
CNNum, enterré vivant, exhumé à VivaTech
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Conçu pour donner au numérique une voix institutionnelle, le Conseil national du numérique (CNNum) n’aura jamais échappé à l’ambiguïté de son statut, indépendant dans les textes, fragile dans les faits. Après des années d’errance et plusieurs reconfigurations, l’État acte aujourd’hui sa fin. Jeudi à VivaTech, Clara Chappaz a officialisé sa transformation en CIAN acronyme de Conseil national de l’IA et du numérique. Une mue qui en dit plus sur le passé que sur l’avenir.
« À l’heure où le numérique n’a jamais été aussi politique, nous nous dotons avec le CIAN d’un espace de réflexion libre, indépendante, experte et ouverte », a déclaré la ministre déléguée au numérique.
Un think tank à visibilité variable
Créé en avril 2011 par décret présidentiel sous Nicolas Sarkozy, le Cnnum visait à conseiller le gouvernement sur l’impact du numérique sur la société et l’économie. Il réunissait une trentaine de membres issus du secteur technologique, de la société civile et de la recherche. Dès le départ, le casting impressionne : Xavier Niel, Marc Simoncini, Jacques Antoine Granjon, Gilles Babinet, Jean Baptiste Rudelle… Mais l’institution, sans mandat clair ni moyens, reste très symbolique. A peine 1 an, et déjà un changement de gouvernance avec Patrick Bertrand qui doit recadrer la trajectoire
Elle se structure peu à peu sous la présidence de Benoît Thieulin, qui organise la consultation “Ambition numérique” en 2014-2015. 17 000 contributions, une plateforme de civic tech avec Open Democracy, des ateliers à Lille, Bordeaux ou Nantes, un rapport remis à Manuel Valls (Emmanuel Macron était alors Ministre de l’économie), et pour une fois, le CNNum développe une proposition qui inspire. Le gouvernement annonce sa stratégie numérique dans la foulée.
2017 : l’affaire Diallo, l’indépendance mise à nue
Le basculement survient fin 2017. Marie Ekeland, cofondatrice de Daphni, prend la présidence du Cnnum. Elle nomme Rokhaya Diallo et le rappeur Axiom dans une logique d’ouverture. Tollé immédiat, l’activiste, critique du “racisme d’État”, est jugée trop sulfureuse et Mounir Mahjoubi, ex-président du Cnnum devenu secrétaire d’État, lâche publiquement sa successeure.
En une semaine, Marie Ekeland démissionne, suivie de 27 membres sur 30. Dans sa lettre, elle dénonce une impossibilité de garantir l’indépendance du Conseil. La scène fait la une du New York Times sous le titre “France fails to face up to racism”. Le gouvernement abroge discrètement le décret de 2012 et remet en piste un nouveau CNNum en 2018.
2018 / 2020 : une posture plus critique
Sous la présidence de Salwa Toko, le Cnnum reprend une nouvelle ligne :
- Il s’oppose à la loi Avia sur les contenus haineux, jugée attentatoire aux libertés. Le Conseil constitutionnel en censure une partie.
- Il critique les chartes sociales des plateformes, défend une régulation plus contraignante pour protéger les travailleurs ubérisés.
- Il milite pour l’accessibilité numérique pour les personnes en situation de handicap, et dénonce la complexité des dérogations réglementaires.
En parallèle, il pilote les États généraux des nouvelles régulations numériques. La consultation, organisée entre 2018 et 2019, aborde la concurrence, les droits sociaux, la liberté d’expression, et propose la création d’un Observatoire des plateformes qui regroupe 900 contributions, 800 participants, mais peu de suites concrètes sont données.
2020 / 2023 : le silence des machines
Alors que le débat sur la souveraineté numérique, l’IA, le cloud et la régulation européenne s’intensifie, le Cnnum devient quasi muet. Son budget annuel chute à 48 000 euros, en coulisse, ses membres peinent à faire exister leurs recommandations.
Cafés IA, quand le CNNum redescend sur le terrain
La relance vient en 2023 via les Cafés IA, organisés sous la houlette de Gilles Babinet. L’objectif est devulgariser l’IA sur le terrain. En moins d’un an, le CNNum coordonne plus de 500 événements organisés dans 90 départements, associant de nombreux partenaires allan des mairies à des associations citoyennes, bibliothèques, tiers-lieux ou maisons de quartier, et mobilisant une participation active de chercheurs, enseignants, médiateurs numériques, parfois d’élus ou d’entreprises locales. Chaque événement est conçu pour provoquer un échange citoyen, non une conférence descendante.
Le succès du programme surprend jusqu’au cabinet de la ministre. L’Élysée décide alors de lui fixer une nouvelle cible pour atteindre 2 millions de personnes sensibilisées, en présentiel ou en ligne, et ce d’ici 2026.
Le programme sera maintenu et élargi sous l’égide du CIAN, mais son origine et sa légitimité restent à mettre au crédit de Gilles Babinet.
CIAN, nouvelle structure, mêmes tensions ?
Le Conseil national de l’IA et du numérique (CIAN) reprend donc la main, avec une organisation plus resserrée. Il sera présidé par Anne Bouverot, ex-DG d’Orange Business Services et envoyée spéciale IA. À ses côtés, Guillaume Poupard, ancien patron de l’ANSSI, aujourd’hui chez Docaposte.
« Il ne s’agit pas de recherche fondamentale mais d’accompagner des projets de loi, des décisions politiques… », a-t-il précisé à VivaTech.
Le CIAN sera rattaché au Haut-Commissariat au Plan, avec 14 membres issus de la société civile et des groupes de travail ad hoc. L’ambition est désormais de produire des recommandations, en lien avec Bruxelles, la DINUM, ou l’ANSSI.
Une rupture assumée avec le modèle précédent
Clara Chappaz a esquissé le discours habituel avec les nouvelles priorités du CIAN avec l’adoption de l’IA dans les PME, souveraineté numérique, cybersécurité, désinformation, protection des jeunes publics. Le format technopolitique est nouveau et le CIAN se positionne comme l’organe d’influence technique de l’État, à la frontière entre expertise, régulation et exécution.
Après un CNNum plus décoratif qu’utile, espérons que le CIAN qui bénéficiera d’une interface gouvernementale directe sera plus arrimé au pouvoir.
Le décret est attendu dans les prochaines semaines. Aucun budget n’a encore été annoncé.