Marketing & CommunicationRetail & eCommerce

« Les entreprises qui passeront à côté de l’Internet ‘Facebook-centric’ feront une erreur stratégique »

Frenchweb : Sur les réseaux sociaux, les entreprises cherchent en permanence la bonne stratégie pour se rendre incontournable auprès de leurs communautés. Quelle est l’approche qui domine ?

Fabrice Epelboin : On assiste bel et bien à un mouvement de fond comparable à celui qui avait consacré, il y a plus de dix ans, le moteur de recherche Google comme le centre du web. D’un Internet «Google-centric» dont les maitres-mots du marketing étaient SEO et SEM, on passe progressivement à un internet «Facebookcentric», avec son apanage de terminologies dédiées, accompagnées des experts ad hoc : social-marketeur, social-bidule et social-truc.

L’ascension de Facebook, qui est passé en un an de 8 à 25% du trafic sur les sites d’information, semble irrésistible, et les conséquences sont loin d’êtres limitées aux médias. De nombreuses entreprises de service – AXA en tête – ont bien compris que ce phénomène n’était pas contingenté aux sites d’information. Les groupes Banque Populaire et Caisse d’Épargne s’y sont d’ailleurs aussi mises.

Se rapprocher de ses clients – plus encore que de ses prospects – est devenu un impératif qu’Uber a rendu critique. Si les taxis se pensaient proches de leur clientèle, ils en étaient au final fort éloignés au regard de la proximité entre un téléphone et son utilisateur, et c’est ce qui a permis à Uber de redéfinir cette relation clientèle. Il en va de même avec Facebook. A ce jour, c’est à travers la première plateforme de réseau social au monde que les entreprises peuvent espérer gagner en proximité et éviter – c’est le terme à la mode – de se faire uberiser.

Quels sont les risques pour une entreprise si celle-ci restait, malgré tout, à l’étape précédente – du web «Google-centric» ?

Les entreprises qui feront le choix de passer à coté d’une relation clientèle intermédiée via Facebook et qui contingenteront son utilisation à la fonction marketing et communication, feront, à mon sens, une erreur stratégique de premier plan : externaliser la relation client est tout aussi suicidaire que de la négliger, c’est programmer son obsolescence. A contrario, il est essentiel pour toute entreprise envisageant à court ou moyen terme une stratégie «Facebook-centric» de se doter d’une force de frappe en interne et de diffuser le plus largement possible en son sein les compétences nécessaires à la mise en œuvre d’une telle stratégie.

Pour reprendre le cas des premiers entrants Français dans cette approche Facebook-centric de la relation clientèle, on imagine mal qu’un assureur ou une banque se passent de son interface avec sa clientèle et en confie la gestion à un prestataire, comme c’est le cas aujourd’hui, la plupart du temps, quand il s’agit d’animer une fan-page à des fins de communication. Les produits que ces entreprises proposent aux consommateurs sont dans un univers où la concurrence est extrême et l’habillage marketing de moins en moins différenciant, du fait du surcroit de transparence apporté par internet.

De nouveaux entrants pourraient arriver et les mettre à terre en moins de temps qu’il ne leur en faudrait pour réagir. Après tout, le cœur de métier de l’assurance c’est sa capacité à appréhender le risque, et l’outil pour faire cela s’appelle les statistiques, un domaine dans lequel Google domine le monde – il est même capable de faire de la traduction avec des statistiques. Google a, qui plus est, la main sur les données personnelles de ses utilisateurs qui font défaut aux assureurs, lui permettant d’envisager de proposer des produits si compétitifs que le monde de l’assurance ne pourra que rendre les armes, ou plus vraisemblablement déplacer le terrain de bataille sur le plan du lobbying en concoctant un énième Locomotive Act – mais comme Google est entre temps devenu un géant du lobbying, l’issue d’une telle bataille assez hasardeuse. Garder la main et améliorer de façon significative la relation clientèle est absolument stratégique.

C’est justement l’enjeu que pose une relation clientèle déportée sur Facebook : se positionner là où se trouvent leur clientèle au quotidien, de la même façon qu’ils l’ont fait hier en ouvrant des agences au coin de la rue. Il faut toutefois garder à l’esprit que cela passera necessairement par un rééquilibrage du rapport de force entre le fournisseurs de service et le client final, à l’image d’Uber, qui a drastiquement rééquilibré ce rapport au profit du client.

A contrario, quels nouveaux risques s’ouvrent aux entreprises qui se lancent dans une approche Facebook-centric ?

Facebook est le lieu de tous les débats, un rôle que le réseau social a littéralement dérobé aux médias qui sont désormais relégués à jouer dans la seconde division du débat public – ou en catégorie élite, c’est une question de point de vue -, toujours est-il qu’ils ne couvrent plus qu’une infime partie des discussions qui prennent place quotidiennement sur Facebook. S’y plonger c’est prendre le risque d’y trouver ses clients dans un tout autre état d’esprit que celui auquel les entreprises ont l’habitude de faire face.

Les médias ont raté cet enjeu, refusant tout dialogue à travers leurs espaces de discussions au point de les laisser en friche et d’abandonner ce qui peut s’apparenter à une relation clientèle au désormais tout puissant Facebook – qui désormais propose aux médias d’intégrer la plateforme à travers la fonction ‘instant article’ et de se résoudre à n’être qu’un fournisseur de carburant aux dynamiques sociales dont seul Facebook sait tirer de la valeur.

Les entreprises doivent trouver une façon de tirer leur épingle du jeu afin de ne pas se retrouver à leur tour dans une situation de dépendance grandissante face à Facebook. Cela se jouera tout autant dans les termes des accords qui se noueront entre Facebook et les entreprises, notamment pour ce qui est du partage des données privées des utilisateurs de Facebook et la continuité de certaines caractéristiques de la plateforme, que dans la capacité des entreprises à se montrer à la hauteur de l’enjeu – garder la main sur la relation avec leurs clients – or celui-ci passe par la maitrise de la fonction du community management.

Mais le plus grand défi que vont devoir affronter les entreprises sur Facebook concerne la transformation – sans doute assez radicale – de leur relation clientèle qui en découlera. Les politiques en savent quelque chose. Il va leur falloir passer d’une logique “top-down” et “one to one” à une approche qui devra apprivoiser les effets de foules propres aux réseaux sociaux, et prendre en compte un rééquilibrage parfois radical du rapport de force qu’elles peuvent avoir avec leur clientèle. Le moindre dérapage peut avoir des conséquences dramatiques et transformer un simple contentieux autrefois assez banal en gestion de crise à grande échelle. Une banque qui autrefois évaluait son rapport de force avec un client à la taille de son portefeuille va devoir prendre en compte son Klout – et probablement travailler à la mise au point d’outils de mesure bien plus fins que cela.

Au final, on en revient à la formation des forces vives de l’entreprise et à la formation en général. Le community management, qui s’apprenait autrefois sur le tas, va devoir trouver des approches éducatives plus industrielles. Les entreprises ont tout intérêt à participer à cet effort de formation si elles ne veulent pas se retrouver face à une pénurie de compétences sur le marché et face à des talents qui ne tarderont pas à prendre conscience de leur valeur et réclameront à terme une rémunération en conséquence.

Fabrice Epelboin est serial entrepreneur dans le numérique, il enseigne l’impact des technologies de l’information sur les gouvernances institutionnelles et corporate à Sciences Po. Paris et conseille de grands groupes quant à leur transformation digitale.

LinkedIn: epelboin

Twitter: @epelboin

CATHAY INNOVATION EDUCAPITAL XANGE
A Global Venture Capital Firm Connecting Innovators Everywhere The largest European Edtech & Future of Work VC Today's disruption, Tomorrow's daily life
DECOUVRIR DECOUVRIR DECOUVRIR
Connaissez vous la DATAROOM de FRENCHWEB.FR notre base de données de startups et sociétés innovantes françaises: informations clés, fonds levées, chiffres d'affaires, organigramme, axes de développement. Accédez aux informations que nous avons collecté concernant plus de 2000 sociétés

5 commentaires

    1. Des sous pour quoi faire ? On ne forme pas de CM à Sciences Po ;-)

    2. Je trouve plutôt intéressant qu’il mette l’accent sur le fait que le talent et le professionnalisme ont un coût, que ça soit lors de la formation, lors de l’embauche ou lors de prestations extérieures. On regarde souvent en premier le coût en France au lieu de se baser sur le retour sur investissement.

      Analyse intéressante en tous cas. Se diversifier cross canal et à l’intérieur même de chaque canal est un challenge permanent pour bcp d’entreprises.

  1. Merci Fabrice, mais peut-on industrialiser une formation de CM? N’est-ce pas une vision par trop verticale de la « digitalisation » des l’entreprise? Le CM me semble être plus horizontal comme approche, et la professionalisation me semble plus approprié.

    1. Oui, tout à fait. A mon sens, la compétence CM va rapidement devenir transversale et devenir une option dans les écoles de communication et les écoles de commerce. Il faudra toujours des CM professionnels dont ce sera la seule fonction pour gérer le tout et mettre en place des stratégies, c’est sur ces postes là que les salaires vont s’envoler.

      Pour ce qui est d’industrialiser, il y a des formations à imaginer, et un rapport à des outils « de loisir » comme Facebook à faire évoluer, en tout cas pour ceux qui veulent en faire une corde à leur arc professionnel. Une évolution du Klout qui permettra de repérer ceux qui ont un usage spécifique de FB ? Des certifications autour de moocs à inventer ? Tout reste à faire.

Bouton retour en haut de la page
Share This