
Lifen, la startup qui digitalise l’hôpital sans jamais apparaître à l’écran
Fondée en 2015 par Franck Le Ouay, cofondateur de Criteo, et Alexandre Huckert, la startup Lifen fête cette année son dixième anniversaire. En une décennie, l’entreprise a franchi plusieurs étapes structurantes pour devenir un acteur central de la numérisation du système de santé français. Elle annonce en 2025 la rentabilité de son activité historique, Lifen Care, et atteint un chiffre d’affaires récurrent annuel de 20 millions d’euros. Une progression rendue possible par une stratégie de développement fondée sur l’industrialisation des flux de données médicales à l’échelle nationale.
Lifen a d’abord concentré ses efforts sur la fluidification de la communication entre les professionnels de santé. Sa première brique, Lifen Documents, permet d’envoyer en un clic des comptes rendus médicaux via des canaux sécurisés (MSSanté, Apicrypt ou courrier), tout en intégrant les documents au Dossier Médical Partagé (DMP). Déployée dans plus de 800 établissements, la solution s’est imposée comme un standard opérationnel dans les hôpitaux et cliniques, publics comme privés. Chaque mois, ce sont plus de 4 millions de documents qui transitent par la plateforme, dont 95 % de manière dématérialisée.
Sur cette base, l’entreprise a développé une seconde brique, Lifen Intégration. Cette solution permet de fiabiliser l’intégration des documents dans les Dossiers Patients Informatisés (DPI), avec une validation automatique de l’identité patient, une structuration des informations clés (type de document, date de l’acte, séjour) et un classement contextualisé. En 2024, plus de 5 millions de documents ont ainsi été intégrés dans les DPI de manière automatique ou semi-automatisée. La promesse est de simplifier les tâches des équipes administratives et médicales, tout en renforçant l’identitovigilance et la complétude des dossiers.
Lifen s’appuie pour cela sur une intelligence artificielle documentaire, entraînée sur plus de 75 millions de documents médicaux. Chaque jour, plus d’un million de prédictions sont produites en temps réel, permettant d’extraire les données utiles à l’intégration, à l’envoi ou à la recherche clinique. “Notre IA a été conçue pour répondre à un besoin terrain : détecter, structurer et sécuriser les informations contenues dans les documents médicaux. Elle est alimentée en continu par des flux réels et enrichie par des validations médicales”, précisait Franck Le Ouay lors du dernier AI For Health Summit.
En 2023, Lifen a franchi une nouvelle étape en lançant Lifen DataLab, une infrastructure destinée à faciliter les projets de recherche clinique multicentriques. Cette solution permet aux établissements de constituer des cohortes de patients à partir des DPI, de structurer automatiquement les données d’intérêt via l’IA, et d’accéder à une base actualisée en continu. “Si l’on veut ajouter une variable parce que l’on s’interroge sur sa pertinence pour caractériser un type particulier de cancer, l’outil va pouvoir aller rescanner l’intégralité des comptes rendus et l’extraire. C’est une puissance incroyable”, explique le Pr Benjamin Besse, directeur de la recherche clinique à Gustave Roussy.
Sur un échiquier HealthTech en pleine structuration, Lifen adopte une approche résolument infrastructurelle. Tandis que Doctolib s’est imposé sur les usages en front-office (prise de rendez-vous, téléconsultation), ou qu’Owkin développe des modèles prédictifs appliqués à la recherche biomédicale, Lifen se concentre sur l’arrière-plan : la circulation, la structuration et la fiabilité de la donnée médicale au sein des systèmes d’information hospitaliers. Sur certains aspects techniques, elle croise les offres de groupes comme Dedalus (via Maincare ou Orbis), ou Enovacom, qui proposent également des briques d’interopérabilité ou de messagerie MSSanté. Mais à la différence de ces éditeurs, Lifen ne fournit pas de système hospitalier complet et s’intègre aux environnements existants via un modèle modulaire et interopérable.
Pour soutenir ces développements, Lifen a levé près de 80 millions d’euros en quatre tours, dont une série C de 50 millions d’euros en 2021 auprès de Creadev et Lauxera Capital Partners, avec le soutien renouvelé de ses investisseurs historiques Partech, Serena et la MACSF. La startup est également soutenue par le programme France 2030
Lifen revendique aujourd’hui un maillage national étendu, collaborant avec les principaux groupes privés (Elsan, Ramsay, Vivalto, Almaviva) ainsi qu’avec 14 CHU et les centres de lutte contre le cancer. Trois premières cohortes de recherche ont été structurées avec des établissements partenaires, dont LUCC (en collaboration avec Gustave Roussy), HARPE (CHU Grenoble Alpes) et CUB Trajectory (Hôpital Foch), visant à inclure 10 000 patients atteints de pathologies respiratoires chroniques d’ici fin 2025.