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28e régime, un socle commun pour accélérer la scalabilité des startups européennes ?

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La Commission européenne a dévoilé mercredi dernier sa stratégie Startup & Scale-up, avec pour objectif de faire de l’Union européenne un terrain fertile pour la création, le financement et la croissance des entreprises innovantes. Au cœur du dispositif, le projet de “28e régime”, un cadre juridique paneuropéen visant à simplifier les démarches, harmoniser les règles et permettre aux startups de grandir sans devoir quitter le continent.

TL;DR – L’Europe veut enfin passer à l’échelle avec ses startups

👥 Pour qui est-ce important ?

  • Startups européennes en phase de scale-up
  • Fonds d’investissement actifs dans l’UE
  • Décideurs publics et régulateurs nationaux
  • Grands groupes cherchant à innover via des partenariats
  • Organisations de transfert de technologie (TTO) et chercheurs entrepreneurs

💡 Pourquoi c’est stratégique ?

  • L’Europe crée plus de startups que les États-Unis mais peine à les faire grandir
  • 84 % de retard sur les financements late-stage par rapport aux USA
  • Fragmentation réglementaire qui freine l’expansion transfrontalière
  • Commande publique peu ouverte à l’innovation (seulement 10 % des achats)
  • Faible conversion des brevets en entreprises (1/3 exploités seulement)
  • Objectif : construire des champions technologiques européens durables

🔧 Ce que ça change concrètement

  • Lancement du 28e régime : création d’une entreprise possible en 48h dans toute l’UE
  • Création du Scale-up Fund piloté par le European Innovation Council
  • Déploiement de 13 AI Factories équipées de supercalculateurs
  • Lancement d’un “European Business Wallet” pour simplifier les démarches
  • Cadre unifié pour les regulatory sandboxes et test d’impact innovation
  • Réforme de la commande publique avec clauses pro-innovation
  • Harmonisation partielle des stock-options et télétravail transfrontalier
  • Étude européenne sur les freins juridiques à la restructuration des startups

Initialement portée politiquement par Ursula von der Leyen, cette initiative a été mentionnée dès janvier 2024 lors du Forum économique mondial de Davos, où la présidente de la Commission avait appelé à relancer les travaux vers un code européen de droit des affaires. Une orientation reprise dans les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi, qui y voient un levier clé pour dépasser la fragmentation du marché unique et soutenir la compétitivité économique du continent. Le projet est aujourd’hui piloté par Ekaterina Zaharieva, Commissioner for Startups, Research and Innovation et Stéphane Séjourné, Vice-président exécutif de la Commission européenne à la Prospérité et à la Stratégie industrielle Commissaire européen à l’Industrie, aux PME et au Marché unique.

Ainsi la Commission européenne a publié mercredi dernier un document d’analyse approfondi sur les limites de l’écosystème startup européen. Derrière les chiffres encourageants (35 000 startups early-stage, 3,5 millions de professionnels tech, plus de 400 milliards de dollars levés en une décennie) subsiste une réalité plus fragile. Les entreprises qui réussissent à passer l’étape du scale up restent rares, et les licornes européennes peinent à rivaliser à l’échelle mondiale.

« Plus de startups sont créées en Europe chaque année qu’aux États-Unis, et pourtant, la croissance de ces dernières bloque souvent au changement d’échelle. Un réel problème pour notre souveraineté, puisque ce manque de compétitivité nous oblige à choisir par défaut des solutions chinoises et américaines dans des technologies clés pour demain, comme les énergies renouvelables, l’intelligence artificielle ou la deeptech », souligne Pascal Canfin, député européen apparenté Renaissance à la rédaction de FRENCHWEB.FR

Une croissance entravée par des goulets structurels

Le constat de la Commission Européenne est que l’Europe continue à produire des startups, mais ne parvient pas à créer un environnement propice à leur expansion. Le financement des entreprises en phase de croissance reste nettement insuffisant, ainsi en 2024, les investissements late-stage dans l’Union étaient 84 % inférieurs à ceux enregistrés aux États-Unis. Les tours supérieurs à 50 millions d’euros sont largement sous-représentés, et dans plus de 40 % des cas, les levées sont menées par des investisseurs non-européens.

Le marché unique, pourtant théoriquement harmonisé, présente toujours de fortes disparités nationales, qui sont autant de complexités dans le développement des entreprises. Pour une startup souhaitant s’implanter dans plusieurs pays membres, les obligations administratives et réglementaires varient sensiblement d’un État à l’autre. Les règles fiscales, les formats de création, les règles administratives, les protections sociales ou les régimes de stock-options diffèrent, créant une complexité qui freine leur expansion.

C’est dans ce contexte que prend place le projet de 28e régime, visant à doter les startups d’un cadre européen unifié pour créer et opérer dans l’ensemble de l’Union.

« Face à cela, un point central de cette stratégie concerne le 28e régime, une initiative visant à créer un ensemble unique de règles pour les entreprises à travers l’Europe et pour lequel je serai rapporteur pour mon groupe au Parlement européen », précise Pascal Canfin.
« L’objectif ? Faciliter la création, l’expansion et l’opération des startups sur notre marché unique de 450 millions de consommateurs pour que les startups présentes à l’échelle locale deviennent de véritables Champions européens de la tech. »

Des marchés encore trop fermés

L’accès aux clients reste une difficulté majeure, ainsi la commande publique représente 17 % à 19 % du PIB européen. Pourtant, seules 10 % de ces dépenses sont orientées vers l’innovation, contre 20 % aux États-Unis. Les marchés publics privilégient des prestataires établis, disposent de procédures rigides, rarement adaptées aux jeunes entreprises. Du côté du secteur privé, les partenariats entre startups et grands groupes peinent également à se concrétiser. Selon les données du rapport, moins de 1 % des projets de collaboration entre startups et corporates aboutissent à un déploiement sur le marché.

Dans un environnement où les cycles d’achat sont longs et les exigences de certification élevées, les startups technologiques voient leurs délais de commercialisation s’étendre, avec un impact direct sur leur trésorerie et leur attractivité pour les investisseurs.

Un déficit de valorisation scientifique

La recherche publique européenne produit une quantité significative de brevets, toutefois la capacité à les transformer en actifs économiques reste faible. En 2019, plus de 10 % des brevets déposés à l’Office européen provenaient d’universités, hors seuls un tiers sont effectivement exploités. Les bureaux de transfert de technologie (TTO) souffrent d’un sous-financement chronique. Dans certaines régions d’Europe du Sud et de l’Est, 85 % d’entre eux ne disposent que de trois personnes ou moins pour assurer leur mission de valorisation.

Le processus de création de spinoffs demeure également trop lent, trop juridiquement incertain, et souvent désincitatif pour les chercheurs, qui ne bénéficient ni de rémunérations attractives ni de reconnaissance institutionnelle lorsqu’ils s’engagent dans une démarche entrepreneuriale.

Une stratégie européenne articulée en cinq priorités

Face à ce diagnostic, la Commission européenne propose une feuille de route structurée autour de cinq axes :

  1. Régulation adaptée à l’innovation
    Intégration d’un test d’impact innovation, soutien aux regulatory sandboxes, et mise en place du 28e régime évoqué plus haut.
  2. Financement late-stage ciblé
    Outre le EIC Fund, la stratégie acte la création d’un Scale-up Fund géré par le Conseil européen de l’innovation.

    « Parmi les autres annonces importantes de la Stratégie, la Commission européenne renforce son ambition sur le financement de l’innovation. L’annonce d’un Scale-up Fund, géré par le European Innovation Council pour répondre aux besoins de levées de fonds importantes dont ont besoin les innovations de rupture sur notre continent, est intéressante tout comme le European Tech Champions Initiative 2 », souligne Pascal Canfin.

  3. Ouverture des marchés publics et renforcement des collaborations startups/grands groupes
    Développement d’un GovTech Single Market, simplification des appels d’offres et inclusion de clauses pro-innovation.
  4. Mobilisation des talents
    Lancement du EU Talent Pool, harmonisation partielle des régimes fiscaux de stock-options, cadre commun pour le télétravail transfrontalier.
  5. Accès aux données et infrastructures stratégiques
    Création de 13 AI Factories dotées de supercalculateurs pour soutenir le développement de modèles IA européens, développement de data spaces sectoriels.

« Les entreprises qui naissent en Europe doivent pouvoir grandir en Europe. Avec le lancement de la Stratégie européenne pour les startups et les scaleups, nous activons de nouveaux leviers de croissance pour les entreprises les plus innovantes et prometteuses du continent. Nous réduisons les lourdeurs administratives, facilitons leur accès au financement et améliorons leur capacité à faire des affaires dans l’ensemble de notre marché unique. En d’autres termes, nous voulons placer l’Europe au cœur de la carte mondiale de l’innovation, pour les entreprises comme pour les investisseurs. L’Europe peut conduire sa propre voie et devenir le lieu où l’innovation prospère », déclare Stéphane Séjourné, vice-président exécutif pour la Prospérité et la Stratégie industrielle.

« La Stratégie européenne pour les startups et les scale ups est une déclaration d’intention claire : faire de l’Europe le meilleur endroit au monde pour créer et développer une entreprise. Cette stratégie va nous permettre de transformer la richesse de créativité, de recherche et d’ambition du continent en entreprises dynamiques, en emplois de qualité et en impacts concrets. Grâce à cinq actions ciblées, nous supprimons les barrières qui freinent nos entrepreneurs. L’Europe est prête à passer à l’échelle », ajoute Ekaterina Zaharieva, commissaire européenne en charge des Startups, de la Recherche et de l’Innovation.

Une convergence avec les attentes de l’écosystème tech européen

Un alignement partiel se dessine entre la stratégie présentée par la Commission européenne et les recommandations formulées depuis plusieurs mois par les principales associations de l’écosystème tech européen. Le concept de « 28e régime » porté par le document officiel fait directement écho aux propositions défendues par France Digitale, en lien avec une coalition de structures nationales et européennes telles que Allied for Startups, Startup Portugal, Startup Hungary, Startup Verband (Allemagne), Italian Tech Alliance, Austrian Startups, ou encore Techcelerator. Dans un « non-paper » publié en 2024, ces organisations appelaient à la création d’un statut unique, accessible dès la création, avec un socle juridique harmonisé, un régime fiscal modernisé, des outils contractuels européens et une reconnaissance transnationale immédiate. Si le texte de la Commission reste encore général dans sa formulation, il reprend plusieurs piliers clefs de ces propositions, notamment l’idée d’un cadre commun, digital-native, pensé pour la scalabilité paneuropéenne.

Des zones grises à clarifier

La stratégie européenne pour les startups affiche une ambition réelle, mais plusieurs points méritent d’être précisés ou renforcés, à commencer par la temporalité des mesures. Plusieurs des propositions clés annoncées par la Commission ne devraient être formalisées qu’à partir de 2026, alors même que les besoins des startups sont immédiats.

Parmi les principales actions envisagées figurent :

  • La création du 28e régime, un cadre juridique européen unifié, numérique par défaut, visant à permettre la création d’une entreprise dans toute l’Union en moins de 48 heures. Il intégrerait des volets de droit fiscal, social et de l’insolvabilité, et entend abaisser le coût de l’échec entrepreneurial (Q1 2026).
  • Le lancement d’un “European Business Wallet”, qui constituerait une identité numérique pour tous les opérateurs économiques européens, facilitant les démarches et la transmission sécurisée de données entre entreprises et administrations (Q4 2025).
  • L’adoption d’un European Innovation Act, introduisant un cadre juridique commun pour les regulatory sandboxes, y compris transfrontalières, afin de permettre aux entreprises d’expérimenter dans un cadre sécurisé et adapté (Q1 2026).
  • La mise en place d’un “Innovation Stress Test” volontaire, outil d’évaluation de l’impact des législations nationales sur l’innovation, proposé aux États membres pour accompagner l’élaboration de nouvelles normes (Q1 2026).
  • Des réformes sectorielles ciblées, via notamment l’EU Biotech Act, l’Advanced Materials Act ou le paquet “Defence Simplification”, destinées à alléger les charges réglementaires dans les secteurs jugés stratégiques (à partir de 2025).
  • La révision de la réglementation sur la normalisation, avec pour objectif d’accélérer les processus et d’en faciliter l’accès pour les PME et startups (Q2 2026).
  • Une étude européenne sur les freins juridiques à la restructuration des entreprises innovantes, destinée à documenter les obstacles structurels au changement d’échelle (2026).

Ces chantiers, bien qu’ambitieux, soulèvent plusieurs questions. Leur mise en œuvre effective est reportée à un horizon jugé trop lointain par une partie de l’écosystème. De plus, certains volets structurels, comme le traitement fiscal des exits, la mobilisation de l’épargne privée vers l’innovation, ou encore une préférence explicite pour la tech européenne dans la commande publique, restent à ce stade peu détaillés.

France Digitale, qui soutient la dynamique du 28e régime, alerte sur ces limites :

« La majorité des mesures ne seront formulées qu’en 2026… et encore plus tard pour leur mise en œuvre. C’est trop long. Certaines propositions manquent d’ambition : simplifier la commande publique, oui. Mais on attend une préférence claire pour la tech européenne. Et sur des sujets clés comme l’exit ou la mobilisation de l’épargne vers l’innovation, les annonces restent floues. »

L’organisation prévient qu’elle restera mobilisée pour suivre la mise en œuvre de cette stratégie et défendre une traduction concrète et rapide de ses principes dans les politiques publiques européennes.

Une souveraineté économique en ligne de mire

Au-delà des ajustements techniques, c’est bien un enjeu de puissance économique qui se dessine. L’Europe dispose des talents, des centres de recherche, d’une base entrepreneuriale dynamique, mais les entreprises peinent à se développer sur son propre sol.

« En attirant les investisseurs et en simplifiant les démarches pour scaler en Europe, le 28e régime pourra aider nos entreprises à être davantage compétitives face aux géants chinois et américains. Il faut débloquer ce potentiel de croissance : c’est un enjeu de souveraineté économique et politique », insiste Pascal Canfin.

L’enjeu n’est pas uniquement de créer davantage de startups mais de les transformer en acteurs durables, visibles et influents à l’échelle mondiale. Et cette fois, de les faire grandir en Europe.

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