formats, a gagné ses galons de directeur de la rédaction.

Pour les managers un peu plus à la traîne, ne pas hésiter à les accompagner individuellement pour les mettre à niveau et les soutenir dans leurs nouvelles attributions. Un accompagnement qui a permis de faciliter la transition numérique bi-média à La Nouvelle République, grâce à d’excellents consultant-coach comme Elise Colette, Damien Allemand (et moi évidemment).

8/ Ne pas donner aux journalistes l’accès aux statistiques quotidiennes

Il y a parfois une réticence des services marketing à communiquer les statistiques quotidiennes – ou mieux encore, en temps réel – aux journalistes. On leur prépare des synthèse hebdomadaires ou mensuelles dont l’intérêt est limité sur le plan de l’exploitation éditoriale à chaud d’une tendance.

Savoir qu’un article rencontre un gros succès, et de manière parfois surprenante, permet de réagir le jour même, en exploitant ce besoin des lecteurs. Le journaliste, en discussion avec le rédacteur en chef, peut alors décider de creuser le sujet, décliner d’autres angles, diffuser davantage sur les réseaux sociaux, faire une notification mobile ou inclure le sujet dans la newsletter…

Parfois, il faut dire que le problème est aussi lié au mauvais tagage des pages qui nécessite d’agréger des chiffres en provenance d’un peu partout sur le site, ce qui peut être lourd pour le service marketing. Là, il n’y a pas d’autre choix que de corriger le plan de tagage !

MON CONSEIL : il faut ouvrir les vannes des analytics aux producteurs de contenus. Mais il faut aussi faire de la pédagogie, et expliquer que le nombre de vues n’est pas le critère forcément le plus important dans un business d’abonnement.

Enfin, il faut se ménager des séquences régulières de discussion collective sur les raisons de l’échec ou du succès des sujets traités. Surtout ceux qui ont pris le plus de temps à créer. Au moins une fois par mois, si possible une fois par semaine, on peut discuter des audiences en regardant aussi le temps passé, les commentaires, la diffusion sur les réseaux…

9/ Maintenir des silos infranchissables entre marketing et rédaction

Ce point rejoint le précédent, mais plus globalement, les deux univers doivent se parler, pour gagner en efficacité dans un objectif de conquête de lecteurs payants.

Au New York Times ou au Wall Street Journal, une personne du marketing assiste chaque jour à la réunion de rédaction pour apporter des infos sur des sujets « tendance », des articles qui transforment bien et autres signaux faibles.

Evidemment, la rédaction en chef est libre d’y prêter attention ou pas, selon d’autres arbitrages, comme la hiérarchie de l’information . Celle-ci nécessite parfois de traiter un sujet moins populaire, mais important sur le plan sociétal ou citoyen.

Néanmoins, ces informations peuvent aider les journalistes à mieux cerner les besoins du lecteurs, et les aiguiller dans leur choix de sujets. Ce qui n’empêche en rien la proposition de contenus originaux non attendus. Comme je le dis depuis longtemps, « il faut proposer au lecteur ce qu’il attend, mais aussi ce qu’il ne sait pas encore qu’il désire ».

Ce n’est ni plus ni moins que le « flair journalistique », agrégat inconscient des signaux divers qui font qu’un journaliste s’empare d’un sujet. Mais un flair augmenté de données beaucoup plus précises, fréquentes et fiables.

MON CONSEIL : les prérogatives de chaque métier doivent être claires. Le marketing informe et propose, la rédaction dispose. Par ailleurs, le marketing intervient en amont ou en aval des événements, jamais dans le flux de production. Sinon, c’est la guerre de pouvoirs et la fin de l’entente cordiale.

Il peut être malin de recruter une personne chargée de faire le lien entre l’édito et le marketing et qui dispose de la double culture et double légitimité : le fameux chaînon manquant qui permet de faciliter les conversions d’abonnés, en veillant à la fois à la qualité du produit éditorial (contenus, ux, communauté) et à l’efficacité économique des dispositifs. C’est le rôle crucial d’un Laurent Suply, directeur des opérations au Figaro, par exemple.

10/ Former massivement les journalistes sur une courte période

Naturellement, le volet formation et accompagnement joue un rôle décisif dans toutes les phases de changement. Il faut se garder de concentrer toutes les formations sur une période courte. Ou de vouloir rattraper son retard, à marche forcée.

Changer de pratiques et surtout de culture prend du temps. Cela nécessite une digestion lente, et de la répétition pour permettre l’assimilation. C’est la base de la pédagogie : pour progresser, mieux vaut passer 10 mn chaque jour de la semaine à jouer de la guitare, plutôt qu’une heure et demi, une fois par semaine.

Autre erreur fréquente : se contenter de former les opérationnels, les « petites mains », pas les chefs. Tout le monde doit comprendre, sinon maîtriser les bonnes pratiques. A fortiori, les managers qui devront trancher et prendre des décisions. Ils doivent impérativement être en mesure de comprendre a minima le fonctionnement des outils numériques.

Comprendre par exemple, qu’il vaut mieux attendre le bon moment pour publier sur les réseaux, pour amorcer la pompe de l’engagement, et non pas forcément publier son sujet, dès qu’il est prêt, si personne n’est là pour le lire.

D’où les grilles de programmation selon les sujets et les plateformes qu’il faut élaborer en amont, et affiner en aval.

Enfin dernière erreur : ne pas former les équipes au travail inter-métier. Pour être en mesure de monter en gamme dans la qualité de formats et des dispositifs éditoriaux proposés aux internautes, il faut pouvoir travailler avec des graphistes, des développeurs, des chefs de projet…

Cela implique de comprendre le fonctionnement d’autrui, ses contraintes, ses priorités, son langage pour être en mesure de bien collaborer avec lui. Il est de plus en plus nécessaire de monter des formations, ateliers ou groupes de travail pluri-métiers. Et d’accompagner les journalistes sur la gestion de projet : outils et méthodologie.

MON CONSEIL : proposer des accompagnements en immersion dans les rédactions, avec les outils « maison » et sur de vrais sujets. Former les managers en premier ou en parallèle des rédacteurs et opérationnels. Etaler les formations dans le temps et passer du temps sur le travail collaboratif inter-métier.

👉 Les trucs à ne surtout pas dire à un journaliste pour préserver la concorde

👉 Vivre en harmonie avec son développeur : petit guide de survie

L’expert :

Cyrille Frank (@cyceron) est directeur de l’ESJ-Pro Médias Paris, Journaliste, formateur, consultant – Co-fondateur de Askmedia (quoi.info, Le Parisien Magazine, Pôle dataviz). Formateur aux techniques rédactionnelles plurimédia, au marketing éditorial, au data-journalisme. Consultant en stratégie éditoriale : augmentation de trafic, fidélisation, monétisation d’audience. – Usages des réseaux sociaux (acquisition de trafic, engagement…). Auteur de Mediaculture.fr.

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