
DARK s’éteint, révélant les limites du modèle spatial français
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Dark devait symboliser la maturité industrielle du New Space français. Quatre ans après sa création, la startup qui ambitionnait de devenir le “GIGN du spatial” s’éteint, faute d’un ancrage institutionnel et financier durable. Son parcours raconte la fragilité d’un écosystème encore sans doctrine claire, à la croisée du civil, du militaire et du privé.
L’illusion d’une souveraineté spatiale
En 2021, la France se rêvait en puissance orbitale de nouvelle génération. Le programme France 2030 promettait de faire émerger une “constellation de champions” autour du CNES, de la DGA et des industriels historiques. La création du Commandement de l’espace marquait un tournant doctrinal. L’État affirmait vouloir accélérer l’arrivée d’acteurs agiles, capables de répondre à la militarisation croissante de l’orbite.
C’est dans ce contexte qu’est née Dark, fondée par Guillaume Orvain et Clyde Laheyne, deux ingénieurs issus de MBDA. Leur ambition, développer un système complet d’interception et de désintégration des débris spatiaux, baptisé Interceptor. Un projet à la croisée de la robotique, de la défense et de la durabilité orbitale. En 2024, l’entreprise annonçait son installation à Bordeaux-Mérignac pour y construire son centre d’essais.
Un an plus tard, tout s’arrête.
Un écosystème sans colonne vertébrale doctrinale
Le cas Dark illustre un déséquilibre structurel, la France a des ingénieurs, des startups et des capitaux, mais pas encore de doctrine d’emploi du New Space.Le CNES, la DGA et la DGAC poursuivent des logiques complémentaires mais encore peu coordonnées. Malgré des efforts récents,notamment via France 2030, l’AID et le Commandement de l’Espace, la France ne dispose pas encore d’une architecture claire reliant innovation civile, besoins militaires et régulation orbitale. Le résultat est un écosystème fragmenté, réparti entre Toulouse, Paris et Bordeaux, où les startups peinent à s’ancrer durablement dans des programmes structurants.
Cette fragmentation a un coût. Les startups d’accès à l’espace (Exotrail, Latitude), de surveillance orbitale (Look Up Space, Aldoria) ou d’intervention (Dark) partagent un même handicap : l’absence de contrat pluriannuel, d’intégration dans les programmes d’achat public et de soutien industriel pérenne. En pratique, elles dépendent de subventions ou de tours privés, sans débouché institutionnel clair.
Dark le résume dans son communiqué :
“Continuer sans ancrage aurait signifié transformer Dark en un modèle fragile dépendant d’un seul client.”
dark
Ce constat souligne l’absence d’un cadre opérationnel permettant à ces entreprises de devenir des partenaires stratégiques de l’État, et non de simples prestataires ponctuels.
Les modèles étrangers : quand la doctrine précède le marché
Ailleurs, la dynamique est inverse, aux États-Unis, la Defense Innovation Unit (DIU), In-Q-Tel ou AFWERX jouent le rôle de pont entre l’innovation privée et les besoins militaires. Les startups comme Anduril ou True Anomaly bénéficient de contrats pluriannuels et de financements anticipés, bien avant la mise sur le marché. Leurs technologies sont intégrées dans la doctrine d’emploi dès leur conception. Au Royaume-Uni, le National Space Office soutient des programmes à double usage via des partenariats structurés avec le MoD et UKSA. Au Japon, Astroscale illustre le modèle inverse de Dark : née d’une alliance entre capital privé et appui de la JAXA, la startup est devenue une référence mondiale de la maintenance orbitale.
Ces exemples ont un point commun qui est que la doctrine précède le marché. Elle définit un besoin, structure la demande publique et sécurise le financement. En France, cette articulation reste embryonnaire.
Une doctrine industrielle absente
Le problème français ne tient pas uniquement à l’investissement, Bpifrance, Eurazeo, Karista ou Frst financent des startups spatiales, mais le capital reste court-termiste. Il manque un véhicule d’investissement souverain dédié aux technologies spatiales duales, capable d’accompagner des cycles industriels longs. Le modèle français reste dominé par la subvention et la commande ponctuelle et non pas par le capital patient ni par la coproduction public-privé.
À cela s’ajoute un blocage culturel, l’écosystème spatial français demeure institutionnel.Les startups comme Dark dérangent : trop militaires pour les investisseurs civils, trop privées pour l’État. Le résultat, c’est une “zone grise” où les projets ambitieux ne trouvent ni financement récurrent, ni intégration doctrinale, ni débouché à long terme.
Ce que laisse Dark derrière elle
Dark aura tenu quatre ans, avec une équipe d’ingénieurs internationaux et un savoir-faire reconnu.
Ses technologies et sa propriété intellectuelle restent en France, et plusieurs de ses ingénieurs ont rejoint des acteurs industriels de la filière.
Créée en 2021 par Guillaume Orvain et Clyde Laheyne, Dark avait levé 5 millions de dollars dès sa première année auprès d’Eurazeo et Frst, avant d’accueillir en 2024 le fonds américain Long Journey Ventures, dirigé par Arielle Zuckerberg, lors d’une extension de 6 millions d’euros. Ce capital devait financer le développement de sa plateforme Interceptor et son installation à Bordeaux-Mérignac. Malgré un appui du Cnes et plusieurs contrats de R&D, la société n’a pas trouvé le relais industriel ni l’ancrage étatique nécessaires pour passer à l’échelle. Au total, Dark aura levé environ 10,5 millions d’euros avant d’annoncer la cessation ordonnée de ses activités