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[DECODE] Comment Carrefour veut devenir le leader de l’e-commerce alimentaire à l’horizon 2022

Carrefour veut réaliser un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros dans l’e-commerce alimentaire d’ici 2022

«La construction de notre modèle omnicanal se fait sur l’e-commerce alimentaire. Je ne pense pas que nous sommes capables d’être leaders dans la catégorie du non-alimentaire. Une des missions d’un dirigeant, c’est de choisir les combats, et notre combat, c’est l’alimentaire», a souligné Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour, en début d’année. Ce choix porte ses fruits puisque Carrefour a vu son chiffre d’affaires dans l’e-commerce alimentaire bondir de plus de 30% au troisième trimestre 2019.

  • Carrefour a débloqué 2,8 milliards d’euros d’investissements sur 5 ans dans le digital dans le cadre de son plan de transformation Carrefour 2022.
  • Carrefour a noué un partenariat avec Google en juin 2018 pour se doter d’un environnement numérique performant. Le distributeur français permet ainsi à la filiale d’Alphabet d’accéder à l’ensemble des spécificités qui régissent le fonctionnement du groupe, au risque de dévoiler des détails stratégiques pouvant donner des idées aux GAFA pour tirer profit d’une telle situation.
  • Amélie Oudéa-Castera est la patronne de l’e-commerce et de la transformation digitale de Carrefour depuis novembre 2018.
  • Racheté par Carrefour en 2015 pour 30 millions d’euros, le site Rue du Commence, dont la valorisation s’est effondrée depuis, est en passe d’être cédé à Shopinvest, propriétaire des 3 Suisses depuis l’an passé.
  • En 2018, Carrefour a mis la main sur la start-up française Quitoque, qui propose la livraison à domicile de paniers-repas à cuisiner.

 

Nommé à l’été 2017 à la tête de Carrefour, Alexandre Bompard, après avoir été le grand artisan du mariage entre la Fnac et Darty, avait la lourde tâche d’assurer la transformation digitale du géant français de la grande distribution dans un climat délicat. Et pour cause, l’e-commerce s’impose de plus en plus auprès des consommateurs français pour le plus grand bonheur d’Amazon. 

En effet, 85% des consommateurs français achètent désormais en ligne, soit 37,5 millions de personnes, selon la Fevad. Et l’an passé, 1 Français sur 3 a été client d’Amazon, qui domine largement le marché e-commerce en France avec un chiffre d’affaires de 6,6 milliards d’euros et 17,3% de parts de marché. Dans ce contexte, Alexandre Bompard n’avait d’ailleurs pas tardé à dévoiler sa stratégique numérique en présentant en janvier 2018 son plan de transformation Carrefour 2022 visant à relancer un mastodonte de la distribution en perte de vitesse.   

2,8 milliards d’euros sur 5 ans consacrés au digital 

Cette feuille de route prévoit 2,8 milliards d’euros d’investissements sur cinq ans dans le digital, soit 560 millions d’euros par an, avec un objectif ambitieux : réaliser un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros dans l’e-commerce alimentaire pour porter sa part de marché au-delà de 20% en France. Pour relever le défi, Carrefour a décidé de simplifier sa présence en ligne en créant un portail e-commerce unique destiné à remplacé les 8 sites et les 14 applications qui étaient jusque-là proposées. Une refonte qui a notamment abouti à la disparition de la marque Ooshop. Celle-ci s’inscrit dans le cadre du plan One Carrefour visant à unifier l’offre e-commerce du distributeur.

Dans le même temps, le groupe français s’est engagé à porter à 50% ses investissements marketing dans le digital à l’horizon 2022, contre à peine 8% en 2018. A ce volet numérique, vient s’ajouter l’accélération du déploiement des magasins de proximité et des drives, deux modèles très rentables pour Carrefour, avec 3 000 ouvertures prévues dans le monde d’ici 2022 pour combler le déclin de ses hypermarchés.  

Réalisée au prix d’une réduction drastique des coûts, à raison de 2 milliards d’euros dès 2020, et la suppression de 2 400 postes, la réorganisation du poids lourds de la distribution française pour rattraper son retard dans le digital et l’omnicanal a été dans un premier temps engagée par Marie Cheval, ancienne camarade de promo d’Alexandre Bompard à l’ENA. Arrivée en septembre 2017 dans le groupe français, elle est restée moins d’un an en charge de la transformation digitale de Carrefour. 

Une période éphémère donc qui coïncide cependant avec le partenariat noué avec Google en juin 2018. Cette alliance, qui ressemble sensiblement à celle mise en place un an plus tôt entre la firme de Mountain View et Walmart, doit permettre à Carrefour de se doter d’un environnement numérique performant pour embrasser le commerce connecté et ainsi rivaliser avec Amazon.

Amélie Oudéa-Castera en charge de la transformation digitale du distributeur 

Marie Cheval ayant quitté son poste de directrice de la transformation digitale du groupe trois mois après l’annonce de cette alliance (pour prendre la tête des hypermarchés en France), c’est à sa remplaçante, Amélie Oudéa-Castera, de développer une alchimie optimale entre Carrefour et Google. Arrivée il y a tout juste un an dans les rangs du distributeur, la nouvelle patronne de l’e-commerce et de la transformation digitale de Carrefour n’était toutefois pas inconnue au bataillon puisqu’elle siégeait au conseil d’administration du groupe depuis juin 2018. Une manière pour cette énarque, qui faisait partie de la promotion Senghor, la même que celle d’Emmanuel Macron, de prendre ses marques avant de se lancer dans le grand bain numérique du géant de la grande distribution. 

Pour mener à bien la transformation digitale du groupe Carrefour, Amélie Oudéa-Castera, ancienne championne de tennis junior qui est également l’épouse de Frédéric Oudéa, le patron de la Société Générale, pourra s’appuyer sur une solide expérience de près de dix ans au sein de l’assureur Axa. Passée par la Cour des comptes à sa sortie de l’ENA, elle a en effet occupé les fonctions de Chief Marketing & Digital Officer, d’abord à l’échelle de l’Hexagone à partir de mai 2011, puis pour l’ensemble du groupe en juillet 2016. L’aventure dans le giron du géant français de l’assurance s’est achevée à la fin de l’année suivante, quelques mois avant de basculer dans la grande distribution en rejoignant Carrefour. 

Après avoir fait le tour du propriétaire, identifié les forces et faiblesses du groupe, et analysé la concurrence, Amélie Oudéa-Castera a débuté les grandes manoeuvres au printemps dernier. En effet, c’est à cette période que la nouvelle patronne de la transformation digitale de Carrefour a fait évoluer sa garde rapprochée. Au mois de mars, elle a ainsi renouvelé une bonne partie de son comité de direction. Une manière pour l’énarque d’affirmer son autorité et et définir un nouveau cap permettant d’atteindre les objectifs fixés par Alexandre Bompard dans le cadre du plan Carrefour 2022.

Carrefour se déleste de Rue du Commerce 4 ans après son rachat 

Auprès d’Amélie Oudéa-Castera, on retrouve ainsi Hugues Pitre qui a pris la tête de Rue du Commerce, pionnier du commerce en ligne français en chute libre. Successeur de Nathalie Mesny, qui a pris la direction de Monoprix pour gérer la branche e-commerce, Hugues Pitre a passé quatre ans chez Amazon à la tête de la division produits culturels. Une expérience qui semblait de prime abord utile pour repositionner Rue du Commerce sur l’échiquier français. Cependant, Amélie Oudéa-Castera a d’autres projets pour ce site lancé il y a vingt ans et racheté par Carrefour en 2015 dans le cadre d’une opération estimée à 30 millions d’euros.

Devant la force de frappe d’Amazon et la bonne forme de Cdiscount, numéro deux du e-commerce en France qui revendique 20 millions de visiteurs uniques mensuels et 9 millions de clients, la directrice exécutive e-commece, data et transformation digitale de Carrefour estime en effet qu’il est temps d’arrêter les frais inutiles. En perte de vitesse et toujours pas rentable, Rue du Commerce est ainsi en passe d’être racheté. Il y a quelques jours, le distributeur a d’ailleurs confirmé avoir reçu une offre de rachat de la part de Shopinvest, spécialiste de la vente en ligne et propriétaire des 3 Suisses depuis l’an passé. Déterminé à couper définitivement le cordon avec le site, Carrefour est également entré en négociations exclusives avec LDLC pour vendre Top Achat, la filiale de Rue du Commerce spécialisée dans l’informatique.

La fin de l’ère Rue du Commerce apparaît ni plus ni moins comme la suite logique de la stratégie engagée par Carrefour pour concentrer ses efforts sur l’e-commerce alimentaire. «La construction de notre modèle omnicanal se fait sur l’e-commerce alimentaire. Je ne pense pas que nous sommes capables d’être leaders dans la catégorie du non-alimentaire. Une des missions d’un dirigeant, c’est de choisir les combats, et notre combat, c’est l’alimentaire», avait souligné Alexandre Bompard en début d’année. Ce choix porte ses fruits puisque Carrefour a vu son chiffre d’affaires dans l’e-commerce alimentaire bondir de plus de 30% au troisième trimestre 2019.

Quitoque et Glovo, fers de lance de Carrefour dans l’e-commerce alimentaire 

Preuve des ambitions de Carrefour dans ce secteur, le groupe a mis la main l’an passé sur la start-up française Quitoque. Créée en 2014, cette dernière propose la livraison à domicile de paniers-repas à cuisiner. Une approche qui permet non seulement au distributeur d’ajouter un maillon supplémentaire à son système de livraison (à domicile, express en une heure, drive, click-and-collect…), mais aussi de mieux connaître les habitudes de ses consommateurs alors que l’alimentation bio a actuellement le vent en poupe dans l’Hexagone. En France, le marché alimentaire bio a ainsi atteint 9,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, soit 1,4 milliard de plus par rapport à 2017. 

Quitoque n’est pas la seule jeune pousse à avoir taper dans l’oeil de Carrefour. C’est aussi le cas de la start-up espagnole Glovo, qui a levé 150 millions d’euros en mai dernier. Celle-ci n’a pas été rachetée, mais fait l’objet d’un partenariat avec le groupe français. En effet, les deux entités se sont alliées cet été pour proposer un service de livraison express à domicile dans quatre pays, dont la France. Également déployé en Espagne, en Italie et en Argentine, ce dispositif permettra aux clients urbains de disposer d’une solution de dépannage pour se faire livrer des courses alimentaires en seulement 30 minutes, en complément du service de livraison express disponible sur l’application mobile de Carrefour dans l’Hexagone.

Vu comme une étape importante pour faire de Carrefour un leader du commerce en ligne alimentaire par Amélie Oudéa-Castera, ce partenariat permet aussi de faire coup double. Et pour cause, il met fin celui à noué en 2016 entre Glovo et Franprix, filiale du rival Casino, Carrefour devenant en France le partenaire exclusif de la start-up espagnole. Un coup double aux allures de coup de maître pour la patronne de la transformation digitale du distributeur. 

Google au centre de la transformation digitale du distributeur 

Au niveau des partenariats, le plus emblématique d’entre eux est bien entendu celui signé avec Google en juin 2018. Dans ce cadre, Google met à disposition de Carrefour son interface vocale pour que les consommateurs puissent commander en ligne des produits de l’enseigne de grande distribution simplement en s’adressant oralement à leur smartphone via Google Assistant ou à leur enceinte intelligente Google Home. De cette manière, Carrefour met les pieds sur un marché qui pourrait peser 40 milliards de dollars dans le monde d’ici 2022, selon le cabinet OC&C Strategy Consultants.

Le distributeur français a également choisi Google pour inculquer une culture digitale à ses employés. Dans les six mois ayant suivi l’annonce de ce partenariat, Google avait ainsi pour mission de former un millier de salariés de Carrefour. Une première étape dans la transformation digitale en interne du groupe qui a débouché par la suite sur le déploiement de la suite bureautique G Suite (Gmail, Drive, Docs, Sheets, Agenda…) auprès de 160 000 collaborateurs.

Mais l’alliance franco-américaine s’est surtout matérialisée en mars dernier avec l’ouverture d’un hub digital pour créer une émulation entre Google et Carrefour afin de lutter ensemble contre l’ennemi commun : Amazon. Situé à deux pas de Station F, au cinquième étage d’un immeuble WeWork, l’espace s’étale sur  2 500 mètres carrés pour réunir une trentaine de collaborateurs des deux groupes, essentiellement des ingénieurs de Carrefour et des experts en intelligence artificielle de Google Cloud qui constituent les équipes du Lab Carrefour-Google, division dirigée par Elina Ashkinazi-Ildis. 

Sébastien Missoffe, directeur général de Google France (à gauche), et Alexandre Bompard, PDG de Carrefour (à droite). © Olivier Vigerie, Carrefour DR.

«Qui pouvait penser qu’un jour nous travaillerons avec Google?»

Cette unité spéciale est directement au contact des équipes en charge du numérique au sein du distributeur, soit 300 collaborateurs détachés dans Paris intramuros pour assurer la transformation digitale du groupe qui reste cependant pilotée à Massy, où se trouve le siège social de Carrefour. Ensemble, ils sont chargés de développer de nouveaux services et produits pour améliorer le parcours d’achat des consommateurs. 

Intelligence artificielle pour optimiser la logistique et développer la personnalisation des offres adressées aux consommateurs, blockchain pour améliorer la traçabilité des produits alimentaires… Les chantiers sont nombreux. «Pour Carrefour, c’est un petit signal de plus que nous sommes en mouvement. Qui pouvait penser qu’un jour, toutes les directions de Carrefour pourraient travailler ensemble, qui plus est avec un partenaire extérieur, et qu’il s’agirait de Google ? Pourtant, ce lab existe désormais !», déclarait Alexandre Bompard lors de l’inauguration de ce hub digital en avril dernier.

Le paiement par la reconnaissance faciale testé avec Tencent 

En effet , il était bien difficile il y a encore quelques années d’imaginer Carrefour travailler main dans la main avec l’un des GAFA, au risque de leur donner un accès privilégié à des données précieuses du distributeur et de ses clients pouvant accroître leur pouvoir et leurs revenus. Pourtant, c’est désormais chose faite depuis 2018 avec Google, de même qu’avec les BATX, l’équivalent chinois des GAFA, via un partenariat la même année avec Tencent. 

Outre le fait que cette alliance doit permettre à Carrefour de reprendre des couleurs sur un marché chinois exigeant où le distributeur est en perte de vitesse ces dernières années, elle doit surtout permettre au groupe français de tester de nouvelles innovations pour entrer dans l’ère du retail connecté. Partage des données, solutions de paiement mobile et digitalisation des magasins sont ainsi au coeur de cette collaboration. Cette dernière s’est d’ores et déjà matérialisée par l’ouverture l’an passé d’un supermarché connecté à Shanghaï, qui présente la particularité d’être le premier Carrefour au monde à permettre à ses clients de payer via la reconnaissance faciale. 

Les distributeurs français bientôt sous-traitants des GAFA?

Si les alliances de Carrefour avec Google et Tencent, comme celle entre Amazon et Casino, témoignent de la prise des enseignes de la distribution qui sont en train d’accepter le changement des usages engendré par l’e-commerce, elles n’en demeurent pas moins inquiétantes. Et pour cause, elles permettent aux GAFA et aux BATX d’étendre leur champ d’action en accédant à de nouvelles données sur les habitudes d’achat des consommateurs. L’inquiétude est d’autant plus grande que ces géants se positionnent dans les secteurs de la santé et de la finance pour récolter toujours plus de données sur des millions, si ce n’est des milliards de personnes à travers le monde.

A terme, le risque est de voir un distributeur comme Carrefour devenir un sous-traitant de Google, si le groupe français abandonne sa souveraineté dans la gestion de son réseau de magasins et dans la logistique. Sur ce dernier point, Monoprix, filiale de Casino, a d’ailleurs déjà accepté de déléguer sa supply chain à Amazon. Se transformer sans céder, une équation complexe mais indispensable pour Carrefour que devront résoudre Amélie Oudéa-Castera et son équipe. 

Lire aussi : La grande distribution française et les GAFA, un pacte avec le diable ?

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