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Dr Jekyll et Mr Hyde: les deux visages de l’économie collaborative

Ne vous méprenez pas: comme la plupart des personnes qui liront cet article, je suis un client régulier des services d’Uber et de Deliveroo.

Mes propos concernent avant tout les investisseurs et les professionnels de l’écosystème entrepreneurial qui s’intéressent à l’économie collaborative. 

En vue du grand nombre de start-up de ce secteur, il était temps de souligner les deux tendances que nous avons perçues tout au long de l’année 2016: les start-up qui utilisent et rentabilisent des éléments non-exploitées auparavant d’une part, et celles qui transforment radicalement la structure de travail de l’autre. Ces deux tendances correspondent chacune à une facette de l’économie collaborative: la première, à Dr Jekyll; la seconde, à Mr Hyde.

L’exploration de valeurs inexploitées: le côté positif de l’économie collaborative

Commençons par évoquer ce qui a servi de fondation à l’économie collaborative au début des années 2000: la découverte des pans de l’économie jusqu’alors inexploités. 

Deux exemples: AirBnB et Blablacar. Les fondements de ces entreprises sont identiques: créer pour la première fois de la valeur dans des interactions entre acteurs primaires de l’économie -les particuliers– tout en monétisant des échanges qui ne l’étaient pas auparavant. Les modèles varient mais se ressemblent. Il s’agit de louer sa voiture à des voisins lorsqu’on ne la conduit pas, ou encore de louer les deux sièges arrière de cette même voiture à des membres de la communauté Blablacar qui vous accompagneront sur votre trajet Paris-Lyon. Moins connu mais plus exotique, l’utilisation de la vapeur produite par votre douche pour chauffer l’appartement de vos voisins et réduire vos factures d’énergie respectives. 

Ces exemples ne créent ni ne détruisent des emplois, ils permettent une utilisation rationnelle, et partagée de ressources existantes. 

Du coté de Dr Jekyll, le nombre de licornes est faible. Cela s’explique par plusieurs facteurs: 

  • trouver le juste milieu pour que la proposition de valeur soit équilibrée et équitable pour toutes les parties prenantes relève d’un véritable jeu d’équilibriste; 
  • les acteurs de ces micro-économies collaborative sont généralement motivés par le caractère et l’impact social du projet plutôt que par la génération de revenues, ce qui signifie le maintien de prix relativement faibles pour les usagers, et donc des marges basses pour les opérateurs;
  • les coûts d’acquisition d’usagers font que les dépenses sont généralement plus élevées que les gains;
  • La transformation de la structure de travail: le prix de la «perfection» technologique.

 

Contrairement aux premiers acteurs de la première tendance, les start-up de la seconde suivent le principe du «Client Roi». L’exemple le plus célèbre est Uber. Qu’attendez-vous du taxi parfait? Des chauffeurs sympathiques, les prix les plus bas possibles, et le temps d’attente le plus court entre la commande et l’arrivée du taxi. Sur tous ces points, Uber est le service presque parfait. Autre exemple: Deliveroo, qui est l’exemple presque parfait d’un service de livraison à domicile.

Ce qui ressort de ces deux exemples est ce qui pourrait s’apparenter à la formule magique du succès: 

Technologie poussée permettant une acquisition rapide de parts de marché 

+

Simplicité du service pour les usagers

+

Nouvelle structure salariale (basée en général sur une approche freelance) 

 

Mais ces entreprises contribuent-elles vraiment à «partager»? Regardons de plus prêt la notion de «partage»:

  • Premièrement, il ne s’agit pas de particuliers qui interagissent entre eux via une plateforme. La relation entre les parties est bien celle entre un client, un provider et un opérateur tierce. Ne nous leurrons pas: Uber, Deliveroo et les start-up qui leurs sont similaires sont des infrastructures professionnelles. Les conducteurs Uber se syndiquent pour acheter une voiture ensemble et la font rouler 24/7. Aujourd’hui, une partie de plus en plus grande des appartements loués sur AirBnB sont gérés par des professionnels du secteur de la location, et non plus par des particuliers.
  • Deuxièmement, les start-up côté Mr Hyde n’ont pas besoin de trouver un équilibre entre l’offre et la demande puisque l’offre est un opérateur payé, et la demande, un client payant. Uber représentant une quantité de clients potentiels, les chauffeurs n’ont d’autres choix que d’accepter les conditions de l’entreprise pour y accéder.

 

Attention, il ne s’agit pas de jeter la pierre sur Uber et Deliveroo. Même si le fondement de ces start-up n’a rien de nouveau, elles ont permis d’énormément faciliter la vie du consommateur. Les systèmes traditionnels de transport et d’hôtellerie, trop chers et compliqués, sont tombés en désuétude face à des opérateurs plus efficaces. Toutefois, il faut appeler un chat un chat: toute start-up opérant dans le secteur de l’économie collaborative ne collabore au final pas forcément, et ne «partage» pas au sens traditionnel et social du terme.

Pourquoi y a-t-il plus de cas de succès côté Mr Hyde?

  • le champ de monétisation est plus large, et donc attire plus d’investissements;
  • les marchés étaient matures, avec des structures déjà existantes. Il est plus facile d’attaquer un marché de l’hôtellerie existant plutôt que de créer un nouveau marché où il faut éduquer le consommateur.  

 

En tant que consommateur, nous voulons tous un service parfait: de qualité à petit prix…mais malgré leurs succès indéniables, certaines start-up connaissent de nouveaux challenges, et il ne s’agit pas de problématiques technologiques qui peuvent être résolues aisément.  

Prenons le cas du partage des coûts et des revenues. Les entreprises de l’économie collaborative ont certes contribué à créer de nouveaux emplois –ce qui initialement serait perçu comme positif– mais les législations relatives à l’emploi, les taxes et autres régulations administratives démontrent les limites du modèle salarial de la nouvelle économie. Si une entreprise comme Uber gagne 3 euros par course avec un coût d’acquisition égal à 2.8 euros, une taxe d’entreprise d’un euro prélevée par les Impôts, l’entreprise pourrait à terme ne plus être profitable.

Ces points ne sont que des exemples de problématiques de la nouvelle économie. Le plus récent témoignage de la perfectibilité de cette tendance de l’économie collaborative: les manifestations la semaine dernière à Paris de chauffeurs Uber…contre des chauffeurs Uber!

Oui, tous ces services sont géniaux et presque parfaits. Mais personne ne pourrait déclarer avec conviction que ces modèles – qui ont par ailleurs démontrés leur viabilité économique d’un point de vue de l’entreprise – sont viables sur la durée, ni qu’ils relèvent «du partage»! 

Antoine-Baschiera

 

Antoine Baschiera est CEO de Early Metrics.

 

 

 

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5 commentaires

  1. J’aimerai revenir sur plusieurs points que vous soulevez :

    « Ces exemples ne créent ni ne détruisent des emplois, ils permettent une utilisation rationnelle, et partagée de ressources existantes. »
    > Si cela ne créé pas d’emploi d’un point de vue statistique, ça en détruit quand même dans les faits. L’utilisation partagée et rationnelle des ressources l’est par ailleurs au détriment du coût (prix abusivement vers le bas) et de la qualité du service.

    « En tant que consommateur, nous voulons tous un service parfait: de qualité à petit prix »
    > Pas nécessairement. On sait que quelque chose de « parfait » demande du travail, du temps, de la main d’œuvre. Beaucoup – moi le premier – ne veulent tout simplement pas sous-payer un service ou un produit, mais le payer pour ce qu’il vaut. Il y a une dimension éthique à fonctionner de cette façon, car on respecte ainsi le travail de l’autre en le rémunérant à sa juste valeur. Et pas besoin de rouler sur l’or pour ça, c’est une question de priorités.

    « Tous ces services sont géniaux et presque parfaits »
    > Uniquement si on ne se soucie que de ce qu’ils apportent directement à l’utilisateur et qu’on est pas trop exigeant. Parler de perfection, c’est aller un peu vite, vous ne trouvez-pas ?

    La réalité, c’est que l’économie collaborative nivelle par le bas les prestations accessibles aux grand public. Je prends l’exemple du crowdsourcing : on trouve désormais de moins en moins de designers graphiques à accepter de s’occuper des entreprises à petits budgets, car ces dernières ont pris l’habitude de croire que le designer est un presse bouton qu’on paye au lance-pierre. Au final, de plus en plus s’orientent vers une clientèle qui a des moyens, en créant une concurrence entre eux d’autant plus rude.

  2. Bonjour,

    sur la formule « … ces modèles – qui ont par ailleurs démontrés leur viabilité économique d’un point de vue de l’entreprise … » c’est à démontrer pour votre champion Uber qui ne sait générer que des dettes à ce jour. Probablement une bonne chose si la valeur produite était redistribuée à ceux qui travaillent mais cela ne semble pas être le cas vu les grèves actuelles.

  3. On ne peut pas tout mettre sous la bannière de l’économie collaborative (ou de partage). Uber c’est clairement du on-demand où effectivement le client est roi, avec tel un empereur romain un droit de vie ou de mort sur son chauffeur par son rating. Concernant la répartition de la valeur, il est instructif de regarder le taux de prélèvement des plateformes. Au-dessus de 15% on ne peut plus vraiment parler de redistribution équilibrée entre les parties-prenantes. A 20-30%, c’est le profit qui pilote l’entreprise et la mission est alors secondaire.
    Je recommande la lecture de l’étude PLATFORM COOPERATIVISM de Rosalux. On y trouve notamment la phrase de Micky Metts « When building platforms, you cannot build freedom on someone else’s slavery.” http://www.rosalux-nyc.org/platform-cooperativism-2/

  4. Uber, comme bcp de grandes organisations, se contrefout (le mot est faible) des externalités. Pourtant, réintégrer dans la boucle de valeur(s) l’ensemble des stakeholders (collaborateurs, clients, fournisseurs, actionnaires, etc.) fait sens. Cela permet entre autres un projet d’entreprise durable (dans tous les sens du mot), des collaborateurs motivés et créatifs, une meilleure qualité du service du produit, des coûts serrés (si !). Et n’oublions pas l’image de la marque …
    J’accompagne une startup dans la mobilité urbaine, que nous bâtissons come « inclusive ».

  5. Je ne sais pas si la comparaison Jekyll et Hide est la meilleure, mais l’idée de bien distinguer les aspects économique « produits « de l’économie participative et collaborative, comme l’utilisation de biens sous utilisés, d’avec l’évolution du marché du travail me parait saine même si les deux sont liés, cela clarifie. Cette économie réduit considérablement les couts de transaction, donc d’accès à des produits ou services, donc elle augmente les quantités disponibles (et donc fait potentiellement chuter les prix) mais dans le même temps elle permet à plus de transactions de s’effectuer (donc permet à la demande d’augmenter et peut être aux prix de remonter, surtout quand la qualté sera là, or comme elle apporte aussi l’évaluation des biens et services elle éliminera les mauvais). Le travail n’est pas une denrée comme une autre et elle joue un role dans ces intermédiations nouvelles, plutôt indirectement d’ailleurs. Mais elle est aussi en surcapacité aujourd’hui (donc son prix baisse) et en outre elle a du mal à trouver les transactions pour s’utiliser mais il est probable que plus pourront trouver du travail grace à cette économie (et idem plus haut à travers l’évaluation un certain tri se fera). Cette économie n’est pas seulement Jekyll et Hide, elle est aussi la remise en cause de nos « marchés » d’hier et nous force à réinventer les « marchés » de demain, au sens où toute transaction passe par un marché.
    Nous regarderons ces aspects à l’institut Boostzone lors de notre laboratoire du 12 janvier. voir http://www.boostzone.fr/evenement/economie-collaborative/

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