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Comprendre l’informatique quantique – applications métiers

Par Olivier Ezratty, expert FrenchWeb

Dans les parties précédentes de cette longue série sur l’informatique quantique, nous avons examiné les grands algorithmes disponibles pour le calcul quantique, la théorie de la complexité puis les outils de développement. Les algorithmes évoqués étaient dans l’ensemble de bas niveau. Il reste à les assembler dans des solutions métiers, marché par marché. Le secteur du calcul quantique est encore des plus immatures. Et pour cause puisque les ordinateurs quantiques sont très limités à ce stade.

Nous en sommes aujourd’hui dans une étape équivalente à celle de l’industrie informatique au milieu des années 1950, une époque où l’industrie du logiciel était plus que balbutiante. C’était aussi les débuts de l’intelligence artificielle avec le fameux Summer Camp de Darmouth de l’été 1956 dont certains des travaux, notamment sur la vision artificielle, n’ont pu aboutir que plus de 30 ans après, avec l’invention des réseaux convolutionnels de Yann LeCun, et depuis moins d’une demi-douzaine d’années, grâce aux progrès des GPU et autres processeurs spécialisés.

Scénario d’évolution du marché

Bien malin serait celui qui prédirait à quelle vitesse les applications quantiques émergeront marché par marché. Suivra-t-elle une exponentielle de croissance du marché fulgurante digne de celles de la microinformatique et des smartphones ?

Je vais tenter l’exercice en reliant cette vitesse à quelques grandes évolutions à venir :

L’apparition de calculateurs quantiques universels de plus d’une centaine de qubits logiques, ce qui pourrait arriver d’ici une dizaine d’années. En parallèle vont continuer à se développer les solutions d’optimisation adaptées aux ordinateurs à recuit quantique de D-Wave.
La consolidation du marché des outils de modélisation et de développement de solutions quantiques. Les outils sont déjà bien nombreux comme nous avons pu le voir dans la partie précédente. Ils vont continuer de gagner en maturation, notamment en élevant leur niveau d’abstraction, et s’adapter aux évolutions du matériel. Des bibliothèques adaptées aux besoins de marchés spécifiques feront sans doutes leur apparition comme dans la simulation moléculaire ou la finance.
La formation de développeurs de solutions d’un nouveau genre capables de gérer des abstractions qui n’ont rien à voir avec les différentes formes de programmation procédurale qui dominent l’informatique actuelle, même dans ses variantes de programmation événementielle qui sont courantes dans la création de sites web et applications graphiques. Une nouvelle génération de concepteurs d’algorithmes et de développeurs verra le jour. Ce seront probablement des professionnels jeunes qui auront pu digérer les nouveaux concepts du quantique avec un esprit neuf.
Les premiers retours d’expériences de projets pilotes, déjà engagés, notamment sur D-Wave. On continuera à se poser d’épineuses questions sur la comparaison objective entre algorithmes quantiques, architectures matérielles quantiques et leurs équivalents tournant (ou pas) sur supercalculateurs. Il faudra aussi faire le tri en “proof of concepts” et projets réellement déployés. Dans de nombreux marchés, l’ordinateur quantique sera d’abord un instrument de travail pour les chercheurs.
L’émergence d’un tissu de startups qui dynamisera le marché, probablement légèrement en avance de phase par rapport aux éditeurs de logiciels traditionnels et aux entreprises de services numériques qui ne s’aventureront pas forcément en premier dans ce nouveau monde du quantique. Elles sont peu nombreuses à ce stade comme nous le verrons dans une partie à venir. Les places restent à prendre.
L’apparition de solutions à base d’ordinateurs quantiques qui auront un impact sur notre vie de tous les jours. Donc, des applications grand public. Nous devrions en effet voir les usages du quantique évoluer progressivement des milieux de la recherche, à ceux des entreprises, puis des applications grand public. La première application grand public que l’on peut avoir en tête est celle de l’optimisation des transports. Mais d’autres applications restent à inventer.
Comme avant chaque grande révolution technologique, les prévisions sont difficiles à faire. Aucune de celles qui précédaient l’arrivée des micro-ordinateurs, d’Internet, du web 2.0 ou de la mobilité ont vu juste, notamment sur la hiérarchie d’importance de l’adoption des solutions à la fois dans les marchés grand public et professionnels.

Les prévisions du BCG illustrent cette forte incertitude. Dans The coming quantum leap in computing, mai 2018 (19 pages), les prévisions de croissance du business autour du quantique sont présentées avec plusieurs scénarios : l’un, optimiste, qui fait démarrer la croissance vers 2030 et l’autre, très conservateur, qui le fait décoller seulement après 2040. Ils n’intègrent visiblement pas le scénario de l’émergence du NISQ, ou “Noisy Intermediate-Scale Quantum”, décrit par John Preskill dans Quantum Computing in the NISQ era and beyond début 2018. Il recouvre les calculateurs quantiques à venir dans un futur proche, ayant un nombre intermédiaire de qubits avec un bruit quantique acceptable pour démarrer des applications scientifiques.

Voici cependant ce que nous pouvons nous mettre sous la dent avec un inventaire à date des applications de l’informatique quantique classifiées par secteurs d’activités. Cela couvre à la fois quelques études de cas d’usage du quantique, souvent réalisées avec les seuls ordinateurs quantiques commerciaux, ceux de D-Wave, et sinon, des applications prospectives mais qui attendent encore les ordinateurs quantiques universels de taille critique qui pourront les exécuter.

A noter que d’une manière générale, il n’y a pas de corrélation directe entre les applications de l’IA et celles du quantique. Le critère principal de l’intérêt du quantique est la complexité du problème plus que le volume de données à gérer. Le “big data” est loin d’être le cœur d’applications du quantique.

Santé

La principale application de l’informatique quantique en santé est la découverte de thérapies via la simulation moléculaire de leur fonctionnement et de celle de leurs cibles, tout en évitant d’éventuelles contre-indications, le tout “in silico”. La simulation peut porter sur l’articulation de molécules organiques simples comme le cholestérol ou le repliement des protéines qui est de plusieurs ordres de grandeur plus complexe. Cette dernière prouesse relève donc du très long terme. Elle est aussi à la limite du faisable en termes de complexité car elle est dans la classe des problèmes NP-Complet comme vu dans la partie dédiée aux théories de la complexité.

Les premières expérimentations de simulation moléculaire ont été à ce jour réalisées sur les D-Wave à recuit quantique. Ces ordinateurs sont particulièrement adaptés à la recherche de minimums énergétiques, ce qui convient à la simulation de l’organisation de molécules.

Une collaboration a été lancée en juin 2017 entre Biogen, la société de logiciels quantiques canadienne 1QBit et Accenture pour la création de nouvelles molécules. Biogen (1978, USA) est une entreprise de biotechs de taille intermédiaire avec ses 7300 collaborateurs spécialisée dans le traitement de maladies neurodégénératives et de leucémies. Leur usage du quantique visait le reciblage de molécules thérapeutiques. Il s’agit de trouver des correspondances entre des traitements existants et des cibles thérapeutiques, ici, dans les maladies neurodégénératives ou inflammatoires. Cela reste un usage expérimental du quantique mais cela ouvre la voie. L’Américain Amgen est aussi actif dans la recherche de nouvelles thérapies mais sans grandes précisions publiques à ce stade.

Toujours avec D-Wave, une application d’optimisation de radiothérapie est mise en avant (ci-dessous). Le principe algorithmique consiste à minimiser l’exposition des patients aux rayons X tout en optimisant leur efficacité. C’est un problème complexe de simulation de diffusion d’ondes électromagnétiques dans le corps humain.

Omnicom Healthcare n’hésitait pas de son côté à promouvoir l’usage du quantique dans la santé avec son livre blanc Exponential Biometrics: How Quantum Computing Will Revolutionize Health Tracking, 2017 (7 pages) qui ne contient strictement aucune information pertinente sur le sujet, ce d’autant plus qu’ils ont l’air de confondre les applications du machine learning analysant les données issues d’objets connectés avec la capacité des ordinateurs quantiques à gérer des problèmes intractables par les ordinateurs traditionnels.

Energie et chimie

Lorsque l’on s’éloigne des molécules organiques et du vivant, tout devient soudainement presque réaliste ! En effet, les premières applications de simulation moléculaires envisagées et plausibles concernent les matériaux innovants. Le secteur de l’énergie et de la chimie est intéressé par la résolution de problèmes complexes d’analyse et d’optimisation et par la simulation in silico de molécules, et pour créer de nouveaux matériaux. Les premières études de cas sont généralement réalisées avec les générations récentes d’ordinateurs à recuit quantique de D-Wave. Ceux-ci sont bien indiqués pour des simulations d’interactions atomiques dans des matériaux.

Les premiers ordinateurs quantiques universels commerciaux qui dépasseront 50 qubits et font partie des NISQ de John Preskill sont tout aussi adaptés aux simulations moléculaires à un premier niveau. Cela restera évidemment des outils destinés aux chercheurs. La simulation d’un matériau n’est en rien une garantie de la découverte d’un matériau utile. C’est un outil de travail de plus pour les chercheurs.

Les simulations peuvent toucher les flux d’air, d’eau et de tous liquides et notamment leurs turbulences. Elles peuvent notamment exploiter les équations de Navier-Stokes. Cf Quantum Navier–Stokes equations (12 pages).

Les recherches vont bon train pour créer des batteries plus efficaces côté densité énergétique et vitesse de charge. Cf The Promise and Challenges of Quantum Computing for Energy Storage (4 pages). C’est d’ailleurs l’un des axes de recherche de Volkswagen qui prévoit de faire cela à terme avec le futur ordinateur quantique universel de Google comme documenté dans cette annonce de novembre 2017.

La capture du carbone est un autre enjeu et des chercheurs simulent son fonctionnement moléculaire par biomimétisme. C’est un domaine d’application mis en avant par les chercheurs de Microsoft.

Chez le chimiste allemand BASF, l’idée est de simuler des polymères de synthèse, d’abord sur des supercalculateurs HP, puis à terme sur ordinateurs quantiques. Dow Chemicals collabore depuis 2017 avec l’éditeur de logiciels canadien 1Qbit pour créer de nouvelles molécules, en s’appuyant sur les D-Wave. De son côté, IBM simulait en septembre 2017 sur ordinateur quantique supraconducteur à 16 qubits le fonctionnement de molécules d’hydrure de bérylium et leur équilibre énergétique minimum, ce qui ne sert à rien en soi, mais est un bon début. Cf Hardware-efficient variational quantum eigensolver for small molecules and quantum magnets, octobre 2017 (22 pages).

La Dubai Electricity and Water Authority planche de son côté avec Microsoft pour résoudre des problèmes complexes de distribution d’énergie et d’eau (source). A ceci près qu’à ce stade, il ne s’agit que de tester quelques algorithmes sur des simulateurs Intel tournant sur Azure. Et pour cause, Microsoft ne dispose pas encore d’ordinateur quantique !

Enfin, chez BP, on travaille à la conception d’algorithmes d’optimisation de la prospection pétrolière. Il s’agit d’exploiter les données de différents capteurs, notamment sismiques, pour consolider des modèles de simulation de ce que le sol recèle.

Transports

Au-delà des questions énergétiques évoquées ci-dessus, le marché des transports est surtout intéressé par les algorithmes d’optimisation de systèmes complexes. Cf cet inventaire de besoins, mais pas de solutions dans : Quantum Applications Transportation and Manufacturing de Yianni Gamvros, IBM, 2017 (20 slides).

En ligne de mire, l’optimisation de la planification de flottes d’avions pour le transport aérien, pour maximiser la capacité à répondre à la demande tout en optimisant le taux de remplissage des avions. Ce sont des besoins qui peuvent être d’ailleurs traités à la fois par des algorithmes de machine learning pour tenir compte du passé ou avec des algorithmes d’optimisation quantiques qui s’appuient sur une description des paramètres du problème. Les premiers font de la prédiction et les seconds de la simulation. La simulation permet d’éviter le biais du rétroviseur qui peut être induit par les méthodes de prédiction s’appuyant sur les données du passé. Une combinaison des deux méthodes est par ailleurs possible.

Le déploiement de flottes de véhicules autonomes est aussi une belle application cible des ordinateurs quantiques. Plus les véhicules seront autonomes, plus il faudra en automatiser et coordonner les parcours. Les problèmes à résoudre consisteront à déterminer pas à pas les trajets de flottes de véhicules pour optimiser le temps de parcours de chacun de ces véhicules. C’est l’objet d’une expérimentation réalisée en 2017 par Volskwagen sur D-Wave qui visait à optimiser les parcours d’une flotte de taxis à Beijing, documentée dans Quantum Computing at Volkswagen Traffic Flow Optimization using the D-Wave Quantum Annealer 2017 (23 slides). L’expérience utilise le jeu de données T-Drive publié par Microsoft datant de 2008 décrivant le parcours de 10 357 taxis. L’algorithme utilisé était le QUBO (Quadratic Unconstraint Binary Optimisation) qui est un mécanisme de recherche de niveau minimum d’énergie d’un système complexe. Le schéma ci-dessous présente le résultat de l’optimisation du parcours de 418 taxis faisant le trajet centre-ville-aéroport compte-tenu de celui des 10 357 véhicules. Les résultats sont publiés dans Traffic flow optimization using a quantum annealer, août 2017 (12 pages).

On manque de recul pour estimer le dimensionnement des ordinateurs quantiques nécessaires pour gérer pratiquement ce genre de problèmes à grande échelle. De quelle capacité en qubits faudrait-il disposer pour optimiser un parc de centaines voir de millions de véhicules autonomes ? Chaque chose en son temps… ! Ce genre de problème sera, si cela se trouve, trop lourd à gérer, même pour les ordinateurs quantiques les plus sophistiqués.

Finance

La finance est un autre beau terrain de jeu pour expérimenter des algorithmes quantiques. A la fois parce que les entreprises du secteur sont assez friandes d’outils de prévision et d’optimisation et aussi parce que c’est un marché plutôt bien solvable. Ce n’est pas par hasard que ma première intervention de conférencier sur l’informatique quantique dans une entreprise ait eu lieu le 5 juillet 2018 à la Société Générale !

Les banques ont un besoin pressant de se transformer pour s’adapter aux changements technologiques et sociétaux constants. Elles manipulent des tombereaux de données qui ont de la valeur. Elles ont à optimiser de nombreuses facettes de leurs activités, à commencer par celle de portefeuilles d’investissements. Elles veulent aussi détecter au plus près les risques de fraudes.

L’optimisation d’actifs est la principale application imaginée pour l’informatique quantique. C’est de l’optimisation sous contraintes. Et là, sous un grand nombre de contraintes. Les actifs sont interdépendants. Les coûts de transactions sont variables selon les types d’actifs. Leur évolution répond à des niveaux d’incertitude et de risques variables.

Il existe d’ailleurs un lien de parenté mathématique entre certaines équations de la finance et la physique quantique. C’est le cas de l’équation différentielle de Black-Scholes qui permet de prédire le prix de produits dérivés financiers qui sont indexés sur des cours tiers. Elle peut être en effet considérée comme une variante de la fonction d’onde de Schrödinger ! Ces équations sont décrites dans l’ouvrage “Quantum Finance” de Belal Baaquie qui date de 2007 ! Il en existe maintenant une très grande variété qui sont exploitables sur ordinateurs quantiques.

Un modèle d’optimisation quantique s’appuyant sur un D-Wave a été publié en 2015 dans Solving the Optimal Trading Trajectory Problem Using a Quantum Annealer (13 pages). Il s’agissait ici d’optimiser les placements d’un montant donné dans un nombre d’actifs et sur une période donnée. L’algorithme principal utilisé était le QUBO, comme pour l’application d’optimisation de transport vue précédemment.

En s’appuyant sur la modélisation de graphes, aussi adaptée aux D-Wave, une autre étude de cas permettait de modéliser l’instabilité des marchés. Cf les slides dans cette présentation de D–Wave.

Voir également cette présentation de D-Wave : Applications of Quantum Annealing in Computational Finance 2016 (29 slides) ainsi que le site QuantumForQuants créé par leurs soins. Mais le recuit quantique n’est pas la seule technique utilisable. Avant même qu’ils soient un tant soi peu opérationnels, les ordinateurs quantiques à architecture topologique que Microsoft essaye de mettre au point pourraient aussi servir à faire des prévisions de valeurs d’actions, comme documenté dans Decoding Stock Market Behavior with the Topological Quantum Computer 2014 (24 pages).

Atos a aussi publié un libre blanc sur les applications du quantique dans la finance : Quantum finance opportunities: security and computation, 2016 (20 pages).

Marketing

Le marketing est aussi un domaine où les algorithmes d’optimisation de systèmes complexes réalisés à base d’ordinateurs quantiques pourraient être intéressants. Cela concerne l’optimisation du mix marketing, celui de plans médias, ou la maximisation de revenus publicitaires, divers domaines qui sont également investis par le champ de l’IA comme vu dans Les usages de l’intelligence artificielle en octobre 2017.

S’opposent ainsi encore une fois des logiques prédictives basées sur l’exploitation de données passées (modèle connexionnistes) et des logiques de simulation basées sur la connaissance de règles de fonctionnement du marché. Ces règles ne relèvent cependant pas de la notion de systèmes experts de l’IA, qui gèrent des prédicats logiques (machin entraine bidule), mais des modèles de causalité plus complexes.

Voir par exemple Display Advertising optimisation by quantum annealing processor de Shinichi Takayanagi Kotaro Tanahashi et Shu Tanaka de la Waseda University.

Défense et aérospatial

Le complexe militaro-industriel a toujours été un grand consommateur d’informatique de pointe. Il n’est donc pas étonnant qu’il s’intéresse au quantique. C’est évidemment le cas aux USA mais aussi en Europe, avec Airbus qui est l’un des premiers industriels à s’intéresser aux applications du quantique.

Voici quelques études de cas publiées d’utilisation du quantique dans ce vaste secteur.

Cela commence avec Lockheed Martin qui s’est associée avec Google et la NASA pour tester des ordinateurs de D-Wave. Ils ont développé une solution de preuve formelle de fonctionnement de logiciels. La NASA a cofondé le laboratoire QuAIL (Quantum Artificial Intelligence Laboratory) avec Google, exploitant un D-Wave Two. Ils testent des algorithmes quantiques d’optimisation dans différentes directions. Pour optimiser le remplissage de vaisseaux spatiaux, une variante de l’algorithme du remplissage du coffre de votre voiture lorsque vous partez en vacances, sur les versions quantiques d’algorithmes de machine learning et deep learning, sur la décomposition de problèmes et l’informatique embarquée. C’est bien décrit dans Quantum Computing at NASA: Current Status de Rupak Biswas, septembre 2017 (21 slides) d’où provient le schéma ci-dessous

En 2015, Raytheon et IBM démontraient l’efficacité d’un algorithme quantique utilisant une “boite noire” ou “oracle” pour reconstruire une chaine de bits inconnue, le tout fonctionnant sur un ordinateur quantique universel d’IBM de 5 qubits. C’est documenté dans dans Demonstration of quantum advantage in machine learning (12 pages). On est cependant loin d’un cas d’usage.

Le groupe Airbus a de son côté créé une équipe basée sur leur site de Newport au Pays de Galle, qui s’attaque aux usages du quantique, notamment dans l’analyse d’imagerie aérienne (pas évident… ) ou pour la conception de nouveaux matériaux (plus évident). Ils veulent aussi optimiser l’écoulement d’air sur les ailes, un problème qui relève aujourd’hui de la simulation par éléments finis. Ils pourraient essayer d’optimiser les souffleries d’air climatisé dans les avions, la plus grosse source de bruit d’habitacle, devant les moteurs de l’avion !

Renseignement

Le monde du renseignement et des écoutes ciblées est évidemment à l’affut du quantique. L’algorithme de Shor est la principale application visée par les organisations gérant les écoutes électroniques comme la NSA et tous ses confrères. Ce sont des pompiers pyromanes qui sont à la fois impatients de pouvoir décoder les informations interceptées auprès de cibles diverses (dépêches d’ambassades, informations techniques dans l’industrie, etc) et de protéger les communications sensibles de leurs propres Etats contre ce type de décryptage. Ils investissent donc simultanément dans l’informatique quantique (la dimension “pyromane”) et dans les clés quantiques et cryptographies post-quantiques (la dimension “pompier”).

Par contre, ces investissements ne sont pas très publics. La NSA a bien communiqué depuis presque une dizaine d’années sur la dimension pompier mais très peu sur la dimension pyromane. Ils ont sûrement fait l’acquisition des diverses générations d’ordinateurs D-Wave pour se faire la main dessus, en liaison avec Lockheed Martin qui est l’un de leurs grands fournisseurs.

D’autres service de renseignement occidentaux ont peut-être aussi fait l’acquisition de D-Wave, notamment les britanniques du CGHQ. La NSA est aussi en relation avec IBM et Google pour explorer la voie des ordinateurs quantiques universels supraconducteurs.

On peut lever un bout de voile de ces activités en détectant les subventions de laboratoires et de startups attribuées par l’IARPA, cette agence d’innovation du renseignement qui est pilotée par le DNI (Director of National Intelligence) qui coiffe l’ensemble du renseignement américain.

Innovation expérimentale

Comme pour nombre d’applications de l’intelligence artificielle à leurs débuts, l’adoption de l’informatique quantique par les entreprises passera par l’évaluation des techniques, des outils et par l’expérimentation. Les grandes entreprises des marchés cités dans cette partie peuvent lancer quelques expérimentations.

Le démarrage ne sera pas évident car peu d’entreprises de services ou même d’éditeurs de logiciels et de startups maitrisent le développement d’applications quantiques. Tout du moins en France. Dans un premier temps, les grandes entreprises françaises peuvent se tourner vers Atos, la seule entreprise du numérique en France à avoir des ressources et compétences dans l’informatique quantique. Elles peuvent aussi se tourner vers IBM qui commence à investir localement en compétences.

Un gros travail d’acculturation général à l’informatique est à mener. C’est une tâche intellectuelle assez ardue. C’est un peu l’objet de de cette série d’articles que de vous mettre le pied à l’étrier en vous indiquant diverses pistes à explorer selon vos centres d’intérêt. Il faut en passer par là pour faire des choix éclairés sur le sujet.

Comme je vais le détailler dans les parties suivantes, la situation de l’offre d’ordinateurs quantiques est difficile à décoder. Nous avons d’une part l’offre commerciale opérationnelle du Canadien D-Wave qui est très décriée et qui est par contre opérationnelle, et de l’autre, des roadmaps d’ordinateurs quantiques universels comme chez IBM et Google, mais qui nécessitent encore de patienter au minimum quelques années avant de pouvoir les exploiter opérationnellement. J’en conclue que, malgré la polémique qui entoure D-Wave, il faut s’y intéresser et examiner ce que l’on peut faire avec. On n’est pas obligé de s’acheter un ordinateur quantique D-Wave à $15M pour commencer ! On peut les utiliser en cloud comme pour AWS ou un équivalent. Le coût technique de l’expérimentation est donc modeste. C’est surtout un coût en temps et intellectuel.

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Après ce long tour en plusieurs parties dans les algorithmes et logiciels, dans la partie suivante, nous allons revenir au matériel puisque nous allons faire l’inventaire des différents acteurs créant des ordinateurs quantiques. La part belle sera donnée aux grands acteurs que sont D-Wave, IBM, Google, Rigetti, Intel, IonQ et Microsoft. Mais nous évoquerons les travaux de quelques laboratoires de recherche et en particulier de ceux du CEA en France.

L’expert:

Olivier-Ezratty

Olivier Ezratty est consultant en nouvelles technologies et auteur d’Opinions Libres, un blog sur les médias numériques (TV numérique, cinéma numérique, photo numérique), et sur l’entrepreneuriat (innovation, marketing, politiques publiques…). Olivier est expert pour FrenchWeb.

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