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Microsoft Viva : la tentation du nouvel intranet?

Par Jean-Louis Bénard, expert FrenchWeb

Microsoft a annoncé il y a quelques jours la sortie pour le premier semestre de Microsoft Viva, une suite de solutions dédiées à l’expérience collaborateur et embarquée dans Microsoft Teams. Quatre composantes, Viva Connections (accès aux ressources et aux news), Viva Insights (dashboards sur le travail et les insights collaborateurs), Viva Learning (e-learning) et Viva Topics (knowledge management), pour offrir au collaborateur une expérience optimisée. Alors que beaucoup d’entreprises peinent à mettre en place une digital workplace cohérente, Microsoft Viva va-t-il simplifier ou au contraire complexifier le paysage ? Microsoft tente-t-il d’imposer une nouvelle vision centralisée du monde, et pourquoi avoir choisi Microsoft Teams comme cœur du réacteur?

Hasard du calendrier, Microsoft Sharepoint fête cette année ses vingt bougies. Vingt ans que Microsoft a régulièrement tenté de créer un point d’accès centralisé pour le collaborateur. Qu’on l’appelle Portail ou Intranet, cette tentation de centralisation a toujours été forte. Dans les faits, Microsoft Sharepoint est souvent considéré comme un repository de documents et de liens vers des applications métier, et ceux qui ont choisi d’offrir aux collaborateurs une expérience plus aboutie ont dû investir dans des développements significatifs au-dessus de Sharepoint. Le trafic sur ces intranets est par ailleurs resté souvent modeste.

Alors même qu’Office continuait de faire un véritable carton en entreprise, le succès de Sharepoint restait mitigé. Mais la sortie de Microsoft Teams, combinée à l’accélération du télétravail, a ouvert la voie à une nouvelle ère. Avec plus de 115 millions d’utilisateurs actifs par jour, Microsoft Teams est devenu un passage obligé pour beaucoup de collaborateurs. Il était naturel pour Microsoft de partir de cette formidable place de trafic dédiée à la collaboration pour étendre l’expérience à d’autres sujets.

Microsoft Teams: quel niveau de maturité?

Avant de s’intéresser à Viva, revenons sur l’utilisation de Microsoft Teams. Je trouve personnellement l’outil formidable. Il nous a permis chez Sociabble de véritablement structurer tout le travail collaboratif, et ce dès la première année de sortie de l’outil. Mais cela a imposé un gros travail initial de structuration. Nous avons fermé toutes nos mailing lists, interdit les e-mails internes, structuré les équipes Teams et les chaînes dans les équipes de manière quasi militaire. La manière dont un document est posté dans une conversation, les règles pour déclencher une nouvelle conversation ou en prolonger une, le tagging de personnes ou d’équipes, tout est codifié. Les conversations « privées » ne peuvent être utilisées pour structurer de l’information pérenne, etc.

Mais beaucoup d’entreprises ont encore un usage extrêmement basique de Teams. Elles l’utilisent comme une alternative à Zoom pour l’audio et la vidéo, ou comme un « super skype » avec des conversations qui partent dans tous les sens. Le niveau de maturité est souvent faible, et le collaboratif se fait à moitié par mail, à moitié dans les conversations. Des documents sont postés et travaillés dans des conversations privées, sans pouvoir capitaliser dans le temps. Même si effectivement Microsoft Teams est une place de trafic importante, ce trafic est encore chaotique, loin de la vision et du potentiel de l’outil. En passant la vitesse supérieure et en enrichissant cette expérience, Microsoft risque aussi de laisser du monde sur place, tant le changement est difficile à implémenter dans les entreprises.

Néanmoins, force est de constater que s’il faut démarrer cette initiative d’expérience enrichie, il est pertinent de le faire là où il y a déjà du monde. Cette extension se fait assez naturellement par le biais d’onglets dans Microsoft Teams.

La tentation de la centralisation

Quelque soit la brique de Viva, Microsoft cherche à créer un point d’accès central : pour les ressources et les informations (Connections), pour la data (Insights), pour l’apprentissage (Learning) et pour la connaissance (Topics). Avec à chaque fois des atouts pour motiver les entreprises. La brique apprentissage intègre déjà LinkedIn Learning, la brique data intègre les insights d’Office 365, la brique connaissance intègre déjà toute l’intelligence artificielle au-dessus des documents Office, la brique connections agrège des éléments d’office 365 (désormais Microsoft 365) et de Sharepoint. Il ne reste plus aux éditeurs qu’à s’intégrer dans ces briques existantes.

Personnellement j’ai toujours été dubitatif sur ce concept de centralisation. En fait non, pas toujours. Il y a vingt ans exactement, je publiais un livre aux éditions Hermès, « Les Portails d’Entreprise » ; à cette époque, je croyais à cette expérience centralisée. Mais vingt ans de difficultés sur le sujet, et surtout l’avènement du mobile, m’ont peu à peu convaincu du contraire. Le collaborateur ne veut pas forcément d’un accès central. Personne n’a sur son téléphone une application unique qui donne accès à toutes les fonctionnalités du monde. Car c’est le téléphone lui-même qui est le portail. Au contraire, on accède à des applications spécialisées qui ont chacune un rôle bien précis : les photos c’est instagram, le réseau d’amis c’est facebook, les conversations c’est whatsapp (ou pas !).

Un bon exemple ? La météo, que l’on retrouve sur l’image de Viva Connections présentée par Microsoft.

Je ne pense pas que c’est sur l’intranet ou son successeur qu’on va lorsqu’on veut voir la météo, surtout locale (d’ailleurs l’affichage de la météo « locale » pose de vraies questions RGPD, mais cela c’est une autre histoire). Lorsqu’on veut connaître la météo, on ouvre… son application météo, dans laquelle on a confiance. Précise, détaillée, multi-géographie, etc.

Les collaborateurs vont sur Teams parce qu’ils ont une réunion en ligne, un besoin de collaborer sur un document, pas pour aller voir la météo.

La construction d’un dashboard centralisé tel que Microsoft Viva Connections (qui repose sur Sharepoint d’ailleurs) renvoie aux mêmes questions qui se posent depuis 20 ans sur les intranets. Qu’est ce qu’on va bien afficher sur ce dashboard, en particulier sur mobile ? Un peu de news, un peu de liens, un peu de météo, un peu de tâches, et finalement qui s’en servira réellement ?

Le terrain sensible des insights

On peut imaginer que les détracteurs de Microsoft vont tirer à boulet rouge sur la constitution de dashboards liés à l’activité utilisateur. Déjà les prémisses avec les Insights de performance d’Office 365 ont fait grincer des dents. Pour ma part je trouve la manière dont Microsoft a abordé les choses très intelligente. Les données consolidées au niveau du management sont anonymisées, donnent des tendances de groupe qui permettent de mieux comprendre les usages. Au niveau des collaborateurs, ces insights peuvent apporter une aide réelle. Personnellement j’utilise déjà les Insight Office : Office analyse mon agenda et me booke automatiquement des slots où je peux travailler concentré.

Maintenant, il est clair que ces insights auront des impacts. L’entreprise ne pourra plus dire qu’elle « ignorait » que ses collaborateurs étaient en surchauffe par exemple.

Viva Topics: le plus prometteur?

Ce n’est pas le moteur de recherche de Microsoft Teams qui en a fait son succès, loin de là. La recherche dans la digital workplace a toujours été un sujet compliqué. La promesse de pouvoir enfin réaliser une recherche intelligente, de remonter au niveau du concept, du « topic », pour naviguer dans l’ensemble des ressources associées, incluant les collaborateurs, constitue une véritable avancée. Et là, il y a une valeur incontestable à fédérer toutes les ressources pour améliorer la qualité de la recherche.

La puissance du Microsoft Graph combinée à l’intelligence artificielle du projet Cortex devraient ainsi permettre le classement, le tagging et la recherche non seulement dans les documents Office mais dans tous les contenus qui s’exposeront à Cortex. Il serait également possible d’identifier les compétences chez les collaborateurs. Ces topics et ces compétences devraient émerger dans Viva Connections. L’intelligence artificielle délivrera-t-elle sa promesse en la matière ? Attendons la sortie de Viva pour s’en assurer. Le projet Viva n’est pas sans rappeler Microsoft Delve, qui n’avait jamais vraiment réussi à décoller.

Une avancée dans tous les cas

Microsoft Viva ne sera peut-être pas la réponse parfaite et totale en termes d’expérience collaborateur, notamment pour les collaborateurs de terrain, en magasin, en usine qui ont des besoins très spécifiques. Elle posera aussi la question des coûts. Néanmoins on ne peut reprocher à Microsoft de vouloir capitaliser sur Teams et d’aller de l’avant, en mettant à profit les nombreuses acquisitions réalisées dans les dernières années. Reste que la maturité du marché est encore faible sur ces différents sujets. Il sera également intéressant de voir comment les éditeurs, qui ont été mis devant le fait accompli de cette annonce, se positionneront.

Les clients, qui pour beaucoup ont déjà fait de gros investissements dans la digital workplace, et qui ont souvent connu par le passé des projets douloureux d’intranets, seront surement prudents. La tendance actuelle est à déployer des solutions qui répondent à des besoins précis (application d’e-learning, application de news et d’alertes, collaboratif, CRM…) sur des cycles plus courts que par le passé grâce au SAAS (software as a service), et même s’il y a de la valeur à regrouper et à mesurer en centralisé, cela pose de nombreuses questions auxquelles les organisations ne sont pas forcément prêtes à répondre, ont déjà répondu (en déployant un intranet avec beaucoup d’efforts) ou au contraire ne veulent plus répondre.

L’expert

Jean-Louis Bénard est co-fondateur et CEO de Sociabble, une plateforme utilisée dans plus de 80 pays, qui permet aux entreprises de bien informer et d’engager les collaborateurs, pour qu’ils deviennent des ambassadeurs. Il est également Chairman de Brainsonic, une agence qu’il a fondée en 2003. Auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages, dont «Extreme Programming» (Eyrolles), il est par ailleurs investisseur dans plusieurs startups françaises.

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