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10 pistes pour accélérer la transformation de la fonction RH

Une tribune de Bertrand Duperrin, Head of People and Delivery pour Emakina

IBM a récemment produit une étude sur la transformation de la fonction RH et comment l’accélérer. Cette étude ayant été produite en collaboration avec la Josh Bersin Academy, il faut s’attendre à y retrouver l’essentiel des réflexions de Bersin qui, pratique marketing courante dans l’industrie du logiciel, ne servent que de prétexte à une prise de parole de l’éditeur.

Je vais donc commencer par un survol de l’étude avant d’y apporter mes commentaires.

Dans cet article :

  • La réinvention des RH est en marche
  • 10 axes pour transformer les RH
  • La fine limite entre étude et contenu marketing
  • Le manifeste des évidences
  • Des axes essentiels
  • De doux rêves
  • Un certain manque d’ambition
  • Conclusion

La réinvention des RH est en marche

Le constat duquel part l’étude est qu’après avoir été essentiellement administrative depuis qu’elle existe, la fonction RH joue un rôle de plus important dans la dimension business des entreprises.

Aujourd’hui, on distingue trois types de département RH:

  • RH 1.0 : concentrés sur la conformité, l’administration et l’efficacité des process.
  • RH 2.0 : centres d’excellence concentrés sur l’empowerment et la formation des acteurs business pour apporter des solutions là où il en faut.
  • RH 3.0 : représentent moins de 10% des organisations, transforment la fonction RH en entité de conseil agile qui propose des services au business et utilise le « design thinking » pour proposer des solutions.

Selon le rapport, la bonne nouvelle est que cette transformation est à la portée de tous car « les disciplines du design thinking, l’utilisation d’outils cognitifs hautement intelligents et l’accent mis sur la transparence, l’inclusion et le changement sont autant d’objectifs que vous pouvez atteindre ».
En conclusion :

  • L’Humanité est au coeur de l’entreprise cognitive : alors que les entreprises doivent se transformer sous l’impact des « disruptions globales », de nouveaux business models et de nouvelles technologies, il n’a jamais été aussi important d’augmenter les compétences des collaborateurs.
  • Les RH 3.0 sont un impératif business : les dirigeants conviennent tous que la fonction RH doit être réinventée. « Les principes directeurs de la personnalisation, les compétences de base, la prise de décision guidée par les données, la transparence et l’agilité sont au cœur du cheminement vers les RH 3.0 ».

Les meilleures entreprises se lancent déjà dans des programmes audacieux qui permettent d’identifier 10 axes majeurs pour la transformation de la fonction RH.

Et ses 10 axes sont :

10 axes pour transformer les RH

1 – Mesurer les performances des employés de manière continue et transparente

Pourquoi ?

Un environnement en constante évolution demande du feedback et des mesures permanentes et transparentes pour pouvoir s’ajuster en temps réel.

Comment ?

Mettre en place un dispositif de feedback permanent, des objectifs transparents et partagés, utiliser les analytics pour faire le lien entre les initiatives de développement et leurs résultats (ça ne vous rappelle rien sur le « disconnect » entre HRTech et WorkTech ?)

2 – Investir dans le nouveau rôle des leaders

Pourquoi ?

À l’heure actuelle, le leadership repose désormais sur la collaboration, l’écoute et la capacité à agir dans l’incertitude. Le comportement des leaders doit se caractériser par l’agilité, la communication et l’adaptabilité.

Comment ?

Investir dans le développement des leaders, utiliser l’intelligence artificielle pour détecter les nouveaux leaders, renforcer la transparence par le dialogue continu.

3 – Renforcer et appliquer les capacités en matière de pratiques agiles et de design thinking

Pourquoi ?

Pour répondre aux changements extérieurs, les entreprises ont besoin de vitesse et d’itérations, ce à quoi ne répondent plus les projets menés en « Cycle en V ».

Comment ?

Former les RH au design thinking, renforcer la confiance en co-créant des solutions avec les salariés, mettre en œuvre les solutions de manière itérative et les améliorer grâce aux feedbacks des utilisateurs.

4 – Rémunération des performances –et des compétences– de manière équitable et transparente

Pourquoi ?

La génération actuelle exige de la transparence et de l’équité dans les systèmes de rémunération.

Comment ?

Etablir des objectifs en termes de transparence en cohérence avec les valeurs de l’entreprise, utiliser l’intelligence artificielle pour identifier les biais et les écarts de rémunération, valoriser l’acquisition des compétences critiques à la valeur du marché.

5 – Renforcer continuellement les compétences dans le flux de travail

Pourquoi ?

L’action d’apprendre ne peut plus seulement avoir lieu de manière épisodique sur du temps dédié mais également se passer « dans le flux de travail », lorsque nécessaire, pendant que le salarié travaille.

Comment ?

Accroître la visibilité des compétences existantes aujourd’hui, utiliser le digital et l’IA pour créer des expériences d’apprentissage personnalisées pour chacun, promouvoir une culture d’apprentissage permanent qui récompense l’acquisition de compétences.

6 – Concevoir des expériences « intentionnelles » pour les employés

Pourquoi ?

Une bonne expérience employé ne doit pas être occasionnelle ou accidentelle mais être le fruit d’un programme élaboré et amélioré en permanence. Ces expériences doivent être porteuses de sens, simples et homogènes.

Comment ?

Utiliser les analytics pour écouter la voix des employés, concevoir des expériences employé.

7 – Modernisez votre portefeuille de technologies RH

Pourquoi ?

Dans les RH 3.0, l’expérience prime sur l’excellence des process et les technologies RH doivent évoluer en conséquence, avec notamment une architecture de données RH commune à toute l’entreprise.

Comment ?

Passer les systèmes RH dans le Cloud, utiliser l’intelligence artificielle pour améliorer l’expérience employé dans les RH, développer les compétences « Data », « Machine learning » et AI dans les RH.

8 – Appliquer l’analyse des données

Pourquoi ?

Les données permettent aux RH de prendre des décisions fondées sur les faits en lien avec la stratégie de l’entreprise. L’utilisation de données internes et externes à l’entreprise permet de prendre de meilleures décisions.

Comment ?

Prendre en compte les données externes à l’entreprise pour une connaissance à 360° de la force de travail, investir dans l’IA pour déchiffrer ces données, utiliser ces données pour améliorer la performance des individus et de l’organisation.

9 – Réorienter et requalifier les HR Business Partners en tant que conseillers stratégiques

Pourquoi ?

Le HR Business Partner doit désormais occuper exclusivement un rôle de conseil auprès des dirigeants seniors.

Comment ?

Repenser le rôle du HR Business Business Partner comme un conseiller stratégique, développer la connaissance du business et du secteur d’activité chez les HRBP, renforcer les relations entre les HRBP et les directions business pour démontrer leur valeur.

10 – Chercher de nouveaux talents de manière stratégique

Pourquoi ?

Alors que les talents n’ont jamais été aussi importants, il faut les sourcer à la fois avec pertinence et très rapidement.

Comment ?

Créer des expériences candidat personnalisées pour attirer et séduire les meilleurs talents, définir et mettre en place une marque employeur forte alignée avec la stratégie de l’entreprise, utiliser l’IA de manière éthique pour construire une main d’oeuvre diverse, flexible et adaptable.

Voilà une synthèse très rapide du rapport que vous pouvez télécharger pour avoir quelque chose de plus complet et détaillé.

Maintenant, voilà ce que cela m’inspire.

La fine limite entre étude et contenu marketing

La première chose qu’il faut avoir en tête lorsqu’on lit une étude de ce type est que sa vocation n’est pas (que) de vous informer, mais de promouvoir des produits ou des services. Aucune étude n’est dénuée d’arrière pensée.

Lorsque Bersin (ou autre) publie une étude sous son nom, c’est une action marketing pour faire connaitre sa marque, son offre et vendre ses services. J’espère que tout le monde l’a compris. C’est une pratique marketing normale qui n’a rien de criticable mais il faut en être conscient.

Quand Bersin ou un autre prête sa plume à un éditeur (ici IBM mais ça pourrait être n’importe lequel) ça n’est pas gratuit pour l’éditeur et donc ça doit lui servir au niveau marketing.

Dit autrement, ne vous attendez pas à ce que l’étude mette l’accent sur quelque chose que le dit éditeur ne sache pas faire, un produit qu’il ne propose pas voire sur un domaine où ses concurrents le surpassent.

IBM est présent sur le marché des RH, soit, mais avec la volonté de se différencier sur la dimension IA et Analytics. Inutile dès lors de se demander pourquoi le concept d’entreprise cognitive fait irruption dans le paysage et pourquoi il y a de l’IA à toutes les étapes des recommandations.

Là encore, c’est une pratique tout à fait normale mais il faut en être conscient, c’est tout.

Si Bersin avait écrit pour SAP ou, Oracle il aurait certainement mis l’emphase sur d’autres sujets, ce qui ne veut pas dire que le discours sur l’IA est sans fondement et n’existe que pour faire plaisir à IBM. Simplement, peut-être que les autres ont d’autres choses à mettre en avant : ce genre d’étude ne ment jamais car elle engage la crédibilité de son auteur, elle met simplement l’accent sur des sujets différents en fonction du commanditaire.

Une fois ces précisions apportées, on peut rentrer dans le vif du sujet.

Le manifeste des évidences

À moins que nous ne veniez de vous reconvertir RH après une carrière dans la restauration ou la plomberie, je ne pense pas qu’un seul des axes proposés vous surprenne : on est au royaume des évidences.

Alors je suis d’accord, cela va mieux en le disant et le seul fait qu’il existe encore des « RH 1.0 » est bien la preuve qu’il y a encore du travail à faire pour sensibiliser la profession aux « RH 3.0 ».

Mais en tout honnêteté, j’arrive toujours à trouver dans ce genre de document un point saillant qui me surprend, auquel je n’aurais pas pensé, ou au contraire un point portant à controverse avec lequel je ne suis pas d’accord.

Ici, rien de tout cela. Tout est incontestable et ne prête pas le flan à la critique. Mais justement, c’est même trop convenu et plat. Pour ne prendre que le point sur le recrutement, c’est d’une platitude effroyable et je ne parle pas du nouveau rôle des leaders…

Et puis, parlons du terme même de RH 3.0 qui pour moi sent bon les années 2000 mais relève de l’artifice marketing éculé. Déjà parce qu’on est déjà loin d’avoir atteint le « 2.0 » de manière uniforme. Ensuite parce que si le Web 2.0 a été une réalité, si l’entreprise 2.0 avait un peu de sens, aller plus loin dans cette direction relève du gadget. Au mieux, cela permet juste de réaliser à quel point le monde des RH est en retard sur le « vieux » monde du manufacturing qui en est depuis longtemps à « l’Industry 4.0« .

Des axes essentiels

Pour autant, il y a quelques axes majeurs qui devraient capter toute notre attention. J’en ai identifié quelquesuns sans ordre de priorité.

Commençons, vu qu’on en a déjà parlé, par la dimension data/IA/Analytics. Bien sûr, il vaut mieux prendre des décisions fondées sur des données que sur l’intuition, mais ça n’est pas mon point. Avant d’en arriver là, il y a l’urgence d’insuffler une vraie culture data dans l’univers RH, ce qui est un prérequis indispensable.

Tant qu’on parle de données vient le sujet de la modernisation du portfolio applicatif. Je ne m’attarderai pas sur le passage au cloud qui relève de l’évidence mais d’une infrastructure de données à l’échelle de l’entreprise. Et j’irai même plus loin. Dans un article précédent je parlais de la déconnexion entre la « HRTech » et la « WorkTech », et c’est peut être le moment d’adresser le problème en incluant les données non RH (données métiers) dans le scope des données utilisées par les RH.

Autre enjeu primordial, le passage à une culture agile ! C’est un enjeu majeur dans un monde où la vitesse prime, où les choses changent en permanence et où il faut s’adapter continuellement et, donc, où le bon vieux « cycle en V » est totalement dépassé. Mais on verra que mettre vraiment l’agilité en œuvre dans la co-construction avec les salariés est tout sauf facile.

Je terminerai avec les HR Business Partners qui, s’ils sont une excellente idée au départ, se révèlent le plus souvent être une blague et qu’il convient donc de réformer. Et je ne suis pas certain que leur donner une culture business soit suffisante. Au contraire, comme pour ce qui touche à l’expérience employé, je pense qu’il faut prendre la question dans l’autre sens et confier ce rôle à des gens du business qui ont une sensibilité RH (que l’on peut développer par ailleurs) qu’à des gens des RH à qui on essayerait de donner une sensibilité business.

D’ailleurs, le simple fait que le HRBP existe ne traduit-il pas un problème plus profond au niveau de la culture de la fonction? Une fonction qui se complaît quoi qu’elle en dise dans son rôle de fonction support et rechigne à passer du côte business. Après tout la finance a-t-elle créé un poste de « Finance Business Partner » ?

J’aime bien l’idée également de payer à la valeur du marché, chose que je vois arriver dans certaines entreprises d’ailleurs. Aujourd’hui, à partir du moment où on rentre dans une entreprise, on voit sa valeur dans l’échelle interne se décorreler de sa valeur sur le marché et progresser beaucoup moins vite. Le résultat est qu’à un moment, un salarié va changer d’employeur simplement pour combler ce retard car il est plus simple de négocier une embauche que d’obtenir une augmentation. Et l’air de rien, ça ruine toute la politique de développement des talents que l’on fait progresser pour que les concurrents en profitent.

De doux rêves

Je ne reviendrai pas sur le HR Business Partner qui est, à mon avis, le fruit d’une misconception culturelle à la base.

Je pense ici à la transparence sur les rémunérations. Oui pour l’équité, mais pour ce qui est de la transparence c’est un autre débat. Que les mécanismes de détermination des rémunérations soient transparents est une chose mais qu’on rende tout transparent peut être hautement problématique. il y a des inégalités inévitables liées à des éléments de contexte. Elles sont inévitables mais il n’est pas toujours bon (question de culture de pays ou de culture d’entreprise) d’ouvrir la boite de Pandore. Deux salariés occupant le même poste peuvent par exemple se retrouver à un moment donné avec des rémunérations différentes parce qu’un a été recruté en période de crise et l’autre en période de forte tension sur le marché. Cela s’équilibre dans la durée mais à un moment donné l’écart peut exister.

Et qui dit transparence sur les rémunérations dit logiquement à un moment donné transparence sur les objectifs, et c’est un sujet dont j’ai parlé longuement récemment avec un autre éditeur de solutions SIRH à propos du sujet des OKR. Nous sommes arrivés à la conclusion que le transparence au niveau des objectifs individuels et collectifs ne posait pas trop de problèmes….et encore. Par contre la transparence au niveau de l’atteinte individuelle des objectifs elle est un vrai sujet et la réponse diffère radicalement selon les cultures. A partir de ce moment il n’est pas facile de parler de transparence des rémunérations quand on ne peut l’être sur l’atteinte des objectifs.

Un certain manque d’ambition

Mais il y a des choses que cette étude ne dit pas ou seulement du bout des lèvres, et c’est dommage.

Je vais commencer, encore une fois, par la convergence entre HRTech et WorkTech qui est à mon avis un enjeu majeur des années à venir. C’est à la fois un sujet d’expérience employé (rupture des flux d’information et de travail) et de qualité des données et des décisions RH.

Une fois qu’on a évoqué ce sujet, il y a corrolaire qui suit naturellement : le système d’information managérial. Aujourd’hui on a un SIRH qui sert les RH et demande parfois une forte contribution des managers qui n’en ressortent pas grand chose. On a besoin d’eux pour le faire vivre mais dans leur fonction ils en retirent une valeur relativement faible. La convergence entre HRTech et WorkTech devrait justement servir à fournir de la valeur aux managers en croisant données RH et métier.

Enfin, vient la question d’un vrai « service employé » comme on a un service client, pilier indispensable d’une expérience employé digne de ce nom. Et cela me surprend vraiment.

En effet l’étude nous dit que les « pulse survey » sont un élément des HR 3.0 mais que fait on une fois qu’on a l’information ? Il faut agir et avoir un engagement de service (de type SLA) vis à vis du salarié. C’est d’autant plus étonnant que Bersin nous a bien parlé de « Continuous response » il y a peu. Trou de mémoire ?

Conclusion

Une étude qui a le mérite d’exister et de dire des choses que tout le monde sait mais avec un « tampon » Bersin/IBM qui rend les choses audibles par certains décideurs en quête de réassurance.

Mais une étude qui vaut davantage par ce qu’elle ne dit pas ou ne suggère que du bout des lèvres.

L’expert:

bertrand-duperrinBertrand Duperrin est Head of People and Delivery pour Emakina, agence digitale présente dans 13 pays. Durant toute sa carrière il a officié au croisement entre la technologie, la mise en performance des talents et la performance de l’organisation. Auparavant il a occupé des postes de directeur dans le monde du Conseil en Management ou dans l’édition de logiciel. Il est également passionné par l’industrie du voyage en général et l’aérien en particulier.

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