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Vivatech : Nvidia structure l’Europe de l’IA, Emmanuel Macron verrouille le narratif souverain

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À Paris, Jensen Huang a livré une vision industrielle et distribuée de l’IA, dans laquelle l’Europe joue désormais un rôle central. Un changement d’échelle soutenu par des investissements massifs dans les infrastructures, une ouverture vers l’écosystème local, et une relecture du data center devenu “usine à tokens”.

Il fallait écouter attentivement les inflexions, plus encore que les annonces. Lors de la keynote très attendue et très réussie de Jensen Huang, CEO de Nvidia, au salon VivaTech, le dirigeant n’a cessé de repositionner l’Europe comme un territoire de production stratégique pour l’ère de l’intelligence artificielle distribuée. À commencer par cette déclaration liminaire : “Europe has now awakened to the importance of these AI factories.”

Ces “AI factories”, que Nvidia conçoit comme des installations capables de générer des milliards de tokens via des architectures spécialisées, sont devenues le nouveau standard industriel de l’IA. Loin des centres de données traditionnels, elles sont définies non plus par le stockage mais par la capacité de calcul intensif dédié à l’inférence.

“Nous allons multiplier par dix la capacité de calcul IA en Europe au cours des deux prochaines années, avec plus de 20 usines à tokens déjà en préparation”, a précisé Jensen Huang. Certaines d’entre elles dépasseront le seuil du gigawatt, ce qui les placerait parmi les infrastructures de calcul les plus puissantes au monde.

Une architecture pensée pour raisonner, pas seulement exécuter

Au cœur de cette montée en puissance, l’architecture Grace Blackwell, présentée comme la première machine spécifiquement conçue pour l’ère du raisonnement. Les chiffres donnent le vertige : 130 térabits par seconde de bande passante, soit plus que le pic de trafic de l’ensemble de l’Internet mondial, concentrés dans une colonne de cuivre pesant 60 kilos. “This is how you shrink the internet into 60 pounds”, a illustré Huang, en désignant le spine NVLink reliant 144 puces Blackwell dans une topologie entièrement non bloquante.

Jensen Huang, CEO de NVIDIA présentant le spine NVLink et ses 144 puces GRACE BLACKWELL. Photo: FRENCHWEB.FR

Mais au-delà des chiffres, c’est la finalité même de l’architecture qui a changé. Nvidia ne vend plus uniquement des cartes ou des clusters, mais une “usine cognitive”. Chaque baie est pensée comme une unité de production de tokens à forte valeur, où le coût marginal s’évalue désormais à l’échelle du jeton généré, non plus de la requête.

Une infrastructure de souveraineté… construite par Nvidia

La transition vers ces AI factories ne relève pas d’une logique purement technologique. Elle s’inscrit dans une politique d’infrastructure, à l’échelle des États. “Ces data centers ne sont plus des centres de données. Ce sont des usines de génération de tokens. Et ils deviendront partie intégrante de l’infrastructure de chaque pays”, a affirmé Huang. C’est dans ce cadre que Nvidia multiplie les partenariats avec des industriels européens.

Jensen Huang, GTC Paris 2025. Photo: FRENCHWEB.FR

En France, le partenariat avec Schneider Electric est mis en avant comme modèle de co-construction. L’objectif est de bâtir des jumeaux numériques complets des usines IA, permettant d’optimiser leur conception et leur exploitation avant même qu’une pièce ne soit physiquement assemblée. Le PDG a insisté : “These AI factories are so expensive — 50 billion, sometimes 100 billion in the future — that if the utilization isn’t optimal, the cost to the factory owner will be incredible.”

Emmanuel Macron saisit la balle au bond

En début de soirée, Le Président Emmanuel Macron est monté sur la scène principale du salon, aux côtés de Jensen Huang et d’Arthur Mensch, fondateur de Mistral AI. Ensemble, ils ont officialisé la création de Mistral Compute, une plateforme cloud IA souveraine, hébergée en Europe, équipée de 18 000 superpuces Blackwell.

“Le partenariat annoncé aujourd’hui entre Nvidia et Mistral est à mes yeux historique”, a déclaré le président français, soulignant son rôle dans la souveraineté numérique européenne. Plusieurs entreprises françaises, Orange, BNP Paribas, SNCF, ont d’ores et déjà rallié le projet. “Non seulement ce partenariat va augmenter votre souveraineté, mais ça va vous permettre d’aller encore plus loin”, a-t-il lancé à l’adresse des entrepreneurs et public présents.

Le chef de l’État a également formulé le souhait d’installer une capacité de production de puces électroniques sur le territoire français.

Mistral, Siemens, BMW… une dynamique européenne assumée

Nvidia s’ancre désormais dans une stratégie européenne fondée sur des partenariats industriels profonds et différenciés selon les pays. Chaque alliance illustre une facette du basculement en cours, l’IA n’est plus un outil périphérique, mais une brique structurelle de transformation pour les grands groupes du continent.

En France, l’accord avec Mistral AI cristallise cette évolution. Le lancement de Mistral Compute, plateforme cloud souveraine dotée de 18 000 puces Blackwell, doit permettre à la startup de proposer un accès sécurisé à ses modèles open source, tout en offrant un socle d’hébergement pour l’écosystème IA européen. Le projet, hébergé en Europe, s’adresse explicitement aux startups, entreprises et institutions souhaitant échapper à une dépendance excessive vis-à-vis des hyperscalers américains.

Outre Mistral, plusieurs grands comptes français à l’instar de BNP Paribas, Orange, SNCF, ont annoncé leur adhésion au projet. Emmanuel Macron, lors de sa prise de parole à VivaTech, a encouragé d’autres acteurs à rejoindre cette “alliance”, qualifiant l’initiative de « game changer » pour la souveraineté numérique européenne.

En Allemagne, la collaboration avec Siemens donne corps à une IA industrielle de nouvelle génération. L’enjeu ne se limite pas à la modélisation ou à la simulation et il s’agit d’intégrer des agents IA dans les chaînes de conception, les processus de maintenance prédictive, et la planification opérationnelle.

BMW, de son côté, travaille avec Nvidia sur la numérisation complète de ses sites industriels via Omniverse, plateforme de simulation 3D et de collaboration en temps réel. Son usine de Debrecen, en Hongrie, a été intégralement conçue en jumeau numérique avant même la pose de la première pierre. Objectif : optimiser les flux logistiques, anticiper les goulets d’étranglement, et permettre une interaction fluide avec les agents robotiques.

À ces exemples s’ajoutent Kion Group (logistique), SNCF (jumeaux numériques d’infrastructures), Bouygues (construction), STMicroelectronics (semi-conducteurs), ou encore Prologis (data centers). Autant de collaborations qui témoignent d’une volonté partagée : intégrer l’IA dès la conception des systèmes, et non comme une couche d’optimisation secondaire.

Ce maillage européen repose sur la conviction que l’industrialisation de l’IA n’est pas un processus homogène. Elle nécessite des architectures sur mesure, des infrastructures adaptées et une capacité à dialoguer avec les spécificités sectorielles de chaque acteur. Nvidia n’impose pas un modèle unique, mais propose une stack technologique ouverte, interopérable, et extensible, sur laquelle les entreprises européennes peuvent bâtir.

Campus IA, mégawatts et stratégie d’État

La montée en puissance de Nvidia en Europe s’inscrit dans une dynamique étatique plus large, incarnée par la stratégie d’Emmanuel Macron en matière d’intelligence artificielle. Le président français défend depuis plusieurs mois une approche souveraine de l’IA, appuyée à la fois sur des investissements massifs et sur une logique d’infrastructures critiques.

C’est dans cet esprit qu’a été annoncé, en février 2025, un projet de campus IA en Île-de-France, présenté comme le plus vaste d’Europe. L’initiative associe le fonds souverain émirati MGX, Bpifrance, Mistral AI et Nvidia, qui en assureront la gouvernance opérationnelle. Lors du sommet Choose France, Emmanuel Macron en avait détaillé les contours avec sa construction à partir de 2026, un financement compris entre 30 et 50 milliards d’euros, et l’ambition de couvrir l’ensemble du cycle de vie de l’intelligence artificielle.

Le campus comprendra plusieurs briques complémentaires :

    • Un data center géant d’une capacité annoncée de 1,4 gigawatt, soit l’équivalent énergétique d’un réacteur nucléaire de type EPR ;
    • Des centres de formation destinés à former les ingénieurs, développeurs, techniciens et opérateurs de l’économie IA ;
    • Des laboratoires de recherche appliquée, en lien avec des startups, industriels et laboratoires publics.

Ce projet emblématique vient s’ajouter à une série d’annonces plus dispersées. Depuis début 2024, plus de 126 milliards d’euros d’investissements privés ont été fléchés vers des projets liés à l’IA en France, selon les chiffres de l’Élysée. Ces montants incluent :

    • Le projet Mistral Compute et ses 18 000 puces Blackwell ;
    • Les 20 milliards d’euros mobilisés par Brookfield pour un data center à Cambrai (Nord) ;
    • Les 6,4 milliards d’euros que Prologis, acteur américain de l’immobilier logistique, prévoit de consacrer à des centres de calcul.

Pour structurer cette vague d’investissements, l’État a identifié 65 sites « propices » à la construction de data centers, répartis dans toutes les régions françaises : Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, etc. Un maillage pensé pour répondre à la fois aux contraintes énergétiques, foncières et de connectivité, dans un contexte où la densité énergétique devient un facteur stratégique.

Une diplomatie du silicium en marche, Jensen Huang à sa tête.

L’initiative s’inscrit dans un changement de nature de Nvidia. Plus qu’un fournisseur de GPU, la firme se positionne désormais comme une puissance d’infrastructure. “These AI factories are now part of a country’s infrastructure, which is why you see me running around the world talking to heads of states”, a souligné Huang.

Avec une architecture adaptable, compatible aussi bien avec les clouds publics qu’avec des solutions on-premise, Nvidia tisse sa toile. En France, la posture de co-construction adoptée par Emmanuel Macron renforce cette logique d’ancrage industriel.

Une intervention saluée par un public venu du monde entier

Jensen Huang à l’ouverture de la GTC Paris 2025. Photo: FRENCHWEB.FR

Nvidia semble avoir compris que l’ère de l’IA ne se jouera pas uniquement sur la puissance de calcul, mais sur sa répartition, son intégration verticale et sa localisation. En misant sur l’Europe comme terrain de production et d’expérimentation, et en s’adossant à des partenaires industriels et étatiques, l’entreprise devient le catalyseur d’une nouvelle forme de souveraineté numérique. Pour Emmanuel Macron, cette stratégie marque une étape dans la redéfinition de la puissance technologique française à laquelle il faudra désormais s’adapter.


Repères

  • Mistral Compute : cloud IA souverain prévu pour 2026, 18 000 puces Blackwell
  • Investissements IA France : 126 Md€ annoncés en 2024-2025
  • Campus IA francilien : piloté par MGX, Nvidia, Mistral, Bpifrance ; 1,4 GW de puissance, centres de formation et R&D
  • Architecture phare : Grace Blackwell GB200, 130 To/s, 1,2 million de composants, entièrement liquid-cooled
  • Partenaires : Siemens, BMW, Schneider Electric, STMicroelectronics, SNCF
  • Stratégie Nvidia : CUDA-Q (quantique), Nemotron (LLM open-source optimisés), Omniverse (jumeaux numériques), DGX Lepton (cloud unifié)
  • Fondation Nvidia : fondée en 1993, basée à Santa Clara, capitalisation > 3 000 Md$ (juin 2025)
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