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Pour en finir avec le «servant leader»: vive l’ego!

Par Philippe Silberzahn, professeur d’entrepreneuriat, stratégie et innovation à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique (CRG)

Faut-il en finir avec l’ego surdimensionné des managers? La question peut se poser lorsqu’on voit les effets dévastateurs que l’egotisme, défini comme une opinion exagérée de sa propre importance, continue d’avoir sur les organisations qui y laissent libre cours. En réaction à ces excès, certains experts ont développé la notion de servant leader, suivant laquelle le leader doit nier son ego et se mettre au service des autres. A l’heure où les individus deviennent plus autonomes et mieux éduqués, une telle notion paraît logique. Et pourtant, la seule solution aux ravages de l’égotisme serait-elle la censure de son ego et le sacrifice à la cause commune? Loin s’en faut car le servant leadership pose autant de problèmes qu’il en résout.

Comme souvent avec les concepts à la mode, la notion de servant leadership n’est pas nouvelle; elle a été introduite par Robert K. Greenleaf dans les années 70 en réaction aux concepts de leadership autoritaire qui reste très en vogue dans le management tel qu’il est enseigné. Régulièrement remis au goût du jour, le servant leadership n’a pourtant guère rencontré de succès. L’une des raisons tient sans doute à ce que l’hypothèse qu’il pose, l’excès d’ego est un problème, n’est pas aussi vraie qu’elle en a l’air. Nous connaissons tous des leaders toxiques, mais certains d’entre eux ont accompli des choses extraordinaires. Steve Jobs avait un ego surdimensionné tout comme Elon Musk aujourd’hui. Certains estiment que c’est même ce qui explique leur réussite extraordinaire. Comme l’écrivait de Gaulle, la perfection évangélique ne conduit pas à l’empire.

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Il y a cependant des contre exemples, des leaders ayant eux aussi accompli des choses extraordinaires, comme Bill Hewlett et David Packard, créateurs de HP, mais qui possédaient un ego normal (si cette notion a un sens) et qui étaient connus pour leur modestie. On le voit, l’ego n’est pas en soi nécessaire ou au contraire antinomique à la création de grandes choses. Par ailleurs, mon expérience avec les « leaders » suggère que s’il y a quelque chose de pire qu’un leader égotique, c’est un leader sans ego qui laissera se développer les pires comportements au sein de son organisation. Enfin, la notion de servant leadership reste prisonnière d’un modèle mental, celui du leader indispensable et n’est qu’une variation sur le thème «Il faut un leader, au sens de celui dont tout dépend, et la question est de savoir lequel». Peut-être n’avons-nous pas besoin de leader? Qu’est-ce qu’on entend par leader? Cela n’est au fond pas très intéressant.

Si on s’intéresse aux dysfonctionnements de l’organisation, à ce qui la bloque et qu’on veut la remettre en mouvement, une autre approche est possible que celle consistant simplement à dire «supprimons l’ego» . Pour savoir laquelle, nous pouvons, encore une fois, nous tourner vers les entrepreneurs dont l’approche est décrite par la théorie de l’effectuation au travers de cinq principes. Ces principes montrent comment des gens parfaitement normaux peuvent faire des choses extraordinaires, y compris dans des circonstances difficiles.

Parmi les cinq principes de l’effectuation, deux sont en effet très utiles pour cette question épineuse. Le premier principe énonce que l’entrepreneur part de ce qu’il a sous la main pour déterminer ce qu’il peut faire. Le second principe énonce que l’entrepreneur construit son projet en suscitant l’engagement de parties prenantes dans celui-ci.

Sacrifiez votre ego sur l’autel de la pureté évangélique (Image: Wikipedia)

Partir de ce qu’on a sous la main

L’entrepreneur considère ses ressources disponibles et détermine ce qu’il peut faire à partir de ces ressources. Quelles sont les ressources dont dispose chacun d’entre nous? Elles sont au nombre de trois: soi-même, ses connaissances, son réseau de relations. Ainsi donc la première ressource de l’entrepreneur, c’est lui-même, sa personnalité, sa créativité, ses envies, ses frustrations, son idéalisme, etc. en bref ses modèles mentaux, c’est à dire la façon dont il conçoit le monde. Les entrepreneurs s’appuient sur leur ego comme ressource fondamentale pour transformer celui-ci ; ils l’assument avec plus ou moins de difficulté, car ils sont entourés de gens qui leur expliquent constamment qu’ils doivent mettre celui-ci de côté et se sacrifier au groupe, mais certains réussissent à l’assumer quand-même. L’enjeu est de ne pas se nier, mais au contraire s’accepter, «faire avec ce que je suis» pour, en pleine confiance, aller vers les autres. A l’opposé d’une théorie du sacrifice de l’individu pour le bien commun, ce principe est une pratique humaniste, qui vous remet véritablement au centre de l’action sur une base d’égalité avec les autres. Il porte en lui une valeur de respect indispensable à son fonctionnement.

Susciter l’engagement de parties prenantes dans son projet

L’entrepreneur développe son projet en travaillant avec les autres, en créant un réseau croissant de parties prenantes qui y contribuent. Il s’agit d’une démarche de co-création qui suppose une égalité des parties prenantes. L’entrepreneur n’est donc ni supérieur (egotisme du leader autoritaire visionnaire) ni inférieur (sacrifice au bien commun) mais un égal parmi d’autres. Grâce à l’altérité, on expose ses modèles mentaux et comprend mieux ceux des autres; on peut alors se développer dans un équilibre d’ego bien assumés et éviter un rapport de domination ou de soumission de type «Soit je t’écrase, soit je m’écrase». S’induit ainsi une dialectique dans laquelle les modèles mentaux de chacun sont exposés, testés puis ajustés pour être transcendés dans un modèle commun résultant qui permet la transformation du monde ou de l’organisation.

Ces deux principes, partir de soi-même de manière humble mais assumée, et travailler avec les autres dans une relation égalitaire, sont des principes extrêmement puissants. Ils reflètent les principes humanistes de Montaigne et d’Érasme mais surtout ils expliquent la création des entreprises et d’organisations nouvelles. Ils sont les principes des mouvements sociaux et des révolutions politiques, scientifiques et industrielles. Ils sont les principes de transformation.

Tirer parti de nos ego pour changer le monde

Dans son ouvrage The liberal archipelago, le théoricien politique Chandran Kukathas montre qu’il y a deux façons de réguler l’espace commun: on peut chercher des points de ressemblance, ou on peut définir un moyen de réguler nos différences. La première approche est la marque des systèmes idéalistes, tandis que la seconde est la marque des systèmes libéraux développés à partir du siècle des lumières. La première a accumulé les cadavres dans des tentatives toujours désespérées mais sans cesse renouvelées de mettre tout le monde d’accord sur un plus grand dénominateur commun, qui n’est généralement pas très grand et exige donc la censure de tout ce qui rend chacun unique. La seconde a produit richesse et paix avec une régularité presque ennuyeuse.

C’est à cette seconde approche que correspond cet équilibre d’ego bien assumés régulé tant bien que mal qui me semble si prometteur. Il traduit une tension qui est inhérente à l’existence même d’une collectivité. C’est un équilibre instable, bricolé en permanence, sans cesse à recommencer. Il insupporte les cartésiens, les platoniciens, et tous les tenants de systèmes de perfection évangélique qui voudraient que chacun sacrifie son ego à un bien commun indéfini parce qu’indéfinissable. Quelle tristesse pourtant que d’exiger cela! Quelle idéologie mortifère! L’ego c’est la vie; parions sur elle! Partons de ce principe de vie, de cette ressource unique de l’être humain, et apprenons à chacun d’en tirer parti pour faire des choses extraordinaires. Vive l’ego!

Le contributeur:

Philippe Silberzahn

Philippe Silberzahn est professeur d’entrepreneuriat, stratégie et innovation à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique (CRG)où il a reçu son doctorat. Ses travaux portent sur la façon dont les organisations gèrent les situations d’incertitude radicale et de complexité, sous l’angle entrepreneurial avec l’étude de la création de nouveaux marchés et de nouveaux produits, et sous l’angle managérial avec l’étude de la gestion des ruptures, des surprises stratégiques (cygnes noirs) et des problèmes complexes (« wicked problems ») par les grandes organisations. Pour suivre ses écrits, rendez-vous sur son blog.

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