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[DECODE] «Gilets jaunes» : comment Brut tire son épingle du jeu par rapport aux autres médias

Depuis trois semaines, la crise des «gilets jaunes» agite la France. Né sous l’impulsion d’une poignée de citoyens excédés par la hausse des prix du carburant et la baisse du pouvoir d’achat dans l’Hexagone, ce mouvement de protestation a rapidement rencontré une vive adhésion à travers le pays. Révélant la colère de millions de Français à l’encontre de la politique économique menée par les différents gouvernements au cours des derniers quinquennats, le mouvement des «gilets jaunes» a cassé les codes établis des protestations populaires, bousculant ainsi les repères des personnalités politiques et des médias.

Chaînes d’information en continu, réseaux sociaux… La crise des «gilets jaunes» s’est invitée sur tous les supports, avec des traitements bien différents. Parmi les médias qui couvrent les actions des «gilets jaunes» depuis le samedi 17 novembre, premier jour de leur mobilisation nationale, Brut, média 100% vidéo uniquement présent sur les réseaux sociaux, est sur le pied de guerre pour décrypter sous toutes ses coutures ce mouvement citoyen d’un nouveau genre.

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Contextualiser pour éviter de polariser le débat

Créé en novembre 2016 par Renaud Le Van Kim (ancien producteur du Grand Journal), Guillaume Lacroix (co-fondateur du Studio Bagel), Roger Coste (ex-patron de la régie de Canal+) et Laurent Lucas (ex-rédacteur en chef adjoint du Petit Journal), Brut a vu le jour avec l’ambition de proposer un traitement de l’information différent des médias classiques pour séduire les Millennials. Misant sur des vidéos en direct et des décryptages au ton décalé, le média en ligne estime que le mouvement des «gilets jaunes» lui permet d’exprimer son potentiel dans toute sa splendeur. «En deux ans, nous n’avons jamais vu ça, c’est un tournant. Aujourd’hui, les gens veulent du contexte, ce qui constitue une rupture avec la télévision. Chez Brut, nous donnons le contexte pour être le point de départ des conversations», explique Guillaume Lacroix, co-fondateur de Brut, qui estime que mettre en avant une parole polarisée est une erreur.

Or la crise des «gilets jaunes» est un exemple parfait de la polarisation du débat public, au sein duquel les voix les plus radicales sortent du lot au détriment des arguments de fond. Si la circulation circulaire de l’information constitue un risque pour la «vraie information», les médias se copiant les uns sur les autres de peur de rater la bonne information, les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, contribuent, bien malgré eux, à mettre de l’huile sur le feu en se faisant le relai des fake news et des discours haineux. Dans ce contexte, Brut a pris le contrepied de la jungle des réseaux sociaux pour «nouer une relation de confiance avec les internautes».

Si l’idée est louable, encore faut-il réussir à la mettre en pratique… Pour y parvenir, le média en ligne a appliqué une recette simple : des vidéos en direct «brutes», pour rendre compte de la situation en temps réel et donner la parole aux différents acteurs sur place, et des vidéos de décryptage pour donner du contexte autour de ce mouvement de protestation. «L’intuition de Brut, c’est qu’il ne faut pas imposer une pensée mais donner des éléments aux internautes pour qu’ils puissent comprendre ce qui se passe et ainsi se faire leur propre avis», explique Guillaume Lacroix, qui estime que cela contribue à proposer «une information plus proche et connectée aux gens».

Les «gilets jaunes» à Paris. Crédits : Shutterstock.

«Avec un téléphone, vous êtes Spielberg ou Albert Londres»

Au coeur du dispositif de Brut pour couvrir le conflit social qui oppose les «gilets jaunes» au gouvernement d’Édouard Philippe, figure Rémy Buisine, l’homme de terrain de Brut. Auparavant community manager pour des radios parisiennes, il s’est fait connaître à l’occasion de «Nuit Debout» en 2016, où il retransmettait quotidiennement les assemblées générales du mouvement via l’application Periscope. L’approche novatrice de Rémy Buisine, basée sur ses vidéos en direct diffusées à l’aide de son smartphone, a convaincu Brut de l’engager. «Aujourd’hui, avec un téléphone, vous êtes Spielberg ou Albert Londres», s’amuse Guillaume Lacroix.

Depuis le début de la crise des «gilets jaunes», Rémy Buisine multiplie les «lives» pour faire vivre l’essence de ce mouvement inédit. «Il est l’une des personnes qui maîtrisent le mieux les lives sur les réseaux sociaux», estime Guillaume Lacroix. Le reporter de Brut s’est ainsi retrouvé au coeur des manifestations parisiennes, notamment le samedi 1er décembre où la capitale a connu un déchaînement de violences jamais vues depuis plusieurs décennies. Smartphone en main, Rémy Buisine a passé jusqu’à une dizaine d’heures sur les Champs-Élysées et ses abords les samedis 24 novembre, 1er décembre et 8 décembre, encaissant parfois les jets d’eau et les gaz lacrymogènes des CRS, pour capturer chaque instant du rassemblement des «gilets jaunes» en temps réel, sans succomber à la tentation du «sensationnalisme» pour lequel sont régulièrement critiquées les chaînes d’information en continu.

300 millions de vues en novembre en France, dont 160 millions sur Facebook

Lors des «lives» de Rémy Buisine, pas question de donner son avis mais d’expliquer ce qui se passe autour de lui, pour contextualiser la situation auprès des internautes, et de donner la parole aux différentes personnes qu’il croise sur le terrain pour faire entendre des discours différents et nuancés, de manière à proposer un panel assez complet des forces en présence pour ne pas tomber dans le piège de la polarisation du débat. Et la formule semble fonctionner puisque Brut a touché environ 20 millions de Français, soit presque un tiers de la population, lors des trois premiers week-ends de mobilisation, avec un léger recul pour l’acte IV ce samedi 8 décembre, où le média en ligne a atteint 15 millions de Français. Au plus fort des événements, la page Facebook Brut France, suivie par 1,9 million de personnes, est montée jusqu’à 33 millions de viewers uniques, «soit plus de Français devant Brut que BFM», indique Guillaume Lacroix. «Novembre est un mois record pour Brut avec 800 millions de vues à travers le monde, dont 300 millions en France à travers nos différentes plateformes», ajoute-t-il.

Aux yeux de Guillaume Lacroix, ce travail sur le terrain diffusé en direct sur les réseaux sociaux illustre l’essor d’un «nouveau journalisme» dit «horizontal» porté par la puissance de frappe des plateformes en ligne, Facebook en tête. «Facebook Live est un outil incroyable pour créer des discussions. Nous sommes sur du temps long», précise le co-fondateur de Brut. L’atout des «lives» sur Facebook réside principalement dans l’interactivité qu’ils permettent de générer. Sur les Champs-Élysées, Rémy Buisine, en plus de décrire la situation autour de lui, a ainsi pris le temps de répondre aux questions des internautes, ce qui contribue à tisser un lien entre le média et son audience. Résultat, plus d’un demi-million de commentaires ont par exemple été générés par le live du reporter de Brut le samedi 24 novembre. Sur l’ensemble du mois de novembre, le média en ligne revendique 160 millions de vues sur Facebook en France.

Les «gilets jaunes» devant l’Arc de Triomphe, sur les Champs-Élysées à Paris. Crédits : Shutterstock.

«L’usage pilote le reste»

Cependant, Brut ne se limite pas uniquement à Facebook. Ce média «digital native» est également présent sur YouTube, Dailymotion, Twitter, Instagram et Snapchat. Autant de manières de toucher les 2 milliards de Millennials dans le monde. «Ils ont Netflix pour les séries, Spotify pour la musique, mais pour l’information, aucun média ne s’est imposé. Chez Brut, c’est l’usage qui pilote le reste. La création de contenus, c’est ce qui drive notre business», explique Guillaume Lacroix.

S’adapter aux usages et non au traitement habituel de l’information dans les autres médias, tel est le modèle mis en place par Brut pour faire la différence dans un paysage médiatique qui connaît un bouleversement sans précédent. Pour Guillaume Lacroix, l’avenir de Brut passe par Instagram, «qui fonctionne bien en Inde et en France», et Snapchat, qui compte 13 millions d’utilisateurs quotidiens en France.

Il faut dire que l’application de messagerie éphémère offre un terrain de jeu privilégié aux médias avec l’onglet «Discover», sorte de kiosque audiovisuel qui leur est dédié, et le lancement en France il y a quelques semaines des «Shows», des programmes vidéo quotidiens ou hebdomadaires au format vertical d’une durée de trois à sept minutes. «Snapchat est un outil intéressant, notamment en raison des stories. Le samedi 24 novembre, nous avons d’ailleurs touché 65% à 70% des utilisateurs français de Snapchat (NDLR : environ 9 millions d’utilisateurs)», indique Guillaume Lacroix, qui mise également sur WhatsApp, «un nouveau canal pour les médias», et les assistants vocaux, comme Alexa, pour faire entrer le journalisme dans une nouvelle ère.

Brut à la conquête des Millennials du monde entier

Après s’être solidement ancré dans le paysage médiatique français, Brut veut dupliquer son modèle à l’international. Outre l’Hexagone, le média en ligne est désormais opérationnel au Royaume-Uni, aux États-Unis (Top 3) et en Inde (leader). Dernièrement, en novembre, Brut est également parti à la conquête des Millennials chinois. Une expansion rapide qui devrait encore s’accélérer grâce au tour de table de 10 millions d’euros bouclé cette année.

En pleine guerre de l’information, celle-là même qui favorise les voix les plus tranchées et virulentes au détriment d’une parole diversifiée et nuancée, Brut veut s’imposer comme une alternative durable aux médias traditionnels en misant sur les réseaux sociaux. Si le succès est au rendez-vous deux ans après son lancement, Brut doit cependant composer avec l’algorithme déroutant de Facebook et des autres plateformes pour perdurer. Si le risque de dépendance à ces réseaux sociaux est très élevé, leur force de frappe pour toucher un maximum de personnes dans le monde entier est sans égal. Les «gilets jaunes», qualifiés de «première révolution Facebook» en France par le chroniqueur russe Leonid Bershidsky dans Bloomberg, en sont la parfaite illustration.

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